Débat sur l'état de l'Union, avec le soutien de l'Institut européen de Florence - Pour une Union plus solidaire

Parlement Européen - 14/05/2018 15:20:00

Présidence du Parlement européen.
Une réussite historique
Aujourd'hui, en tant qu'Européens, nous pouvons être très fiers de tout ce que nous avons accompli au cours des soixante-dix dernières années. Cette grande histoire de conquête de la liberté et des droits a engendré des bienfaits qu'il n'était même pas permis d'imaginer au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Une paix solide et durable, des démocraties ancrées dans l'état de droit et dans la liberté d'expression, la chute des murs ainsi que l'ouverture des frontières pour les personnes, les biens et les capitaux.

Nous avons vécu la renaissance la plus extraordinaire de notre histoire tout entière. Le travail, le talent, l'esprit d'entreprise, la créativité en Europe ont contribué à l'avènement d'une ère de bien-être et de croissance pour tous, reposant sur un socle inébranlable de solidarité.

Nous nous sommes montrés capables de créer le plus vaste marché au monde, tout en menant des politiques de cohésion afin que personne ne soit laissé pour compte. Nous avons mis en place une économie sociale de marché, dans laquelle ce marché est un moteur de création d'emplois et d'opportunités pour tous.

Cette réussite incontestable, nous la devons à la clairvoyance d'hommes et de femmes qui ont survécu à l'enfer de la guerre, qui ont fait l'expérience, dans leur chair, des conséquences désastreuses du nationalisme. Des survivants convaincus que seul le projet européen permettrait de faire renaître notre continent. Ils savaient que pour ce faire, il était indispensable de comprendre ce qui motivait vraiment les autres. De ne pas se contenter de demander, mais aussi d'offrir la solidarité.

Les succès européens s'expliquent, avant tout, par la confiance et l'amitié réciproques qu'entretenaient de grands dirigeants tels que De Gasperi, Schuman, Adenauer, Spaak, Monnet ou encore, plus récemment, Kohl, Mitterrand et Gonzáles.

C'est aussi grâce à eux qu'entre 1957 et 2007, la proportion de personnes pauvres au sein de la population a reculé de 41 % à 14 %. Ils ont contribué à rendre les familles plus de quatre fois plus riches et à réduire les inégalités de manière inédite dans l'histoire de l'humanité.

Hélas, ce processus vertueux et cet élan proeuropéen ont souffert de la crise des dix dernières années. Nous avons perdu l'esprit de solidarité entre les pays, qui était le véritable moteur du processus d'intégration.

Les nouvelles classes dirigeantes ne sont pas toujours à la hauteur, en cela qu'elles font souvent primer leurs intérêts électoraux contingents sur la vision d'ensemble à l'échelon européen.

L'origine de la crise
C'est ce manque de vision à long terme qui a permis à la crise déclenchée aux États-Unis par les prêts dits «subprime» de frapper nos banques et dettes souveraines, avec une violence comparable, dans certains cas, à celle d'une guerre.

L'Italie a ainsi vu disparaître le quart de son activité manufacturière et le tiers de ses investissements, et son PIB a reculé à son niveau des années 1990. Dans beaucoup d'États membres de l'Union, les salaires réels n'ont plus augmenté depuis dix ans.

La mondialisation ne fait pas que des heureux
La reprise récente est certes une bonne nouvelle, mais elle s'accompagne d'une accentuation de la fracture entre les riches et les pauvres et entre les régions prospères et celles en retard de développement. Une proportion de 80 % des nouvelles richesses est aux mains des 15 % de la population la plus riche.

Cette croissance asymétrique ne crée pas suffisamment d'emplois, en particulier pour les jeunes. La classe moyenne redoute de plus en plus un retour en arrière. Pour la première fois depuis des dizaines d'années, les jeunes générations ont devant elles des perspectives plus sombres que celles de leurs parents.

Dans l'Union européenne, ce sont aujourd'hui 23 millions de personnes âgées de 15 à 34 ans qui ne sont ni sur les bancs de l'école ni sur le marché de l'emploi. Cent dix-huit millions d'habitants de l'Union, soit 24 % de sa population, sont au bord de la pauvreté ou de l'exclusion sociale.

Ces chiffres ne font que refléter la tendance enregistrée par l'économie mondiale. S'il est indéniable que la révolution technologique, la libre circulation des capitaux et l'ouverture grandissante des marchés ont stimulé la croissance et la compétitivité, elles ont aussi fait peser une pression concurrentielle à la baisse sur les conditions de travail, la fiscalité et les normes environnementales.

Les flux migratoires incontrôlés et la main-d'oeuvre à bas coût ont pénalisé les couches les plus fragiles de la population, celles-là mêmes qui, dans les banlieues, vivent au contact des nouveaux immigrés, qui peinent à s'intégrer. Les banlieues deviennent ainsi des lieux de dégradation sociale, où la frustration et l'exclusion ressenties par les Européens se mêlent à celles des nouveaux arrivés, et s'en nourrissent.

Chez ces personnes, ces frustrations accentuent l'impression d'insécurité, les ressentiments et l'angoisse pour leur propre avenir et pour celui de leurs enfants. Cette peur conduit au repli sur soi et au rejet du modèle social ouvert que prône l'Union européenne, un modèle perçu comme élitiste, distant et ne profitant qu'à quelques-uns.

L'érection de murs, le rétablissement des frontières et le nouvel essor des nationalismes apparaissent comme autant d'antidotes rassurants face à une mondialisation qui semble échapper au contrôle des citoyens. L'élection de Donald Trump, le Brexit, l'émergence de souverainismes autoritaires et la propagation du populisme sont autant de symptômes révélateurs de ce malaise.

Une Union capable de protéger
Une politique coupée de la réalité, qui ne se préoccupe pas de répondre aux angoisses de la population, qui s'appuie sur des institutions bureaucratiques et centrées sur elles-mêmes alimente la colère et fait le jeu des marchands d'illusions.

La seule arme efficace contre cette colère est une politique en mesure d'écouter et d'apporter des réponses efficaces, grâce à une Union forte et soudée.

S'il est une leçon que nous devons retenir, c'est que la mondialisation a modifié en profondeur le concept de souveraineté. Les questions relatives à la sécurité et à la défense, à la gestion des flux migratoires, au chômage ou à la justice fiscale ne peuvent être traitées qu'à l'échelon supranational. Des instruments communs sont aussi indispensables pour défendre nos intérêts commerciaux, protéger l'innovation et la création, assurer la sécurité énergétique et pour préserver la planète.

Ce n'est qu'en exerçant ensemble une partie de nos souverainetés nationales que nous pourrons protéger nos concitoyens dans le contexte toujours plus complexe de notre environnement mondial.

Nous n'avons pas besoin d'un super-État européen, pas plus que nous ne devons gérer chaque chose dans les moindres détails. Au contraire, l'Union est plus forte si elle se concentre sur les défis pour lesquels elle apporte une véritable valeur ajoutée.

Aucun État européen ne peut entrer en compétition avec des géants tels que les États-Unis, la Chine, la Russie ou l'Inde. Si l'Italie était une province chinoise, elle ne serait que huitième par ordre de population.

Les partisans du repli derrière les frontières nationales sont des affabulateurs. Ceux qui affirment que la construction européenne est la cause principale du malaise actuel se trompent de cible. L'Union n'est pas le problème: bien au contraire, elle est un élément de la solution. Pour protéger leurs citoyens, les pays européens doivent travailler ensemble et s'exprimer d'une seule voix.

Nous devons, toujours avec honnêteté, reconnaître que ceux qui affirment que l'Europe est loin d'être parfaite n'ont pas tort. Seule une Europe plus diverse, plus politique, plus démocratique, plus solidaire pourra rapprocher les citoyens de ses institutions.

Un budget conforme aux priorités des citoyens
Une Europe politique tournée vers l'avenir a besoin d'une vision claire, centrée sur la création des moyens d'action appropriés. Le premier changement qui s'impose, pour lequel aucune modification des traités n'est nécessaire, est celui d'un budget politique doté de ressources adéquates et qui tienne compte des priorités des citoyens.

La Commission a présenté la semaine dernière son nouveau projet de budget au Parlement. Le débat en plénière a mis en évidence les points forts et les zones d'ombre de ce projet:

le système des ressources propres, l'augmentation des fonds alloués à l'innovation, à la défense et aux PME ainsi que l'intention de doubler les ressources mises à disposition du programme et Erasmus, d'une part, et consacrées à la gestion des flux migratoires, d'autre part, sont conformes à la résolution que nous avons approuvée en mars dernier.

De même, il est juste de subordonner le versement de certains fonds au respects des principes et des engagements pris; nous ne pouvons pas accepter que certains États demandent à bénéficier de la solidarité pour leurs régions isolées tout en refusant, dans le même temps, d'en faire preuve eux-mêmes vis-à-vis de ceux qui sont en première ligne face aux crises migratoires.

En dépit de cette approche louable, il convient d'affirmer haut et fort que la proportion d'1,1 % du produit national brut de l'Union, proposée par la Commission, est loin d'être suffisante. À partir de 2021, nous devrons nous passer des contributions du Royaume-Uni. Pour parvenir à un budget à la hauteur de nos enjeux, nous devons redoubler de courage et d'ambition. C'est pourquoi le Parlement exercera à plein son rôle de colégislateur et demandera que cette proportion passe à 1,3 %.

Cette augmentation ne doit pas être financée par les citoyens, dont la contribution est déjà trop élevée, mais grâce à de nouvelles ressources propres. Les géants du web, les transactions financières à caractère spéculatif et quiconque pollue l'environnement avec des plastiques non biodégradables doivent payer le juste prix.

Si nous voulons réduire nos dépenses à l'échelon national et être plus efficaces, nous devons générer des économies d'échelle et une valeur ajoutée européenne. Un euro dépensé au niveau de l'Union pour la recherche, l'innovation, la sécurité, la défense, le contrôle des frontières ou le développement de l'Afrique engendre un effet multiplicateur bien plus important qu'un euro dépensé au niveau national.

Si chaque État avait mis en place son propre système satellitaire destiné à la navigation par GPS ou à l'observation de la Terre, l'addition aurait été vingt fois plus élevée que pour les systèmes Galileo et Copernicus. Autre exemple: si nous disposions de Canadair ou d'hélicoptères pour une protection civile européenne, de navires patrouilleurs pour les garde-côtes de l'Union, ou encore de moyens militaires interopérables, nous pourrions faire face aux crises et aux urgences avec plus de moyens et à des coûts moindres.

Parvenir à 1,3 % est indispensable si nous entendons maintenir les ressources suffisantes pour financer une agriculture et une pêche modernes et compétitives. Il en va de même pour la cohésion territoriale et sociale, afin de préserver une Union solidaire qui vienne en aide à l'économie réelle et lutte efficacement contre le chômage des jeunes.

L'augmentation des investissements consacrés à la recherche et à l'innovation permettra à l'Union de conforter son rôle de chef de file dans les domaines scientifique et technologique. Ces investissements, ajoutés à ceux consentis dans le domaine de la formation, constituent le socle d'une politique industrielle compétitive, à même de tirer parti des possibilités offertes par la révolution numérique. Ils sont, en outre, essentiels pour garantir une durabilité et une sécurité énergétique accrues.

La défense, la sécurité, le contrôle des frontières et des flux migratoires, le développement de l'Afrique et l'intégration des Balkans occidentaux sont autant de défis cruciaux, que seules des ressources adéquates nous permettront de relever.

Il importe de parvenir à un accord-cadre sur la taille du budget et sur ses principaux chapitres avec le Parlement actuel, de sorte qu'un budget opérationnel soit envisageable dès 2021.

Une industrie et un marché de la défense

Le Parlement a approuvé la création d'un fonds pour l'industrie de la défense auquel le prochain budget devrait accorder une enveloppe de 10,5 milliards: 3,5 milliards pour la recherche et 7 milliards pour l'industrie.

Il s'agit d'une base propice à une industrie et à un marché de la défense de l'Union, avec à la clef des économies d'échelle. Il est essentiel de mettre au point des technologies, des prototypes, une interopérabilité ainsi que des normes communes pour que nos moyens militaires puissent interagir, et, partant, mener des missions à l'étranger.

Tel est le point de départ pour pouvoir disposer d'une défense commune, d'une armée européenne, et rationaliser les dépenses militaires. Il faudra en passer par là si nous voulons nous affirmer sur la scène mondiale et garantir de façon plus efficace la sécurité de nos concitoyens.

FBI européen et contrôle des frontières extérieures
Le Parlement et la Commission proposent une forte augmentation des ressources pour la sécurité, la lutte contre le terrorisme et le contrôle aux frontières extérieures

Ce n'est qu'en travaillant ensemble, dans un meilleur climat de confiance entre nos services de renseignement, que nous pourrons protéger nos citoyens.

Personnellement, j'estime que nous avons besoin d'un véritable FBI européen, avec un système d'échange d'informations plus efficace entre les services de renseignement. Je pense également à une agence européenne qui permettrait de tracer les opérations financières liées au terrorisme ou à d'autres infractions transnationales,

Ce sont là quelques-unes des idées actuellement à l'étude au sein de la nouvelle commission spéciale créée par notre Parlement pour renforcer la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.

Nous devons préserver cette grande conquête qu'est l'espace Schengen. Plutôt que la menace d'envoyer les chars au Brenner ou de mener des frappes au-delà des frontières à Bardonnèche, montrons à nos citoyens notre capacité à unir nos forces pour contrôler les frontières extérieures de l'Union.

L'exécutif européen a bien fait de proposer d'augmenter le contingent des garde-frontières de Frontex de 1 200 à 10 000 femmes et hommes.

Gestion des flux migratoires
Déjà depuis novembre dernier, le Parlement a adopté, à une vaste majorité, la réforme du règlement de Dublin pour un régime d'asile européen équitable, solidaire et efficace. Et le Conseil, lui aussi, a enfin abordé ce dossier.

Le Parlement ne peut accepter que soit bouleversé l'équilibre nécessaire entre responsabilité et solidarité. Les États qui, de par leur situation géographique, portent le poids de crises humanitaires internationales, ne peuvent se retrouver seuls, en première ligne. Tous les pays européens, et je dis bien tous, se doivent de respecter les valeurs fondamentales de notre Union: accueillir quiconque fuit les conflits, la violence ou les persécutions.

Une réforme du règlement de Dublin qui prévoirait uniquement de nouvelles obligations pour les États de premier accueil, en faisant l'impasse sur une répartition équitable des demandeurs d'asile, signerait un revirement catastrophique dans la poursuite du renforcement de l'Union européenne. Si elle se montre incapable d'être solidaire sur la question des réfugiés, l'Europe risque de perdre son âme.

Dans le même temps, nous devons faire preuve de fermeté pour repousser ou renvoyer rapidement dans leur pays ceux qui n'ont pas le droit de venir en Europe.

Tout comme nous avons fermé la route des Balkans grâce à des investissements et à des accords avec des pays tiers, nous devons fermer les autres corridors en Méditerranée. L'Europe doit investir au minimum des ressources comparables à celles qui ont été mobilisées avec la Turquie et la Jordanie en Libye, en Tunisie, au Maroc, au Tchad, au Niger et au Mali, dans le cadre d'une diplomatie économique et de sécurité ferme.

Il s'agit d'appliquer des procédures européennes pour l'asile et le retour à la fois plus rapides et plus efficaces, assorties d'accords économiques et de quotas d'immigration légale en provenance des pays tiers.

Une stratégie pour l'Afrique
Si l'on veut maîtriser ce phénomène, il convient d'affronter les flux migratoires à la racine. D'ici 2050, la population africaine aura doublé pour dépasser les 2,5 milliards d'habitants. Désertification, pandémies, terrorisme, chômage, mauvaise gouvernance sont autant de fléaux qui contribuent à une immigration échappant à tout contrôle. Si nous n'agissons pas pour juguler ces phénomènes, les nouvelles générations arriveront en Europe, en quête d'espoir et d'avenir.

Nous avons besoin d'un plan Marshall pour l'Afrique. L'actuel fonds de développement, qui a été approuvé par le Parlement, dispose à peine de 3,4 milliards d'euros, une somme tout à fait insuffisante pour relever ces défis. Nous demandons que le prochain budget puisse prévoir au moins 40 milliards d'euros lesquels, grâce à un effet levier, deviendront 500 milliards

Ces fonds devraient attirer davantage d'investissements dans les infrastructures, les transferts de technologie, l'utilisation rationnelle des ressources et la formation, et contribuer au développement d'une base manufacturière et d'une agriculture moderne. Tout en créant des belles perspectives pour les entreprises européennes.

Pour une Union qui s'affirme sur la scène mondiale
Une part importante des flux migratoires venus d'Afrique du Nord et du Proche-Orient est la conséquence de l'instabilité à nos frontières. Une Union qui s'affirme davantage sur la scène mondiale peut contribuer à réduire cette instabilité, en oeuvrant pour la paix. Aujourd'hui plus que jamais, c'est ce que nous demandent les Européens, c'est pourquoi il est essentiel d'être unis et de renforcer nos moyens d'action.

Les Balkans
Lors de mes missions au Monténégro et en Serbie, j'ai souhaité insister sur l'importance d'ouvrir une perspective européenne claire, propice à la stabilité dans l'ensemble de la région.

La semaine prochaine, lors du sommet de Sofia sur les Balkans occidentaux, j'insisterai sur la nécessité d'accélérer le processus d'intégration qui est essentiel, notamment pour lutter contre le terrorisme et améliorer le contrôle aux frontières. Il nous faut également renforcer notre présence politique et économique dans une région assiégée par la Chine, la Turquie, les Émirats ou la Russie.

Notre objectif doit être clair: parvenir à finaliser les premières adhésions dès 2025. Ce n'est que comme cela que nous pourrions arrimer solidement leur avenir à celui de l'Union.

Pour un commerce ouvert et équitable
Les entrepreneurs européens sont à la pointe dans les domaines de la qualité et des technologies dans de nombreux secteurs. N'oublions pas que 70 % des produits haut de gamme sont fabriqués en Europe. Le protectionnisme et les guerres commerciales ne servent pas l'intérêt de nos travailleurs et de nos entreprises.

Il est dans notre intérêt de continuer à encourager l'ouverture des marchés, en faisant toutefois preuve de vigilance, de probité et en veillant à la réciprocité et aux conditions équitables des échanges.

L'aboutissement des négociations avec la Corée et le Canada, et plus récemment, le Japon, Singapour et le Mexique, comporte des avantages pour les entreprises et les consommateurs car ces accords protègent la santé, la sécurité et la propriété intellectuelle.

Nous devons continuer sur cette voie avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili et le Mercosur.

Toutefois, nous ne pouvons pas jouer à onze contre onze chez nous, et à neuf contre treize en Chine. C'est pourquoi le Parlement s'est battu avec succès pour ne pas donner à la Chine le statut d'économie de marché et assurer le maintien d'instruments antidumping adéquats.

Les États-Unis, un allié naturel et nécessaire
La décision de Donald Trump d'imposer des droits sur les importations d'aluminium et d'acier en provenance de l'Union européenne est incompréhensible et injustifiée.

Le report, de mois en mois, de l'application de ces droits engendre une incertitude délétère pour les investissements et l'industrie, et nuit tant à l'Europe qu'aux États-Unis.

Au nom du Parlement, je demande que l'Union européenne soit définitivement exemptée de ces droits. Le président Trump doit comprendre que nous sommes de ceux qui respectent les règles, et pas de ceux qui les violent.

La menace de l'application de ces droits a eu pour effet de refroidir les relations avec un partenaire que nous considérons comme notre allié naturel. Nous restons amis; nous partageons des valeurs, une culture, des langues et de nombreux intérêts stratégiques. Mais il est indéniable que la suspension du PTCI, les tensions relatives aux échanges commerciaux, les messages équivoques concernant le Brexit et le processus d'intégration européenne, ainsi que la sortie de l'accord sur le climat ont contribué à l'éloignement des deux rives de l'Atlantique.

Le président des États-Unis a récemment - et opportunément - rappelé qu'America first ne signifiait pas America alone.

Espérons que ce ne soient pas que des mots. Une coopération fructueuse entre les États-Unis et l'Union est essentielle pour relever les défis communs du terrorisme et instaurer la paix et la stabilité depuis l'Afrique jusqu'au Proche-Orient, et depuis l'Afghanistan jusqu'en Corée du Nord.

Un marché et une monnaie équitables
L'Union dispose d'un instrument exceptionnel pour générer de la croissance et de l'emploi: le marché unique. Pour tirer parti de son immense potentiel encore inexploité, nous devons retrouver la flamme qui animait ses précurseurs, à l'époque où la volonté politique l'avait emportée sur les protectionnismes et les égoïsmes nationaux.

Aujourd'hui, pourtant, nous assistons à un recul dangereux et courons le risque d'une fragmentation en 27 marchés restreints. Nous sommes encore loin d'un véritable marché des services, du numérique, des capitaux ou de l'énergie dotés d'infrastructures dignes de ce nom.

Si nous voulons conquérir de nouveaux espaces de liberté pour les consommateurs et les entreprises, il est impératif de réconcilier le marché intérieur avec notre modèle d'économie sociale de marché. À défaut de mesures correctrices contre les délocalisations, le dumping social ou fiscal et la domination des géants du web, les citoyens s'opposeront toujours plus à un processus d'intégration perçu comme dommageable et injuste.

Faire partie d'un espace de libre circulation, c'est aussi avoir le sens des responsabilités et de la solidarité. Les plus de 2 000 décisions fiscales anticipées au profit des multinationales ou des géants du Web ne montrent certainement pas le bon exemple. Elles sont autant de recettes perdues pour les autres États; sapent la confiance des citoyens et appauvrissent l'ensemble de l'Union.

Ces comportements prédateurs représenteraient une base imposable dissimulée d'au moins 600 milliards d'euros par an, faisant ainsi perdre plus de 100 milliards de recettes aux pays de l'Union européenne. C'est pourquoi le Parlement et la Commission proposent d'imposer les plates-formes, tout comme les multinationales, là où elles créent de la valeur.

La concurrence en matière de fiscalité entre les États à l'intérieur d'un même marché n'est acceptable que si tout le monde joue le jeu. Le Parlement demande d'arriver à un assiette fiscale minimum pour les entreprises européennes. Les accords fiscaux fixant des taux inférieurs devront être considérés comme des aides d'État qui faussent la concurrence et nuisent au fonctionnement du marché intérieur.

Ces pratiques, ainsi que d'autres pratiques déloyales, telles que les subventions et les normes sociales minimales, conduisent à remettre en cause la mobilité des entreprises et des travailleurs. Que dire à celui qui perd son emploi en raison d'une délocalisation de l'entreprise dans un autre État membre, peut-être à cause des fonds européens ?

La proposition d'une agence pour l'emploi avec un rôle de médiation dans le cadre de restructurations d'entreprises et de la reconversion des travailleurs, va dans la bonne direction pour affronter ces situations. En attendant que l'agence soit opérationnelle, j'ai proposé de créer une task force chargée de traiter les questions d'emploi.

Une Union économique et monétaire plus solidaire
Le Parlement travaille à un véritable marché européen des capitaux qui facilite le financement de l'économie réelle.

À cette fin, l'union bancaire doit devenir une réalité dans les plus brefs délais. Or, on constate une tendance dangereuse à placer la barre toujours plus haut, peut-être pour reporter sine die l'étape fondamentale du renforcement de la confiance.

Il convient d'adopter une approche équilibrée des prêts non performants. Nous avons tous intérêt à ce que les banques soient solides. Mais il revient à ces dernières de supprimer progressivement ces prêts non performants, souvent garantis par des hypothèques sur des biens immobiliers dont il est tenu compte. La commercialisation de tels prêts ne profite qu'aux fonds spéculatifs et affaiblit les banques, plutôt qu'elle ne les renforce.

Une approche équilibrée signifie également tenir compte de manière égale de tous les risques, y compris dérivés

Toute mesure qui contribue à augmenter la divergence entre des pays de la zone euro, comme le fait de «dévaluer» les valeurs du Trésor détenues par les banques au moyen d'une notation plus faible, a pour effet de fragiliser davantage l'union monétaire.

Pour ne pas rester au milieu du gué et risquer de nous enfoncer dans une nouvelle crise, nous devons achever l'union économique et monétaire. Égoïsme et méfiance ne sont certainement pas la solution, mais ici encore, la solidarité et la responsabilité sont essentielles.

Au-delà de l'union bancaire, la convergence de notre économie passe par l'union économique et l'union fiscale, et une banque centrale européenne dotées de pouvoirs analogues à ceux de la réserve fédérale américaine.

Il nous faut renforcer les mécanismes pour amener les États à rendre leurs économies plus efficaces. La proposition de la Commission d'affecter 55 milliards dans le prochain budget au soutien des réformes, constitue un pas dans la bonne direction.

Les pays, comme l'Italie, qui affichent une croissance inférieure par rapport aux autres, doivent prendre leurs responsabilités Il est trop facile de continuer à chaque fois à rejeter la faute sur Bruxelles et sur l'euro. Il y a moins de croissance car la politique nationale n'a pas fait assez pour la compétitivité et l'emploi.

Il ne suffit pas de critiquer le fonctionnement actuel de la monnaie unique. Il est du devoir de la politique de proposer des solutions réalistes pour venir à bout des difficultés. Faire croire que les problèmes trouvent leur solution en sortant de l'euro ou de l'Union, revient à diffuser des informations mensongères, à s'attirer les votes en répandant de dangereuses illusions sur le dos des entreprises, des travailleurs et de l'épargne.

Celui qui, pris d'un élan de légèreté, propose un référendum sur l'euro, n'a pas appris la leçon du Brexit, avec toutes les nuisances que cela apporte aux Européens, les Anglais en premier.

Pour comprendre la catastrophe à laquelle nous conduisent ceux qui soufflent sur la braise du mécontentement, il suffit de voir ce qui se passe en Argentine. La sortie de l'euro signifierait tout simplement un désastre: les queues aux guichets, une inflation à deux chiffres, une augmentation de la dette, l'évaporation de l'épargne, d'innombrables faillites et chômage.

Maîtriser la technologie
La révolution technologique, le numérique, la robotique et l'intelligence artificielle transforment en profondeur le monde du travail et la compétitivité.

Les politiques européennes doivent régir ces transformations. Elles doivent soutenir à la fois les efforts des industriels et ceux des travailleurs.

Le prochain budget doit prévoir de solides investissements dans la formation pour une adaptation des compétences. Il est inutile de taxer les robots, car cela équivaudrait à taxer la production. Au contraire, nous devons détaxer le travail humain.

Le scandale autour de Cambridge Analytica et Facebook montre également combien il est urgent de se doter d'une bonne réglementation.

Le 25 avril dernier, j'ai soutenu avec Mariya Gabriel, commissaire européenne chargée de l'économie numérique, une conférence sur ce thème organisée dans l'hémicycle du Parlement.

La révolution numérique a besoin de liberté, tant pour exprimer son potentiel de croissance et d'emplois que pour poursuivre son développement technologique. Mais il ne faut pas non plus oublier que, dans nos démocraties libérales, la liberté s'accompagne d'obligations.

Ce n'est toutefois pas toujours le cas aujourd'hui. C'est en partie dû au développement fulgurant des applications numériques, mais c'est aussi imputable à une erreur de conception idéologique, qui voit dans toute intervention réglementaire, un frein. C'est comme si, au début du siècle dernier, on avait protesté contre la mise en place d'un code de la route ou de disjoncteurs différentiels, sous prétexte de ne pas entraver le développement de l'automobile ou de l'électricité.

Dans les faits, une bonne réglementation est facteur de confiance, d'investissements, de développement technologique et de croissance.

Bon nombre de plates-formes numériques ont aussi un rôle d'éditeur et se remplissent les poches grâce aux revenus publicitaires, qu'elle soustraient aux médias traditionnels. Elles doivent donc être tenues responsables de leur contenu éditorial.

Elles ne peuvent pas diffuser impunément des contenus pédopornographiques, proposer illégalement la vente d'armes, relayer des messages de radicalisation et de propagande terroriste, inciter à la haine raciale, promouvoir des contrefaçons ou se faire l'écho d'informations manifestement fausses.

La liberté d'expression et d'information doit être assortie de la responsabilité de contrôler la véracité des contenus. Le droit de nos citoyens à une information correcte doit être respecté.

En Europe, 250 millions de personnes utilisent internet tous les jours, et 99 % d'entre eux ont déjà été confrontés à des informations mensongères diffusées par des plate-formes en ligne. Parmi ces personnes, 83 % estiment que les informations manifestement fausses représentent une menace pour la démocratie.

Je me félicite d'avoir répondu, avec la commissaire Gabriel, aux souhaits du Parlement en proposant d'agir pour lutter contre la désinformation. Les géants du web se verront offrir la possibilité de s'autoréguler grâce à un code de conduite. En l'absence d'action efficace de leur part, la Commission proposera des mesures législatives.

Les plates-formes doivent être soumises aux mêmes règles que les autres entreprises en matière de protection des travailleurs, des consommateurs, des règles de transparence, de la fiscalité ou de la propriété intellectuelle. C'est à cette condition que l'on garantira une concurrence loyale avec les acteurs traditionnels.

Une bonne réglementation, c'est aussi trouver le juste équilibre entre liberté et respect de la vie privée. Une nouvelle réglementation européenne entrera en vigueur le 25 mai. Elle garantira notamment le droit à l'oubli, le droit d'être protégé contre l'envoi de courriels publicitaires non sollicités ainsi que le droit de savoir quand et comment nos données à caractère personnel ont été utilisées à notre insu.

L'affaire Cambridge Analytica nous rappelle qu'il ne faut pas baisser la garde. Dans la perspective des élections européennes, nous devons tirer au clair les rumeurs selon lesquelles nos données auraient pu être utilisées pour manipuler le résultat électoral. C'est pour cela que j'ai invité Mark Zuckerberg à venir s'expliquer personnellement devant le Parlement. Je compte sur sa coopération pleine et entière pour restaurer la confiance de nos citoyens.

Une Union plus démocratique
Outre un budget approprié et un marché et une monnaie plus équitables, nous devons renforcer le rôle du Parlement et la participation démocratique.

La seule institution où siègent les représentants élus de 500 millions de citoyens doit disposer de la plénitude des pouvoirs, à l'instar des assemblées nationales, et, en premier lieu, du pouvoir d'initiative législative. Cela implique que l'autre chambre, celle des États, s'exprime toujours à la majorité, y compris sur la fiscalité, la sécurité, l'asile ou l'immigration.

Le Parlement a approuvé, à une large majorité, la procédure des candidats têtes de liste (Spitzenkandidaten). Cette procédure prévoit que tous les groupes politiques européens désignent leur candidat à la présidence de la Commission. Le candidat du groupe politique qui compte le plus grand nombre de députés au sein du prochain Parlement sera désigné pour présider la Commission.

C'est un cap franchi sur la voie d'une Europe plus politique et plus démocratique, après lequel il ne faudra plus revenir en arrière.

La consolidation du processus démocratique est la voie à suivre pour rapprocher l'Europe des citoyens, en associant ceux-ci aux décisions qui concernent leur avenir. Les Européens veulent que la politique, et non la bureaucratie, guide l'Union. J'ai exigé le respect des prérogatives du législateur de l'Union européenne bloquant les bureaucrates de la surveillance prudentielle de la BCE qui voulaient adopter des mesures normatives concernant les prêts non performants.

Associer le Parlement à la réforme des traités
La signature de la déclaration de Rome le 25 mars 2017 a ouvert le débat sur l'avenir de l'Union.

Le Parlement, comme moteur de la démocratie, joue un rôle central dans la promotion du changement. Les chefs d'État ou de gouvernement se succèdent à chaque session plénière pour présenter leurs idées et tenir un véritable débat avec les représentants des peuples européens.

Depuis le début de l'année, les premiers ministres irlandais, croate, portugais et belge, ainsi que le président français, ont ainsi pris la parole. Pour les prochains mois, nous attendons les leaders politiques du Luxembourg, des Pays-Bas, d'Autriche, de Pologne, de Roumanie, d'Estonie et d'Espagne, ainsi que la chancelière allemande.

Le succès de ces débats est encourageant car ils font sortir des cercles restreints des Sherpas les propositions et idées sur les changements nécessaires pour les rendre plus accessible aux citoyens.

Conclusions
Notre identité européenne trouve ses racines dans plus de trois mille ans d'histoire. L'Europe, c'est bien plus qu'un simple marché ou une monnaie. Faire connaître à tous cette histoire, investir dans la culture, dans le programme Erasmus, c'est faire grandir les citoyens de demain.

Aujourd'hui, au sein de l'Institut universitaire européen, je tiens à souligner l'importance d'une École qui prépare notre classe dirigeante. Je me félicite de la signature de l'accord de partenariat entre le Parlement et l'Institut universitaire européen, qui fait référence à cette École.

Aujourd'hui, l'Union est à la croisée des chemins. Nous pouvons écouter le chant des sirènes qui nous incitent à nous replier à l'intérieur de nos frontières, et nous laisser bercer par l'illusion que nous sommes à l'abri des périls du monde. Ou nous pouvons décider de poursuivre sur la voie de l'Europe.

Les dirigeants européens doivent voir plus loin que leurs intérêts électoraux, Ils doivent faire preuve d'une vision d'ensemble orientée vers l'avenir. C'est seulement comme cela que nous apporterons des réponses à nos concitoyens sur la sécurité, l'immigration et le chômage.

Le fil conducteur de mon mandat est de rapprocher l'Europe de ses peuples, en redonnant la priorité à la politique et en défendant la place centrale ainsi que les prérogatives du Parlement.

Cette institution est un pont qui enjambe le fossé séparant le «donjon» européen des citoyens; elle est la clef qui permettra de rouvrir nos portes. Un renforcement de son rôle passe par l'écoute et la parole donnée à 500 millions de personnes qui ne sont pas contre l'Europe mais qui souvent la critiquent en raison de son manque d'efficacité.

La sortie du Royaume-Uni montre que l'Union n'a pas toujours été à la hauteur, mais également que la sortie de l'Union cause un dommage irréparable.

Pour éviter qu'apparaisse un nouveau processus de désagrégation, il faut que nos citoyens retrouvent la passion pour la grande aventure qu'est l'Europe. Nous la devons à ceux qui nous ont apporté 70 années de paix et de prospérité.

Nous la devons aux nouvelles générations qui méritent un héritage tout aussi précieux.