Barbara Demeneix - L'impact des polluants sur le corps et la santé mentale

Blog de Barbara Demeneix - 01/04/2015 11:35:00


1) La société Watchfrog utilise des têtards fluorescents afin de détecter les perturbations endocriniennes. Pourriez-vous nous indiquer, en termes simples, comment ce procédé fonctionne et les conséquences des perturbations endocriniennes** ?

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui se trouvent dans l'environnement et qui affectent la signalisation de nos hormones. La perturbation endocrinienne peut affecter la reproduction et la fertilité, avoir une incidence sur les cancers, le développement du cerveau, le métabolisme et l'équilibre énergétique (donc intervenir dans l'obésité) etc...

Les larves de poisson et d'amphibien, sentinelles de l'environnement, portent un marqueur fluorescent. Les modifications de la quantité de lumière fluorescente émise indiquent le niveau de la perturbation due aux micropolluants (pesticides, plastifiants, résidus de médicaments, etc.).

2) Dans, « Losing our minds »*, votre livre paru récemment, vous évoquez les risques d'une production insuffisante d'hormones thyroïdiennes chez les femmes. Quelles en sont les conséquences ?

Je parle, entre autre chose, d'un risque de grossesse sans un apport en iode suffisant pour synthétiser l'hormone thyroïdienne permettant de subvenir aux besoins du foetus, et en particulier à ceux de son cerveau. Des études récentes montrent que les enfants nés de mères qui manquaient d'iode avaient plus de problèmes neuro développementaux. L'hypothèse est qu'un manque d'iode peut aggraver l'exposition aux perturbateurs endocriniens lors du développement précoce du cerveau, notamment pendant les premiers mois de grossesse. Voici une vidéo expliquant ce raisonnement.

3) Vous faites aussi mention de la progression des cas d'autisme. Quelles en sont les raisons ? Cette progression est-elle liée à nos sociétés industrialisées et à notre mode de vie et de consommation ?

Plusieurs hypothèses ont été évoquées : des causes génétiques, la modification des méthodes de diagnostic voire des méthodes d'accouchement, mais, clairement, l'augmentation de l'incidence ne peux pas être expliquée seulement par les modifications génétiques pendant la période où l'on constate l'augmentation, car cette période est trop courte pour que le génome humaine change autant. On penche plus pour les effets des polluants dans l'environnement qui agiront pour exacerber des susceptibilités génétiques en créant des interactions gènes/environnement.

Comme plusieurs perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques - les pesticides, les plastifiants, surfactants, retardateurs de flamme etc..., leur présence dans notre environnement est fonction de notre mode de vie. Cette hypothèse est aussi envisagée pour les perturbations thyroïdiennes dans leur ensemble.

4) Peut-on inverser le phénomène ? Quelles politiques publiques et quelles mesures seraient-elles utiles pour protéger nos sociétés ?

Premièrement, faire en sorte que les pouvoirs politiques nationaux et européens prennent des mesures dans les domaines concernés afin de limiter les perturbations endocriniennes et adaptent notre législation. Car c'est un sujet de santé publique. La Commission Européenne a ouvert une consultation publique sur le sujet de la régulation des produits chimiques soupçonnés d'action de perturbation endocrinienne en septembre. Il faut faire remonter à nos représentants nos avis sur la question et tous les scientifiques, ainsi que les représentants de nos institutions publiques qui doivent participer à cette consultation. Deuxièmement, toute femme qui prévoit une grossesse doit voir avec son médecin et s'assurer que son régime ne manque pas d'iode, etc... ; elle doit ensuite prendre des compléments alimentaires si nécessaire. Peut-être faut-il aussi revoir la législation sur l'emploi du sel iodé dans l'industrie agro-alimentaire.

Par ailleurs, il est certain aussi que manger des produits frais provenant de l'agriculture biologique diminue notre exposition aux pesticides. De plus, manger moins de produits préparés emballés dans les containers plastiques limite notre exposition aux BPA et aux phthalates (les phtalates et Bisphenol A sont souvent présents dans des matériaux de fabrication industrielle. Leurs effets secondaires sur des animaux de laboratoire, lorsque leur taux de concentration est élevé, sont, notamment : la baisse de la fertilité, la réduction du poids du foetus, la mortalité foetale et des malformations). Je donne d'autres idées dans mon livre.

Barbara Demeneix a étudié et enseigné en Europe, en Afrique et aux Etats-Unis. Professeur en sciences, elle est aussi chef de département au Musée d'Histoire Naturelle de Paris et est mondialement reconnue comme expert de la fonction thyroïdienne et des dérèglements endocriniens, dus, notamment, aux divers agents chimiques perturbant le fonctionnement de l'hormone thyroïdienne.

Auteur de 150 publications scientifiques, elle a coordonné des projets européens sur divers aspects de la recherche endocrinienne et, en particulier, le travail sur la perturbation de l'hormone thyroïdienne qui a mené à la création de la start-up Watchfrog (www.watchfrog.fr) dont elle est cofondatrice avec Gregory Lemkine.

Son travail lui a valu de nombreuses récompenses, notamment la Médaille 2014 du CNRS pour l'Innovation et le Mentorship 2011 du journal Nature.

Barbara Demeneix représente la France à l'OCDE sur le thème des perturbations endocriniennes.

* « Losing our Minds (How Environmental Pollution Impairs Human Intelligence and Mental Health)" aux éditions Oxford University Press - septembre 2014

** Tous les produits chimiques, leurs sous-produits et les cocktails de substances sont susceptibles d'être perturbateurs endocriniens. La Commission Européenne définit un perturbateur endocrinien comme une substance ou un mélange exogène qui altère les fonctions du système endocrinien et par voie de conséquence, induit des effets nocifs sur la santé d'un organisme intact, de sa descendance ou d'une (sous)population.

Propos recueillis par Solange Mulatier pour NEWS Press