Incident autour des propos du député RN Grégoire de Fournas : Peut on tout dire à l'Assemblée Nationale ?

Village de la Justice - 07/11/2022 15:15:00

« Qu'il retourne en Afrique ! ». Les propos racistes tenus par le député (RN) Grégoire de Fournas en fin de séance publique à l'Assemblée nationale le jeudi 3 novembre 2022 dirigés contre le député (LFI) Carlos Martens Bilongo ont suscité une indignation nationale.

Mais peut-on tout dire au sein de l'Assemblée nationale ? Quelles sont les règles applicables en la matière ?

Il faut se référer à l'article 26 de la Constitution, qui prévoit une irresponsabilité absolue du parlementaire dans l'exercice de ses fonctions : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ».

Le principe est donc que la parole des parlementaires est absolument libre dans l'hémicycle : quelle que soit l'outrance des propos tenus en séance, les parlementaires ne sont passibles d'aucune poursuite judiciaire.

Cette immunité fixée depuis 1791 est destinée à garantir la liberté de parole des députés au sein de l'enceinte parlementaire, notamment vis-à-vis des autres pouvoirs (exécutif et judiciaire).

Le député (RN) Grégoire de Fournas n'est donc passible d'aucune poursuite judiciaire du fait de ses propos racistes tenus en séance le 3 novembre 2022. Il ne devra donc pas répondre de ses propos devant un tribunal.

Néanmoins, l'immunité parlementaire va de pair avec le devoir de réserve des élus de la Nation. Des peines disciplinaires sont donc prévues pour les « excès de langage » commis en séance publique.

En la matière, la police de l'Assemblée est exercée, en son nom, par le Président (Article 52 alinéa 2 du règlement de l'AN).

De nombreuses sanctions sont prévues par les textes, de la plus légère à la plus lourde :
- Le rappel à l'ordre ;
- Le rappel à l'ordre avec inscription au procès verbal ;
- La censure ;
- La censure avec exclusion temporaire.

La sanction la plus lourde, à savoir la censure avec exclusion temporaire, entraîne l'interdiction de prendre part aux travaux de l'Assemblée et de reparaître dans le Palais jusqu'à l'expiration du 15e jour de séance qui suit celui où elle a été prononcée. Elle comporte la privation de la moitié de l'indemnité parlementaire, pendant un délai qui peut aller jusqu'à six mois dans l'hypothèse de « l'agression contre un ou plusieurs collègues » (Article 77 du règlement de l'AN).

Compte tenu de la gravité des propos tenus par le député Grégoire de Fournas contre son collègue député Carlos Martens Bilongo, la sanction de censure avec exclusion temporaire semble encourue, avec privation de la moitié de l'indemnité parlementaire pendant un délai de deux mois. Si la qualification « d'agression » est retenue, la privation de la moitié de l'indemnité parlementaire pourrait même aller jusqu'à six mois.

Les décisions portant sanction disciplinaire de députés ne sont pas très nombreuses.

On peut relever le rappel à l'ordre du député Philippe Le Ray qui avait imité le caquetage d'une poule pendant l'intervention d'une députée écologiste en 2013 [1].

Le 18 avril 2013, les propos du député Philippe Cochet qui avait déclaré en séance publique que le gouvernement était « en train d'assassiner des enfants » lors des débats sur la loi relative au mariage pour tous ont provoqué une suspension de séance et un rappel à l'ordre du Président de l'Assemblée nationale [2].

Enfin, la censure a été appliquée le 2 février 1984 contre trois députés (M. François d'Aubert, M. Alain Madelin et M. Jacques Toubon) qui avaient mis en cause le « passé » du chef de l'État Mitterrand pendant la guerre et avaient refusé de retirer leurs propos [3].

La sanction du député (RN) Grégoire de Fournas pour ses propos inacceptables contre le député (LFI) Carlos Martens Bilongo, qui s'ajoutera à cette liste, devrait donc être exemplaire.

En revanche, en dehors de l'hémicycle, un parlementaire est considéré comme un justiciable comme les autres et peut donc faire l'objet de poursuites devant les tribunaux ordinaires, pour des propos injurieux ou diffamatoires par exemple. Les sanctions encourues sont les mêmes que pour tous les citoyens, avec la particularité qu'un député ne peut faire l'objet de mesures privatives ou restrictives de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'Assemblée nationale (Article 26 de la Constitution).

Cette demande d'autorisation (levée d'immunité) est formulée par le procureur général près la cour d'appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la justice, au président de l'assemblée intéressée. Elle indique précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués (article 9 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires).

par Pierrick Gardien Avocat en Droit Public au Barreau de Lyon