Comment la lumière et le vent modèlent les arbres

INRA - Institut National de Recherche Agronomique - 20/10/2017 16:45:00

Comprendre la forme des arbres... Pour atteindre cet objectif, un groupe de recherche interdisciplinaire de Centrale Marseille, de l'Inra, d'AgroParisTech, du CNRS, d'Aix-Marseille Université1, a mis au point un modèle original simulant l'évolution d'une forêt pendant plus de 200 000 ans. Les arbres qui poussent dans cette forêt virtuelle sont en compétition pour l'accès à la lumière, ajustent leur croissance en réponse au vent et sont soumis à des tempêtes qui peuvent casser leurs branches. Lumière et vent sélectionnent des formes fractales dont les invariants d'échelle* sont similaires à ceux observés par les écologues et les forestiers sur les arbres. L'action conjointe du vent et de la lumière peut ainsi expliquer comment la forme des arbres a émergé, au cours de l'évolution. Ces résultats sont publiés le 18 octobre 2017 dans Nature Communications.

Un groupe interdisciplinaire de chercheurs, associant des biomécaniciens et des écophysiologistes des arbres de l'Inra et d'AgroParisTech, des physiciens des systèmes complexes de l'Ecole Centrale de Marseille et du CNRS, a entrepris le pari de simuler un monde virtuel où des arbres croissent, se reproduisent et meurent sur des périodes telles que l'on peut suivre leur évolution darwinienne. Ils ont ensuite utilisé ce modèle pour tester une hypothèse audacieuse : et si les lois décrivant la forme des arbres avaient pu émerger en réponse à la compétition pour la lumière et aux dangers liés au vent ?

Un arbre virtuel à la pointe des dernières connaissances

Les scientifiques ont utilisé les dernières connaissances sur les réponses des plantes à la lumière et au vent pour construire un modèle de développement d'arbre. Les arbres virtuels sont capables d'intercepter la lumière, de répartir les produits de la photosynthèse entre organes, d'initier des branches, mais aussi de produire des graines qui germent après être tombées. Surtout, le modèle inclut deux découvertes récentes : la localisation des nouvelles branches qui bourgeonnent dépend de la lumière reçue et la croissance en diamètre des branches est pilotée par la perception des déformations au vent, un phénomène appelé thigmomorphogénèse qui contrôle, pour une grande part, la production de bois sous nos climats. Le modèle incorpore également des connaissances en météorologie et en biomécanique afin de simuler la casse au vent lors de tempêtes. Ces processus ont été intégrés dans un modèle informatique innovant, permettant des calculs à haute performance.

Des îles, des graines, la sélection naturelle ... et des milliers d'heures de calcul

Il ne restait plus qu'à semer des graines virtuelles et laisser la sélection naturelle faire son oeuvre. Mais comment prendre en compte la variabilité génétique ? Tous les processus de l'arbre virtuel dépendent de paramètres quantitatifs décrivant la sensibilité à la lumière, au vent ou les priorités concernent la distribution des produits de la photosynthèse. Ces paramètres peuvent être interprétés comme des gènes de l'arbre. Il suffit alors d'imaginer que leurs valeurs peuvent varier, de génération en génération, par des mutations génétiques aléatoires. L'évolution est ensuite simulée sur une île virtuelle, baignée de soleil et de vent. Pourquoi une île ? Parce qu'on peut supposer qu'elle est isolée et ne reçoit pas de graine ou de pollen d'autres endroits. Et aussi parce que les études d'écologie évolutive ont montré que les îles assuraient une sélection rapide.

Ainsi, le programme informatique, appelé MechaTree, permet d'ensemencer des centaines d'îles virtuelles avec des graines dont les paramètres-gènes sont aléatoires. Les arbres germent, poussent, une forêt dense se développe. Les individus moins favorablement pourvus génétiquement disparaissent (c'est l'auto-éclaircie), les autres se reproduisent plus ou moins, c'est la sélection naturelle (virtuelle ici !). Puis les graines germent à nouveau, certaines espèces dominent l'île, d'autres disparaissent parfois.

Des milliers d'heures de calcul plus tard, représentant près de 200 000 ans de la vie d'une forêt, les chercheurs ont pu étudier les arbres des espèces survivantes. Et là, heureuse découverte : ces forêts et ces arbres présentaient toutes les lois d'échelles observées sur les arbres* : la loi d'auto-éclaircie, la dimension fractale, les allométries de taille avec le diamètre et même... la fameuse loi de Léonard de Vinci !

Une sélection naturelle par le couple vent-lumière... mais pas seulement

Qu'en conclure sur la sélection de la forme des arbres ? Le modèle développé permet de préciser les rôles joués par la lumière et le vent. Il apparaît que la transparence du feuillage et la compétition pour la lumière sont les premiers déterminants de la dimension fractale de l'arbre. De son côté, la réponse au vent, la thigmomorphogénèse, contrôle l'évolution du diamètre des branches.

Selon les chercheurs, d'autres facteurs ont pu jouer dans la sélection naturelle, comme le transport hydraulique de sève. Il est même probable qu'en fonction de l'environnement où ont évolué les espèces, c'est la conduction de la sève ou la résistance au vent qui a exercé la plus grande pression sélective. Cette étude a cependant démontré que le couple lumière-vent joue un rôle crucial dans la forme des arbres. Cette découverte change la donne en écologie forestière, mais elle change aussi nos représentations de ce qu'est un arbre et de ce qui a fait les arbres actuels !

* Les invariants d'échelle chez les arbres

Les arbres appartiennent à des groupes phyllogénétiques variés et il semble que le port arborescent ait été inventé plusieurs fois au cours de l'évolution. Quelles sont les caractéristiques de forme communes aux arbres actuels ? Et comment ces caractéristiques ont-elles émergé ? Ces questions ont traversé les âges.

Léonard de Vinci (c. 1478 - 1518), déjà, avait remarqué que, dans un arbre, la somme des sections des branches portées par un tronc est égale à la section de ce dernier. Plus tard avec l'avènement des fractales, on a pu montrer que les arbres se structuraient de manière auto-similaire, avec une dimension fractale de l'ordre de 2.5. Dans le même temps, forestiers et écologues repéraient des lois d'échelle dites allométriques au sein des populations arborées. Ces lois relient, par exemple, la masse moyenne des individus et le nombre d'individus par hectare (loi d'auto-éclaircie) ou la hauteur de l'arbre et le diamètre de son tronc. On parle ici d'allométrie quand deux quantités, x et y, sont reliées par une loi de puissance du type y = k xa. Enfin, au niveau de l'arbre, on pouvait observer des lois de défilement du diamètre assez largement partagées.

Mais qu'est ce qui pouvait expliquer toutes ces lois empiriques ? Jusqu'alors, l'explication la plus communément admise était que la forme des arbres résulte de deux lois : une loi de maximisation de la performance hydraulique dans la conduction de la sève des racines vers les feuilles, et une loi de portée mécanique maximale leur évitant de s'effondrer sous leur propre poids (flambage). Mais cette explication a des faiblesses. Tout d'abord elle est statique : comment les arbres s'y prennent-ils pour satisfaire ces lois au cours de leur croissance ? On ne peut le dire. Par ailleurs, elle ne dit rien sur la façon dont l'évolution a pu sélectionner ces fonctions optimales. Enfin, elle néglige deux facteurs tout aussi cruciaux que la conduction d'eau ou le flambage pour les plantes terrestres : la compétition pour la lumière et la résistance au vent. Ce sont ces différents aspects que cette nouvelle étude vient éclaircir.

1Les chercheurs de ce groupe interdisciplinaire appartiennent aux unités suivantes : « Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre (IRPHE) » Aix-Marseille Université-CNRS-Centrale Marseille ; « Laboratoire de Recherches sur la Forêt et le Bois (LERFoB) » Inra- AgroParisTech ; et « Physique et physiologie Intégratives de l'Arbre en environnement Fluctuant (PIAF) » Inra- Université Clermont-Auvergne.