CNRS: Le code secret des Luthiers

CNRS - Centre National de Recherche Scientifique - 22/02/2017 19:00:00


Un conservateur du Musée de la musique et un cryptologue du CNRS percent le code secret d'un atelier de lutherie parisien du XIXème siècle - La clé du code est un mot « musical » - Cette découverte donne accès à d'importantes données sur le marché des violons anciens, notamment la cote des prestigieux instruments de Stradivari.

Un code pour cacher le prix des instruments

Au XIXème siècle, l'atelier de luthier Gand & Bernardel était l'un des plus grands fournisseurs de violons de Paris et les musiciens pouvaient y trouver des instruments neufs comme d'occasion parmi lesquels de «grands noms» de la lutherie: Stradivari, Guarneri, Amati, Bergonzi...
L'étude des archives de cet atelier, conservées au Musée de la musique à Paris, et notamment trois registres tenus par Gand & Bernardel, montre que les prix d'achat et prix de réserve des instruments d'occasion sont encodés de manière à cacher ces valeurs aux clients potentiels, et se réserver une position de force dans les négociations : certains montants sont ainsi notés en lettres.
Le secret : un mot « musical »
Jean-Philippe Echard, conservateur au Musée de la musique et chercheur au Centre de recherche sur la conservation (CNRS/MHNH/Ministère de la culture et de la communication) et Pierrick Gaudry, directeur de recherche au Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (LORIA - CNRS/Université de Lorraine/Inria) ont étudié ces registres et révélé le code secret alors utlisé. La clé de ce code est un mot très musical : « HARMONIEUX », chaque lettre remplaçant un chiffre «1234567890», «H» pour 1, «A» pour 2, ... Ce code se veut simple et efficace : facile à convertir rapidement par le marchand-luthier, lui permettant ainsi de mener à bien ses négociations de vente, tout en restant indécelable pour le client, voire pour les employés de l'atelier !

Le marché de la lutherie et son évolution
Ce déchiffrage, une fois appliqué aux plus de 2 500 transactions recensées dans ces registres, permettra d'avoir une image précisément définie du marché de la lutherie au XIXème siècle, et en particulier de distinguer l'évolution des cotes des plus grands luthiers.

L'histoire du violon de Stradivari, le « Tua »

Dans ces registres figure notamment une transaction concernant l'un des instruments phares de la collection
du Musée de la musique : le violon fait par Antonio Stradivari en 1708, connu comme le « Tua ».
Le 29 décembre 1885, Teresa Tua, alors âgée de 19 ans et déjà grand espoir du violon, fait l'acquisition de ce
violon auprès de l'atelier Gand & Bernardel, pour un montant de 8 000 francs.
Le déchiffrage du registre nous dévoile que les luthiers l'avaient eux-même acheté pour 5500 francs, le prix
affiché était alors de 10 000 francs et le prix plancher (ou de réserve), en-dessous duquel la négociation ne
pouvait descendre, de 8 000 francs.
Teresa Tua fit don de ce prestigieux violon au Musée du Conservatoire de Paris en 1935.