"Sondor, le site où débattent les mortels et les dieux" d'Yvette Beoutis-chapitre VIII et IX

Yvette Beoutis - 08/02/2024 14:40:00



"la jungle provoquait des vapeurs sur le sol rouge"

VIII


A Lamas, située à l'entrée de l'Amazonie au Nord du Pérou, l'aube se levait. La chaleur et l'humidité de la jungle provoquaient des vapeurs sur le sol rouge qui contrastait avec l'exubérance verte des plantes germées grâce aux puissants rayons du soleil.

Anccu Huayoc et ses troupes d´Andahuaylas se trouvaient loin de chez eux, fatigués mais en sécurité, ayant réchappé à la grande armée Inca. Finies les hautes montagnes d'Apurimac et de Cuzco, les abîmes et les gorges. Ainsi que les matins et les nuits froides aux vents glacés, aux chutes de neige et de grêle que fondait le soleil de midi.

A présent, ils se réveillaient dans une atmosphère chaude et humide qui durait toute la journée et que seulement les pluies torrentielles parvenaient à rafraîchir. Elles secouaient les arbres, les lianes et toutes les plantes amazoniennes, réveillant d'énormes fourmis rouges qu'ils n'avaient jamais vues auparavant. L'alimentation à base de manioc, de bananes, de cacao et de fruits avait remplacé le maïs, l'olluco et les pommes de terre.

La population indigène, qui n'était pas nombreuse, accueillit avec sympathie les visiteurs d'Andahuaylas, prise de pitié devant leur maigreur, leur tristesse et leur fatigue.

Ils étaient tristes car Anccu Huayoc et ses troupes savaient qu'il leur serait très difficile de retourner dans la vallée d'Apurimac à présent occupée par l'armée Inca. En effet, leur région étant contrôlée par les Cuzquéniens qui dominaient aussi d'autres terres plus au Nord. Cependant, l'espoir de pouvoir un jour retourner à Andahuaylas et retrouver sa famille et surtout Sumak Kay encourageait Anccu Huayoc à aller de l'avant.

D'abord, il devait reprendre des forces et élaborer un plan lui permettant de retourner sur sa terre à l'insu de Cusi Yupanqui, que l'on appelait maintenant l'Inca Pachacutec, et qui avait toujours songé à le faire tuer, lui et ses troupes.

La rencontre avec un des plus anciens habitants de Lamas lui apprit l'existence d'un puissant Royaume situé sur la côte, à l'ouest de Lamas, appelé Chimú. Il était renommé et respecté par les populations voisines et avait la capacité de faire face à l'expansion de Cuzco.

Lamas entretenait de bonnes relations avec le Royaume de Chimu et lui fournissait des fruits, des oiseaux et des animaux amazoniens en échange de poissons et de fruits de mer, de coton et de nourriture.

Cet homme lui raconta les expéditions de Lamas au Royaume de Chimu. Les rencontres, organisées à mi-chemin des cités, leur avaient appris la défaite d'Anccu Huayoc et l'expansion de l'Empire Inca.

Anccu Huayoc devait atteindre le Royaume Chimu et se mettre d'accord avec son Roi, Minchancaman, pour affronter l'armée Inca. Après avoir passé quelques mois à Lamas et laissé ses troupes se reposer, il partit pour la côte en direction de la ville de Chan Chan, actuelle capitale du Royaume Chimu, accompagné seulement d'un guide de Lamas qui, en chemin, lui dit tout ce qu'il savait sur le Royaume Chimu : que leurs premiers habitants étaient arrivés du Nord par la mer dans de grands radeaux. Qu'ils étaient de bons navigateurs et pêcheurs et pêchaient à l'aide de filets sur des radeaux faits de quenouilles en forme de demi-lunes. Pour son élite politique et administrative, ils avaient construit Chan Chan, une grande ville composée de bassins d'eau, de temples et palais avec des forteresses faites de boue et ornées de bas-reliefs. Orfèvres réputés, ils produisaient nombre de bijoux, vases et pièces ornementales en or, argent et cuivre décorées de pierres de turquoise, de lapis-lazuli et de coquillages rouges appelés spondylus.




La cité royale Chimu "Chan Chan" impressionne Anccu Huayoc


Après de nombreuses années de croissance et d'abondance dues à la politique bénéfique des Rois en charge du Royaume, les Chimus étaient maintenant gouvernés par leur Roi Minchancaman qui entretenait de bonnes relations avec les habitants de Cuzco, ces derniers lui achetant principalement de l'or et de l'argent. Il se méfiait d'eux car il craignait un jour d'être conquis par leur force militaire ou détruit par une catastrophe climatique, comme cela était arrivé des années auparavant à leurs ancêtres, les Mochicas. Le guide précisa : "Il y a de nombreuses années, plus au Nord de Chan Chan, il y avait beaucoup de temples à quelques mètres de la côte qui brillaient la nuit, à la lumière de la lune car ils avaient été peints de minéraux particuliers. Ces temples appartenaient à un autre peuple, les Mochicas, venus de la mer. Ils étaient d'adroits potiers et orfèvres mais durent abandonner leurs terres de manière inattendue lorsque des fortes pluies et des coulées de boue les eurent ensevelis. Ce terrible malheur était apparemment une punition des dieux en raison de leur soif de sang et de leur cruauté envers leurs ennemis vaincus. Tout cela, je le tiens de mes parents. Et je sais que Minchancaman craint aussi que ça se reproduise et que, cette fois, cela affecte son Royaume."


IX




L'emblématique muraille de la capitale du royaume Chimu "Chan Chan"


Ayant fait plus de la moitié du chemin, traversant une vallée près des montagnes où les populations de plusieurs régions négociaient leurs productions, le guide reconnut le groupe Chimu qui venait chercher de l'or et de l'argent pour fabriquer son orfèvrerie et pour vendre ses poissons, son coton et ses produits agricoles.




Détail d'une pièce d'orfèvrerie Chimu en or

Le guide de Lamas leur fit signe et attira leur attention en leur montrant des peaux d'otorongo, des plumes d'oiseaux, des graines et des plantes de la jungle destinés à la vente. Anccu Huayoc fut étonné de voir ces hommes, tous vêtus de vêtements de coton cousus avec soin aux multiples couleurs et dessins et portant dans le nez et les oreilles, sur les genoux, les chevilles et les poitrines des ornements en or et argent entrelacés de coquillages et de pierres qu'il n'avait jamais vu.

Usant de signes pour le présenter aux Chimus, le guide dessina sur le sol le périple d'Anccu Huayoc, son histoire douloureuse et son exil volontaire dû à l'occupation d'Andahuaylas par les Incas. Il le présenta comme un ami qui souhaitait rejoindre Chan Chan pour rencontrer le Roi Minchancaman.

Ils l'accompagnèrent alors dans son voyage de retour vers la capitale Chimu. Anccu Huayoc en était heureux et, remerciant son guide, il suivit les Chimus à Chan Chan.




"la jungle aux vapeurs humides"