Paludisme : des vecteurs communs aux grands singes et à l'homme

IRD Institut de Recherche pour le Développement - 28/04/2016 10:35:00


Des chercheurs de l'IRD, du CNRS1 et du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF - Gabon) ont mené une vaste étude entomologique au coeur des forêts gabonaises. Leur objectif : identifier les espèces de moustiques impliquées dans la transmission du paludisme chez les grands singes d'Afrique centrale. Les scientifiques ont ainsi identifié trois moustiques vecteurs piquant à la fois les gorilles et les chimpanzés, mais aussi l'homme. Ces travaux, publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences le 11 avril 2016, confirment que des transferts de la maladie d'une espèce à l'autre sont possibles.

De récentes études ont montré que ce sont les grands singes qui ont transmis les parasites responsables du paludisme à l'homme il y a des milliers d'années, par l'intermédiaire des moustiques anophèles. De tels transferts sont-ils encore possibles aujourd'hui ? Quelles espèces de moustiques vecteurs pourraient permettre ce passage ?

Les vecteurs chez les grands singes identifiés

Pour le savoir, des chercheurs de l'IRD, du CIRMF et du CNRS ont passé au crible les populations d'anophèles présentes dans les forêts d'Afrique centrale et susceptibles de véhiculer la maladie chez les grands singes. Plus d'un an d'échantillonnage au Gabon leur a permis de collecter plus de 2 400 femelles anophèles appartenant à 18 espèces différentes . Les analyses moléculaires montrent la présence de parasites simiens dans le corps et les glandes salivaires de trois d'entre elles : Anopheles vinckei, Anopheles moucheti et Anopheles marshallii . La première, Anopheles vinckei , présente le nombre le plus élevé d'individus infectés : elle s'avère être le vecteur majeur. Le taux d'infection des moustiques dépend aussi de la hauteur des captures sous la canopée, correspondant aux différentes hauteurs où les singes établissent leurs nids pour dormir, et de facteurs saisonniers, avec un pic lors de la saison des pluies.

Des vecteurs communs aux grands singes et à l'homme

Autre découverte : les trois espèces de vecteurs identifiées transmettent à la fois les parasites des chimpanzés et ceux des gorilles. Ce résultat démontre que les moustiques n'ont pas de préférence pour un hôte en particulier , contrairement à l'hypothèse qui restait posée jusque-là. Les chercheurs ont également observé la propension de ces trois espèces de moustiques à piquer les humains lorsque ces derniers s'aventurent en forêt.

Une barrière génétique poreuse

Ces moustiques, prompts à piquer et les humains et les grands singes, peuvent-ils jouer le rôle de "pont" entre espèces hôtes ? Normalement, une sorte de "barrière" génétique existe : les différentes espèces de parasites Plasmodium restent spécifiques à un hôte déterminé . Mais, sous certaines conditions, cette barrière peut s'avérer poreuse. Dans les cas de bonobos ou de chimpanzés infectés par Plasmodium falciparum , supposé spécifique à l'homme, de tels transferts se sont avérés possibles . A ce jour, seuls les transferts homme - singe ont pu être mis en évidence.

L'existence d'un réservoir naturel remet en question les perspectives d'éradication de la maladie chez l'homme, qui fait encore près de 440 000 victimes dans le monde chaque année. Inversement, des transferts de l'homme vers les grands singes mettent aussi en danger nos proches cousins, déjà fortement menacés d'extinction.

1. Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, Génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC, IRD/CNRS/Université de Montpellier).