"Sondor, le site où débattent les mortels et les dieux" d'Yvette Beoutis - chapitre VI et VII

Yvette Beoutis - 05/12/2023 10:10:00

Anccu Hualloc avait été fait prisonnier et emmené à Cuzco.


VI

Désespéré, Anccu Hualloc cherchait à se sauver et retourner à Sóndor pour libérer son peuple, retrouver Sumac Kay et ses terres. Son monde s´était subitement effondré. Il se souvenait de la corruption qu'il avait découverte, de son intention de la combattre et des avertissements donnés à son peuple de ne pas s'engager maintenant dans la guerre. A cause de ce conflit, la corruption continuerait dans l'ombre et le silence. Regardant par la fenêtre de sa prison, il put voir ses amis Hastu Huaraca et Tumay Huaraca suspendus à la potence. Il se rappela leur enthousiasme, leur détermination mais aussi leur peur et pleura amèrement. Tout au contraire, Cusi Yupanqui était devenu un grand héros et le défenseur de Cuzco car il avait stoppé l´invasion Chanka. A ses qualités militaires démontrées par les faits récents s´ajoutaient son habilité politique et administrative ainsi que d´autres talents personnels ; ce qui justifiait qu'il soit désigné comme successeur de Wiracocha son père et non son frère Urco.




Cusi Yupanqui empereur Inca sous le nom de Pachacutec


L'Inca Wiracocha, de retour à Cuzco, honteux d´avoir abandonné son peuple quand il avait besoin de lui, n'eut pas d'autre choix que de ceindre la couronne impériale appelée « Maskaypacha » à Cusi Yupanqui qui, avec le temps, deviendrait l´Inca Pachacutec. Lors de la cérémonie, on disposa sa couronne composée d´un pompon rouge entrelacé de fils d´argent et or et décorée de plumes veloutées noires et blanches venant de l´oiseau appelé « Corequenque »
Pendant ce temps, Cusi Yupanqui pensait à ses projets ambitieux : Elargir le territoire de l´Empire, imposer la langue quechua, ou « runa simi », comme langue officielle et instituer sur les terres nouvellement conquises les trois grands principes de la morale Inca comme lois intangibles. Il se réjouissait en pensant qu´il avait vaincu les Chankas, les ennemis les plus aguerris des Cuzquéniens. Son empire, il l'étendrait vers le Nord car la voie était libre. Sa première destination serait la Vallée du fleuve Apurímac et sa première conquête serait la forteresse stratégique de Sóndor.

VII

Cuzco célébrait la victoire au rythme des quenas , pututos et zampoñas .

Les momies Incas, qui accompagnent le peuple dans ses célébrations étaient portées en triomphe sur la place principale pour recevoir l'hommage des habitants et des offrandes d'or et argent

Des femmes aux cheveux décorés d'orchidées provenant de la forêt amazonienne distribuaient à l'assistance des feuilles de coca et une boisson de maïs fermenté appelée « chica de jora ». Tout était joie et abondance.

Pendant ce temps, la panique et le désordre se répandaient.à la forteresse de Sóndor car des troupes de Cusi Yupanqui arrivaient déjà aux abords de la cité. Or la forteresse avait été laissée à la charge de jeunes fils de vieux généraux Chanka qui, habitués à la vie facile de leurs pères, ne disposaient d'aucune compétence militaire. De plus, ces pères, certains que l'héritage des fonctions entraine celles des compétences, leur avaient transmis les mêmes certitudes et la même arrogance. C´est ainsi que, lorsque les troupes Cuzquéniennes entrèrent à Sóndor, elles n'ont trouvé que le vieux chef Pocovilca. Tandis que Guasco et les autres chefs Chankas avaient fui au Sud vers le plateau du Collao.


Bien que désespéré par la défaite, l'invasion du territoire Chanka, et de l'emprisonnement d'Anccu Hualloc à Cuzco, l´ancien chef Pocovilca demanda sa liberté. Cusi Yupanqui répondit : « J´offre aux chefs Chankas qui ont survécu à la guerre le pardon, la possibilité d'intégrer l´armée Inca et de travailler pour l´Empire. Mais je veux qu'on me dise où, dans la montagne Huayhuara, se trouve l´or dont on parle tant ». Pocovilca et les chefs Chankas qui s'étaient rendus n'eurent d'autre choix que de dévoiler à l´Inca la cache de l´or, un des plus précieux trésors du peuple Chanka.

Cet or se trouvait dans l'une des grandes montagnes qui entouraient la Cité d´Andahuaylas.


Cependant, les demandes de Cusi Yupanqui aux vaincus Chankas ne s'arrêtèrent pas là. Il exigeait que les territoires conquis soient placés sous la conduite d´un « orejón » (fonctionnaire Cuzquénien) et de ses héritiers et il voulut imposer le mariage de Sumac Kay avec Topa Huanchiri - celui-la même qu'elle avait rencontré près de son village, et qui l'avait secouru après une chute sur un chemin de campagne- . et qui devait à présent être l'autorité de Cuzco à Andahuaylas. Sumac Kay dit à son père que ce mariage ne pourrait se faire car elle attendait le retour d´Anccu Hualloc.

Guasco, de retour du Collao, profita quant à lui de l´offre Inca et accepta de s´unir avec une Princesse ou « palla » de Cuzco afin de sceller l´alliance avec les Cuzquéniens. De ce fait il retrouva ses terres, et devint l'un des principaux alliés des Cuzquéniens dans la Vallée de l'Apurimac.

Ainsi, celui qui sema la corruption sur la terre Chanka et qui provoqua la guerre contre Cuzco fut le plus avantagé à l'issue de cette guerre.




L'emblématique lance monolithique, El Lanzón avec une figure anthropomorphique est la divinité principale du site de Chavín

Anccu Hualloc avait rejoint l´armée de Capac Yupanqui, le frère de Cusi Yupanqui, envoyé au Nord pour étendre les conquêtes Cuzquéniennes. Il semblait avoir accepté la victoire des Incas mais savait que Cusi Yupanqui avait donné l´ordre de l´assassiner par peur qu'il s'impose aux Chankas dont il était le chef indiscutable en raison de ses invariables qualités de courage et d'honnêteté. Alors il accompagna l´armée Inca jusqu'à la bataille contre le peuple Soras à Ayacucho et se battit aussi contre le peuple Huanca à Junin, deux grandes victoires pour lui qui avait pris le commandement d'une partie de cette armée.

Cependant, arrivant dans la Région de Huánuco, il décida de fuir au Nord avec une bataillon Chanka, emménageant dans le village de Lamas, zone d´entrée dans la jungle amazonienne où il serait difficile pour les Incas de les trouver. Ses réflexions le guidaient vers un retour à Sóndor, ses retrouvailles avec Súmac Kay et la liberté et la dignité du peuple Chanka.

De retour à Cuzco, Cusi Yupanqui emporta la grande pierre monolythe Huanca, idole des Chankas, qui se trouvait dans la partie la plus élevée de la forteresse de Sóndor. Pendant une cérémonie particulière dans le temple principal de Cuzco, le « Coricancha », et en présence de l´Inca et de toute la Cour impériale, l'idole fut placée dans l´une des niches du temple.

Lorsque le sacrifice d'un lama fut accompli, les prêtres incas lurent dans ses entrailles que, bientôt, des hommes d'une autre race venue de la mer prendraient possession de l'idole Chanka et du « centre du monde », Cuzco.