La prise de conscience du phénomène influenceur par Par Dalila Madjid, Avocat et Guilda Guilanpour, Juriste.

Village de la Justice - 31/01/2023 15:20:00


« Influenceur : personne qui influence l'opinion, la consommation par son audience sur les réseaux sociaux ». Telle est la définition du terme « influenceur » que l'on retrouve dans le dictionnaire Le Robert.
Ce phénomène apparu au milieu des années 2010, fait suite à l'expansion des réseaux sociaux.


En effet, les consommateurs français, et plus particulièrement les « Millennials » (16-30 ans) ont délaissé les canaux traditionnels comme la télévision ou la radio au profit des réseaux sociaux, devenant ainsi un terrain propice pour ces influenceurs.

Ces derniers ont été de plus en plus sollicités, dans le cadre de partenariats avec les marques pour la publication de contenus promotionnels, dont ils tirent leurs revenus.

Toutefois, face à un public de plus en plus jeune et influençable, les dérives et plaintes se sont multipliées, notamment lorsque les influenceurs publient des contenus commerciaux, à savoir lorsqu'ils reçoivent une contrepartie financière à une obligation de publication.

Fin de l'année 2022, les pouvoirs publics se sont enfin intéressés à ces « travailleurs des réseaux sociaux », que sont les influenceurs, à travers plusieurs propositions de loi, afin de les intégrer dans le paysage juridique français.

En effet :

1- Une première proposition de loi du 15 novembre 2022, visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l'influence sur internet.

2- Une deuxième proposition de loi du 15 décembre 2022, visant à renforcer la prévention contre les pratiques commerciales illicites liées au marché de l'influence sur internet et à renforcer la lutte contre ces pratiques.

3- Et enfin une dernière proposition de loi du 27 décembre 2022, visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

1- Le statut d'influenceur et ses obligations légales.
Il existe déjà des dispositions légales qui permettent de définir le statut d'un influenceur.

1.1. L'influenceur devra relever du régime général des salariés et assimilés sur le fondement des articles L311-2 ou L311-3 du Code de la sécurité sociale dans les deux cas suivants :

1/ Lorsque la relation de travail, entre l'influenceur et la marque a la nature d'un contrat de travail, caractérisée par l'existence d'un lien de subordination entre l'influenceur et le donneur d'ordre [1].

2/ Ou lorsque la relation contractuelle est qualifiée de contrat de travail par la loi au moyen de présomptions posées par les articles L7123-3 du Code du travail pour les mannequins, ou L7121-3 du Code du travail pour les artistes.

Ainsi, l'influenceur aura également la qualité de salarié dés lors qu'il exercera la mission de mannequin ou d'artiste-interprète, pour laquelle il existe une présomption de salariat.

1.2. L'influenceur devra relever du régime social des indépendants.

A défaut pour l'influenceur d'être qualifié de salarié, la relation contractuelle a la nature d'un contrat de prestation de service. Aux termes de l'article L622-5 du Code de la sécurité sociale, sauf exception, relève du régime des professions libérales toute personne exerçant une activité professionnelle non-salariée et qui n'est pas assimilée à une activité salariée.

Ainsi, dès lors que l'influenceur n'est pas sous un lien de subordination avec la marque, et/ou qu'il n'exerce pas une mission de mannequin ou d'artiste-interprète, il s'agira d'un contrat de prestation de service.

Or, dans la pratique, la plupart des contrats d'influenceurs sont des contrats de prestations de service et qu'une partie seulement d'entre eux sont des contrats de mannequins ou d'artistes, soit des contrats de travail.

1.3. Les obligations pesant sur l'influenceur lorsqu'il est contacté par une marque pour la publication d'un contenu promotionnel.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est intéressée aux marques ayant noué des partenariats avec les influenceurs, notamment youtubeurs, estimant qu'il pouvait s'agir de publicités déguisées répréhensibles sur le fondement de l'article L121-1 du Code de la consommation sur les pratiques commerciales trompeuses [2].

Dans sa recommandation, l'ARPP (l'autorité de régulation professionnelle de la publicité) rappelle que l'existence d'une collaboration commerciale entre un influenceur et un annonceur pour la publication d'un contenu doit dans tous les cas être portée par l'influenceur à la connaissance du public.

Il s'agit de la mise en oeuvre de l'obligation en matière de publicité par voie électronique selon laquelle

« toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée » [3].

Pour certains auteurs, la distinction entre contenu éditorial et contenu commercial se fonde sur l'obligation qu'a l'influenceur de publier un contenu sur une marque, un produit ou un événement [4].

Le contrat d'influenceur doit impérativement stipuler l'obligation pour l'influenceur d'identifier le caractère commercial du contenu pour prévenir les risques de poursuites pénales, sur le fondement des articles L121-1 et L121-3 du Code de la consommation sur les pratiques commerciales trompeuses.

Ces délits sont punis de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 300 000 euros, le montant de l'amende pouvant être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10% du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit [5].

Néanmoins, en dépit de ces textes de loi, il existe une insécurité juridique, en ce que le statut d'influenceur demeure flou. Corrélativement, il est difficile de définir clairement leurs obligations.

Au vu d'une meilleure sécurisation juridique, les pouvoirs publics ce sont enfin intéressés à ce « phénomène », palliant ainsi l'absence de définition légale du terme influenceur, mais également l'absence de sanctions et de délimitation de leurs obligations.

2- Définition et délimitation des responsabilités des influenceurs : intégration de ce « phénomène » dans le paysage juridique.
Face aux nombreuses dérives et plaintes mais également pour une meilleure sécurité juridique, plusieurs propositions de lois ont alors vu le jour durant l'année 2022, engendrant progressivement l'intégration du terme « influenceur » dans le paysage juridique français.

2.1. Ainsi, la première proposition de loi du 15 novembre 2022, vise à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l'influence sur internet.

1- Cette première proposition de loi intègre un chapitre dans le code du travail, intitulé « influenceurs et agents d'influenceurs ». Elle définit l'activité d'influenceur [6], comme suit : « Est considérée comme exerçant une activité d'influenceur, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel, toute personne physique ou morale qui détient, exploite ou anime, à titre professionnel ou non, une page ou un compte personnel accessible sur une plateforme en ligne et dont l'activité dépasse un seuil d'audience déterminé par décret, en vue du partage de contenus exprimant un point de vue ou donnant des conseils susceptibles d'influencer les habitudes de consommation ».

L'influenceur a la qualité d'éditeur au sens de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Il est présumé être le directeur de publication, au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, des contenus diffusés sur sa page ou son compte personnel.

La proposition de loi prévoit aussi une articulation avec les activités de mannequin, définies à l'article L7133-2 du Code du travail, d'artiste-interprète ou d'auteur, telles que régies par les dispositions du code de la propriété intellectuelle.
Aussi, il est prévu l'obligation d'un contrat de mandat écrit, dénommé « contrat de représentation d'influenceur » entre un influenceur et l'agent d'influenceurs, comprenant en outre des mentions obligatoires.

2- Dans un souci de sécurité et de protection du consommateur, la proposition de loi modifie les dispositions du code de la consommation, en y intégrant des dispositions spécifiques aux partenariats commerciaux que les influenceurs ont l'habitude de conclure avec des annonceurs, notamment l'existence d'un contrat écrit contenant des mentions obligatoires est rendu obligatoire.

3- Et enfin, la proposition de loi modifie les dispositions de l'article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l'économie numérique. Notamment, l'obligation pour les opérateurs de plateformes en ligne, de mettre en place un dispositif de signalement des contenus relevant des pratiques commerciales interdites, agressives et trompeuses.

2.2. Face à l'apparition d'arnaques, d'escroqueries, liées aux contenus illicites, tels que la promotion en ligne par des influenceurs, de produits dangereux, actes, prestations, liés à la santé, au développement personnel ou à des investissements financiers, une nouvelle proposition de loi du 15 décembre 2022 renforce la prévention contre ces pratiques commerciales illicites sur internet.

L'objectif de cette nouvelle proposition de loi est alors de renforcer la lutte contre ces pratiques, au moyen de la création d'un comité interministériel de prévention contre les pratiques commerciales illégales en ligne (art 2) offrant ainsi un plus grand nombre de moyens aux autorités de répression des fraudes.

Cette proposition de loi vient également renforcer la prévention et la protection des consommateurs.

En effet, le code de la consommation ainsi que le code monétaire et financier sont modifiés.

Ainsi, plusieurs obligations d'information ressortent de cette proposition, telles que l'obligation des fournisseurs de service de communication au public en ligne d'informer les utilisateurs sur les pratiques commerciales interdites ; mais aussi l'obligation pour les banques, d'informer leurs clients sur les pratiques commerciales illégales en ligne (art 5).

2.3. Récemment, une troisième proposition de loi du 27 décembre 2022 vise à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Elle redéfinie et consacre, au moyen d'un article unique, qui sera intégré dans le code de la consommation, le statut d'influenceur, à savoir toute personne promouvant un produit contre rémunération en nature ou en numéraire.

Pour une plus grande transparence, cette dernière proposition de loi vient protéger le consommateur sur la promotion de produits, actes ou prestations réalisées par les influenceurs sur les réseaux sociaux.

Elle vient par ailleurs interdire la promotion sur les réseaux sociaux de produits pharmaceutiques, dispositifs médicaux, ou encore de placements ou d'investissements financiers, et ce, sous peine de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.

Cette proposition de loi distingue par ailleurs, les domaines bénéficiant d'un régime de protection spécifique tels que, la santé, l'argent, les jeux.

Si l'on peut se réjouir de l'existence de ces trois propositions de loi, venant enfin encadrer les pratiques commerciales de ces « travailleurs des réseaux sociaux », on peut néanmoins regretter le manque d'anticipation des pouvoirs publics.

En effet, malgré l'existence des influenceurs depuis une dizaine d'années, c'est uniquement suite au constat d'un nombre croissant de dérives et plaintes que les pouvoirs publics ont décidé de réagir.

Dalila Madjid, Avocat et Guilda Guilanpour, Juriste