Rapport sur l'égalité professionnelle dans la fonction publique

Laboratoire de l'Egalité - 27/03/2017 12:45:00


« On dit que le temps change les choses, mais en fait le temps ne fait que passer et nous devons changer les choses nous-mêmes ». - Andy Warhol

Par une lettre en date du 1er juillet 2016, le Premier Ministre m'a confié une mission portant sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Cette mission vise à identifier les éventuelles discriminations existantes dans le système de promotion de la fonction publique conduisant à des écarts de traitements et de pensions entre les femmes et les hommes. La mission est invitée à analyser les grilles indiciaires et les compléments de salaire à niveau de responsabilité équivalente quel que soit le corps de la fonction publique ainsi que les parcours de carrière offerts et les freins qui peuvent empêcher les femmes de dérouler ces parcours.

Durant nos travaux, j'ai souhaité que la mission s'inscrive dans la perspective de fournir un rapport utile qui permette, à travers plusieurs propositions s'échelonnant du court au long terme, de la pratique à la loi organique, de faire progresser le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique lequel, de l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées, représente un véritable enjeu présentant de réelles marges de progression.

La mesure même des inégalités est apparue comme un sujet à part entière. L'existence même d'inégalités de rémunérations dans la fonction publique peut prêter à question puisque le système indiciaire n'établit pas de distinction entre femmes et hommes. Le temps d'un traitement différencié de la part de l'Etat, établi par des textes tels que le décret du 30 décembre 1907 est heureusement révolu. Mais des fonctionnaires qui se sont manifestés à l'occasion de cette mission à travers leurs témoignages ont émis des doutes quant à l'existence d'inégalités. Or elles sont bien là. Au sein des corps et des cadres d'emploi. Entre les filières. Au long de la carrière. Au quotidien, parfois, dans les relations entre agent.e.s.

La mission a pu constater rapidement que si de nombreux rapports et études sont disponibles, ces documents s'inscrivent rarement dans une échelle de temps long - témoignant ainsi de la prise en compte relativement récente du sujet de l'égalité professionnelle - et permettent difficilement une analyse croisée de leurs données dont les caractéristiques varient sensiblement. Comment concevoir des politiques publiques efficaces en faveur de l'égalité professionnelle si le sujet est mal mesuré et si son analyse repose sur des données partielles ? La mission s'est attachée à mesurer le phénomène à travers le recueil d'un maximum d'éléments sans avoir pu disposer en nombre d'outils globaux tels que des études de cohorte.

Pour cette raison, la mission a tenu à consulter aussi largement que possible : ce sont donc 49 auditions qui ont été conduites. Dans le même esprit, la mission a souhaité pouvoir recueillir les témoignages directs des personnes faisant l'objet même de ses travaux : les fonctionnaires et les agent.e.s. Grâce à un questionnaire en ligne hébergé sur le site du ministère de la Fonction publique, ce sont 856 témoignages d'agent.e.s public.que.s qui ont été recueillis du 14 octobre au 15 décembre 2016

A travers plusieurs de ces témoignages - souvent venus d'hommes mais pas uniquement - un certain nombre d'angoisses se sont exprimées, témoignant de la sensibilité du sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes. N'en fait-on pas trop ? Existe-t-il véritablement un problème ? Les femmes ne sont-elles pas trop favorisées par les plus récentes mesures ? Ne crée-t-on pas un déséquilibre trop grand entre les un.e.s et les autres ? Ne serions-nous pas dans un effet de mode ? Ne privilégierions-nous pas le sexe sur les compétences ?

Autant de questions et de sources d'inquiétude que la mission espère pouvoir lever en partie grâce à ses travaux tout en insistant sur un élément essentiel : toute avancée dans la direction de l'égalité professionnelle réelle profite à tous. De nombreux exemples ont été fournis pendant les auditions pour illustrer le fait que nombre d'avancées conçues initialement pour les femmes se sont révélées représenter des progrès pour tous. Ainsi l'arrivée de femmes dans des professions très masculinisées a été synonyme d'avancées pour leurs collègues masculins comme dans la gendarmerie où les plannings étaient faits la veille pour le lendemain. L'arrivée des femmes a été l'occasion de repenser l'organisation pour une gestion plus anticipée. Au bénéfice de tous.

Encore faut-il que les femmes puissent entrer. Il faut parfois forcer quelque peu la porte. Nombre d'acteurs auditionnés, nombre de fonctionnaires ayant témoigné ont exprimé leur inconfort avec l'idée qu'il fallait parfois des mesures contraignantes - comme le dispositif des nominations équilibrées - pour que les choses avancent. Mais chacun en a reconnu la nécessité. Il a fallu passer par la loi pour faire progresser la parité dans le monde politique. Il faut aussi passer par des outils contraignants pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, fut-il public.

Dès le départ, femmes et hommes ne se présentent pas devant la porte d'entrée des écoles de la fonction publique sur un plan d'égalité. Une éducation structurellement inégalitaire a déjà jeté les bases d'une différenciation dès le stade du concours. Comme l'a exprimé l'une des personnes auditionnées : « La construction de l'ambition et de la légitimité a pris deux chemins parallèles chez les filles et les garçons. » Par différents effets que la mission s'est attachée à identifier, lorsqu'ils sortent de la fonction publique, femmes et hommes ne sont plus sur le pied d'égalité qu'on pouvait leur prêter - à tort - avant qu'ils ne franchissent le pas de la porte des écoles du service public : moindre rémunération en cours de carrière, moindre retraite à la sortie et moindre progression de carrière sont les constats sautant le plus aux yeux. La mission s'est attachée à expliquer les facteurs conduisant à cette situation dont la puissance publique, en sa qualité d'employeur et en raison de son rôle prescripteur, ne peut se satisfaire et dont elle ne se satisfait pas comme le prouvent les différentes mesures volontaristes prises par l'Etat depuis 2012 et dont cette mission est l'un des aspects, la plus importante d'entre elles demeurant le protocole d'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique du 8 mars 2013.

Cette volonté de changement et de progrès, la mission l'a rencontrée auprès de ses différents interlocuteurs, qu'il s'agisse des acteurs des trois versants de la fonction publique, au cours des auditions, ou bien encore à travers les témoignages. Parce qu'elle est pleinement inscrite dans la société française, la fonction publique en reproduit aussi les biais et les inégalités mais sa volonté de faire évoluer la situation dans le sens du progrès ne saurait être démentie. La question est désormais identifiée même si sa prise en charge peut s'opérer de manière hétérogène.

Il existe un terrain favorable pour porter les politiques d'égalité en ce sens que les acteurs sont convaincus de leur bien fondé et partagent de nombreuses analyses de diagnostic quant à la situation actuelle.

La mission constate également que l'environnement dans lequel ce diagnostic - globalement partagé - s'inscrit, est par ailleurs soumis à de fortes évolutions qui peuvent présenter des risques en matière d'égalité entre les femmes et les hommes : réforme territoriale en ce qui concerne la fonction publique territoriale, modernisation de l'action publique pour la fonction publique d'Etat, mise en place d'une nouvelle organisation - exemple des groupements hospitaliers de territoire - pour la fonction publique hospitalière, refonte du régime indemnitaire (RIFSEEP), déclinaison opérationnelle du protocole PPCR, etc. Le contexte budgétaire dans lequel opèrent les employeurs publics constitue également une difficulté pour porter des politiques d'égalité qui peuvent avoir des incidences budgétaires importantes. Ces différents éléments apparaissent comme autant de points d'attention et de vigilance pour la mission.

Face à ce contexte, les acteurs publics n'en sont pas moins dépourvus de capacités à innover pour corriger les inégalités identifiées : la mission s'est attachée à valoriser les différentes initiatives qui ont été prises ces dernières années pour aller vers davantage d'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique.

Notre fonction publique est animée de la volonté et de la compétence pour se réformer vers toujours plus d'exemplarité : sachons le reconnaître, le valoriser et l'accompagner.

Françoise DESCAMPS-CROSNIER Députée des Yvelines