2024, une année politique européenne - vue par les femmes : I/ Les femmes électrices

Fondation Robert Schuman - 16/04/2024 09:30:00

En 1906, la Finlande fut le premier État européen à accorder le droit de vote aux femmes, avec l'adoption du suffrage universel et son autonomisation par rapport à l'Empire russe. L'année suivante, les Finlandaises ont pu exercer ce droit lors des élections législatives. Tout au long du XXe siècle, a suivi un long combat pour les femmes en Europe et dans le monde, pour obtenir le droit de vote sans conditions supplémentaires que celles exigées aux hommes. Dans certains pays, en guise de première étape vers leur émancipation électorale, seules les veuves avaient le droit de voter (en Belgique, par exemple, jusqu'en 1921). Dans d'autres pays, comme en Bulgarie, le droit de vote a été initialement réservé aux mères d'enfants légitimes et exclusivement à l'occasion des élections locales. Au Portugal, seules les femmes diplômées avaient le droit de vote à partir de 1931. En Espagne, il aura fallu attendre la démocratisation postfranquiste et les élections de 1976 pour que les Espagnoles retrouvent leur droit de vote initialement acquis en 1931 avant la guerre civile. La France va fêter cette année les 80 ans de l'obtention du droit de vote des femmes. Les Chypriotes ont obtenu le droit de vote en même temps que leurs concitoyens masculins au moment de la création de la République en 1960. Ceci peut s'expliquer assez simplement par le fait, qu'à ce moment-là, une telle discrimination ne pouvait plus se justifier. Il aura donc fallu traverser une bonne partie du XXe siècle pour en arriver là.




Dorénavant, dans les États européens, les législations relatives au droit de vote et au droit de se présenter aux élections reconnaissent un égal accès aux femmes et aux hommes. Pourtant, leur participation à la vie politique est toujours marquée par des différences notables et des obstacles importants qui nous semblent injustifiés. Les femmes restent moins représentées sur la scène politique alors qu'elles représentent plus de la moitié de la population. Dans l'Union européenne, la population féminine excède de dix millions la population masculine. Ce constat mérite notre attention en 2024, année qui se distingue par son importance électorale, avec les élections des représentants au Parlement européen prévues du 6 au 9 juin. En outre, cinq élections présidentielles et six législatives se tiennent dans les États membres. Il s'agit donc d'une occasion propice pour étudier la position des femmes sur la scène politique européenne, ainsi que les obstacles persistant en coulisses, et qui entravent leur pleine participation à la vie politique.

Femmes électrices


Des sondages au niveau international ont montré depuis longtemps des taux d'abstention plus élevés chez les femmes que chez les hommes. La politisation des premières a mis du temps à s'installer, mais cet écart s'est largement resserré et n'existe pratiquement plus pour des scrutins nationaux. On le retrouve toutefois au niveau des élections dites de second degré, comme les élections européennes. Pour celles de 2014, 45% des hommes avaient déclaré vouloir se rendre aux urnes, contre 41% des femmes. En 2019 - alors que l'on a retrouvé une participation supérieure à 50% (50,66%), cette différence s'est réduite avec 52% des hommes et 49% des femmes indiquant vouloir se rendre aux urnes. On peut en conclure que les femmes semblent toujours se sentir légèrement moins impliquées dans la politique européenne que les hommes. Difficile de dire en amont si les femmes se rendront plus nombreuses aux urnes en juin, mais il est évident que leur mobilisation peut changer la donne électorale dans certains pays.

En effet, il est intéressant d'observer que, dans un contexte politique européen dans lequel les partis situés aux extrêmes de l'échiquier politique sont présentés comme gagnant du terrain, les femmes apparaissent comme étant moins attirées par eux - ce phénomène est appelé en sciences politiques « Radical Right Gender Gap »[1] que l'on pourrait traduire par « fossé des genres parmi les électeurs d'extrême-droite ».

En Espagne, lors des dernières élections générales du 23 juillet 2023, 11% des hommes, contre seulement 5% des femmes, ont voté pour le parti Vox. Ce parti se présente comme particulièrement hostile aux droits des femmes. Parmi ses propositions de campagne, se trouvaient la restriction du droit à l'avortement, l'abrogation de la législation relative aux violences à l'égard des femmes et le remplacement du ministère de l'égalité par un ministère de la famille. Ces arguments ont donc eu très peu de succès parmi les électrices.

En Autriche, lors des élections législatives de 2019, 11% des femmes, contre 21% des hommes, ont donné leur voix au Parti de la liberté (FPÖ) qui soutient l'idée d'un retour au « bon vieux temps » - avec des femmes qui s'occupent de la famille, des enfants et de la maison. Cette position a été particulièrement critiquée lorsque le Parti populaire (ÖVP) de centre-droit s'est allié avec le FPÖ, dans le Land de Salzbourg, pour former une coalition et envisager le projet d'un versement de subventions publiques aux familles qui gardent leurs enfants à la maison au lieu de les confier à un système de garde. Ceci a été largement décrié en tant que « Herdprämie » (prime du four). Pour les Autrichiennes qui, de manière générale, mettent de côté leur carrière beaucoup plus longtemps pour s'occuper de leurs enfants (60% des femmes ne reprennent leur poste qu'après un congé parental de deux ans - beaucoup d'entre elles à temps partiel), un tel projet les décourage encore plus de poursuivre la possibilité d'avoir des enfants et une carrière. Avec de telles idées, le FPÖ ne convainc pas autant les électrices que les électeurs.

Les votes en faveur du parti AfD en Allemagne ont longtemps été caractérisés comme majoritairement masculins : lors des élections fédérales de 2017, 16,3% des hommes avaient voté pour l'AfD, contre seulement 9,2% des femmes. En 2021, ils étaient respectivement 13% et 7,8%. L'image idéale de la femme, selon l'AfD, ne se différencie pas spécialement de celle de Vox ou du FPÖ et tourne notamment autour du concept de la mère au foyer. Les dernières élections régionales en Allemagne montrent néanmoins que de plus en plus de femmes sont prêtes à voter pour l'AfD. Cette tendance peut s'expliquer d'abord par un contexte social qui se tend avec une inflation importante, des salaires bas et un chômage élevé dans lequel l'AfD propose des solutions simplistes et surtout ne s'attarde pas sur les ambitions d'égalité hommes-femmes ; ensuite, en raison du phénomène que l'on appelle la « normalisation » de l'AfD, le parti réussit à diversifier son électorat vers des catégories socioprofessionnelles plus élevées. Ceci montre que l'AfD devient plus acceptée au milieu de la société et donc auprès des femmes.

En France, l'électorat du Rassemblement national (RN) est aussi féminin que masculin, voire plus féminin lors des derniers scrutins, ce qui est assez nouveau pour ce parti. Cela peut s'expliquer par le fait que la présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, Marine le Pen, se présente elle-même comme une femme forte, indépendante et émancipée et que ce parti - comme l'AfD - est de moins en moins perçu comme situé à l'extrême droite de l'échiquier politique. En ce qui concerne l'électorat du parti Reconquête ! d'Éric Zemmour - avec des positions clairement antiféministes - on retrouve de nouveau une différence notable entre le nombre de femmes et d'hommes susceptibles de voter en sa faveur : une étude d'intentions de vote avant la dernière élection présidentielle de 2022 a montré un écart de six points entre le vote féminin et masculin.

Autre exemple intéressant, celui de la Hongrie. Comme l'explique Zsuzsanna Szelényi de la Democracy Institute Leadership Academy de Budapest, le parti Fidesz, qui est au pouvoir et qui n'est pas considéré comme parti d'extrême-droite à l'intérieur du pays, attire un électorat aussi féminin que masculin. Malgré la sous-représentation des femmes en son sein et le rôle défendu par ce parti qui se présente comme conservateur et traditionnel et qui réduit les femmes à leurs rôles de mères et de soignantes, le Fidesz réussit à recueillir des voix féminines. Ceci est surtout dû, premièrement, au fait que, dans l'Histoire, la société hongroise n'a été féministe que du haut vers le bas : le régime de Janos Kádár (1956-1988) mettait les femmes et les hommes sur un pied d'égalité en ce qui concerne la règlementation du travail. Les femmes avaient également le droit de vote depuis 1918. Il n'y a donc jamais vraiment eu de mouvement de la part de la société civile qui aurait lutté pour plus de droits des Hongroises. Cette passivité existe toujours : les droits de femmes ne sont toujours pas une grande priorité des demandes de la société civile. Deuxième raison pour laquelle le Fidesz arrive à obtenir le vote de femmes : le gouvernement accorde un soutien financier particulièrement important aux femmes qui ont des enfants (soutien de maternité très généreux et long ou réductions d'impôts considérables pour des femmes ayant plus de trois enfants). Un soutien qu'il ne vaut mieux pas perdre de vue dans le pays champion d'Europe de l'inflation. Le Mouvement politique Notre Patrie, qui se situe encore plus à droite que le Fidesz sur l'échiquier politique et qui défend une politique radicalement anti-avortement et antiféministe, connaît un succès largement inférieur chez les femmes que chez les hommes. Dans ce cas-là, le « Radical Right Gender Gap » se dévoile de nouveau.

Si l'on constate un fossé entre hommes et femmes au sein des partis peu favorables aux droits des femmes, et l'Union européenne comptant plus d'électrices que d'électeurs, leur plus large mobilisation peut avoir une influence sur la composition du Parlement européen. Cette mobilisation ne nous semble toutefois possible que si les femmes sont mieux représentées.