La France a à coeur d' encourager le rayonnement international des savoir-faire français dans le domaine du patrimoine

Catherine Colonna Ministre de l'Europe et des affaires étrangères - 16/12/2022 19:55:00


Lorsque nous parlons de rayonnement de la culture et du patrimoine à l'international, nous pensons, bien sûr, au réseau culturel français à l'étranger. Aurélien Lechevallier, est-ce que vous pourriez nous dresser un panorama rapide de ce réseau et nous parler plus particulièrement des actions qui sont mises en oeuvre pour encourager le rayonnement des savoir-faire français dans le domaine du patrimoine ?

Aurélien Lechevallier
Directeur général de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international
Quai d'Orsay

Bonsoir, merci beaucoup Adèle. Je voudrais d'abord remercier le musée du quai Branly - Jacques Chirac de nous accueillir. C'est émouvant d'être ici, dans cette salle qui a vu passer tant d'intervenants illustres. J'aimerais également remercier tout le groupe Mobilitas et Memorist d'avoir organisé cette soirée qui nous permet de nous retrouver et de découvrir ce que Memorist fait, les équipes et les talents que cette nouvelle initiative a déjà réussi à rassembler. En visitant les différents ateliers de ce nouveau pôle qui sont là, j'avoue être extrêmement impressionné par ce qui est montré.
Ce ne
sont que des échantillons, mais de voir cette passion, ce talent, la technique mise au service de la défense et de la promotion du patrimoine grâce aux savoir-faire, grâce à la formation et grâce aussi aux nouvelles technologies... C'est aujourd'hui au coeur de ce que nous souhaitons faire pour promouvoir le patrimoine à l'international.

Comme je le disais, c'est un sujet très vaste. Le patrimoine et la diplomatie, c'est une très vieille histoire d'amour qui a commencé depuis les premiers temps de la diplomatie, à la fois autour de lieux emblématiques, mais aussi de tradition, de culture, d'une langue. Tout cela fait partie de notre patrimoine.
Cela s'est accéléré au XIX e siècle. J'étais, la semaine dernière, en Arabie saoudite sur le site magnifique d'Al-'Ula.

Des archéologues m'ont rappelé qu'au XIX e siècle, en Moyen-Orient et en Europe du Sud, les directeurs des fouilles archéologiques étaient en même temps nos consuls. Ceux qui s'occupaient directement du patrimoine, de sa recherche et de sa mise en valeur, étaient en même temps des diplomates. Nous pouvons dire que ce mariage s'est toujours poursuivi jusqu'à aujourd'hui. Nous avons eu la chance de construire, je dis « nous » parce que cela appartient à la France, à toutes les Françaises et Français, une politique étrangère autour d'un patrimoine exceptionnel et d'un réseau culturel à l'étranger qui, toutes ces dernières décennies, a vraiment travaillé pour la valorisation du patrimoine.

Je pense aux Alliances françaises, qui sont plus de 800 à travers le monde, à notre réseau de lycées français, qui est très important dans le monde également, à nos résidences diplomatiques, consulaires ou encore aux ambassadeurs à l'étranger qui sont aussi des éléments de patrimoine très utiles, et que nous mettons systématiquement en avant lorsque nous réunissons des invités ou que nous organisons des événements particuliers.

Puis, bien sûr, les instituts français, les instituts culturels, qui forment aujourd'hui un réseau extrêmement actif dans le monde entier.

La France est la seule, je crois, à avoir ce réseau culturel aussi étendu et varié que nous envient les pays étrangers, que nous envient nos partenaires et qui sont aujourd'hui une force extraordinaire de soft power
sur lequel nous avons bâti depuis très longtemps notre politique étrangère et de coopération. Je voudrais citer deux instruments très importants, développés au XX e siècle, pour ce lien entre patrimoine et diplomatie :

- La Commission des fouilles, créée par le général de Gaulle à la fin de la Seconde Guerre mondiale, permet chaque année de financer des archéologues, mais surtout des chercheurs sur le patrimoine contemporain, qui vont effectuer des travaux en lien avec les partenaires dans le monde entier. La semaine dernière seulement, nous décidions des projets que nous allions financer l'année prochaine. Nous décidons de soutenir ces équipes qui travaillent partout dans le monde, avec nos universités, avec nos centres de recherche, avec le CNRS, avec nos musées, avec nos grandes institutions que les touristes et les visiteurs du monde entier viennent voir en France. Nous travaillons pour, justement, soutenir ces projets patrimoniaux à l'international.

- La Constitution de l'Unesco, cette grande aventure internationale créée là aussi au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons négocié dans l'Unesco de grands textes que l'on appelle les conventions internationales pour la protection du patrimoine.

L'Unesco est à Paris, ce n'est pas un hasard, il faut y penser aussi lorsque l'on travaille sur ces questions patrimoniales. Grâce à l'Unesco, grâce à ces négociations diplomatiques, nous avons aujourd'hui les cadres que vous connaissez de la protection du patrimoine mondial de l'humanité. Ce n'est pas un hasard si nous avons vu le Mont-Saint-Michel au début de cette vidéo de présentation de Memorist, puisque le Mont-Saint-Michel a été l'un des premiers sites français classés au patrimoine mondial de l'Unesco.

C'est aujourd'hui un cadre très important pour le patrimoine matériel, pour les paysages naturels, mais également pour le patrimoine immatériel, qui est aussi très important, et que nous contribuons à défendre. Les savoir-faire que nous voyons rassemblés ici sont aussi des savoir-faire qui viennent protéger et mettre en valeur le patrimoine immatériel. C'est extrêmement important.

Je voudrais citer quelques grands enjeux de la diplomatie actuelle pour la protection du patrimoine, qui sont des enjeux pour nous très contemporains. Le premier est le dérèglement climatique et, plus largement, toutes les menaces contre l'environnement. Les sites naturels, mais aussi les savoir- faire et les communautés locales dans le monde entier sont frappés par les conséquences du dérèglement climatique. Il y a donc une course contre la montre qui est engagée, où nous devons tous être mobilisés afin de protéger
le patrimoine (matériel et immatériel) contre les aléas et les effets du changement climatique. C'est un phénomène qui n'est pas complètement nouveau, mais qui s'accélère, et dont on voit les effets. Par exemple, lorsque nous décidons d'envoyer des équipes scientifiques dans le monde entier, que ce soit évidemment autour du bassin méditerranéen, mais aussi jusque dans les îles du Pacifique ou en Alaska, nous voyons que ce phénomène climatique devient de plus en plus aigu.

Le deuxième sujet très contemporain, malheureusement, ce sont les zones de conflit et de guerre, puisque les conflits armés ont des conséquences extrêmement graves et directes sur le patrimoine partout dans le monde.
Pour cela, nous nous sommes dotés récemment, et il faut continuer à le renforcer, d'instruments nouveaux de politique étrangère pour pouvoir intervenir en zone de crise, de conflit et de guerre. C'est notamment l'objet d'une initiative internationale assez neuve qui s'appelle ALIPH (Association internationale de protection du patrimoine dans les zones de conflit), que nous avons montée avec huit pays et que nous sommes en train d'élargir. Cette initiative internationale permet de soutenir des opérations de sauvetage, de protection du patrimoine dans des zones extrêmement difficiles comme l'Afghanistan, l'Irak et le Soudan.

Le troisième enjeu très contemporain pour la protection du patrimoine, au coeur de cette présentation que vous avez montrée précédemment, est le numérique et la numérisation. Nous devons essayer de mettre en valeur
et de protéger notre patrimoine matériel et immatériel grâce aux nouvelles technologies. Aujourd'hui la bonne nouvelle, c'est que nous savons le faire. Nous avons les outils, cependant, il n'est pas évident de tout numériser, car il faut un savoir-faire très pointu et des budgets très importants.
Nous avons lancé de très beaux projets comme en Afrique du Sud où j'étais auparavant avec plusieurs partenaires, dont l'Ina et l'Agence française de développement, avec la numérisation des archives de l'île de Robben Island, où Nelson Mandela fut très longtemps enfermé. C'est un exemple de projet
important pour l'histoire de l'Afrique du Sud, mais aussi pour le monde entier, car c'est notre mémoire. Nous pouvons réaliser ce genre de projets ciblés, et d'autres projets de protection du patrimoine que nous avons financés.

Or, quand il y a de grandes cinémathèques ou des bibliothèques entières à protéger, cela prend des heures de travail et cela demande des budgets assez colossaux pour lesquels nous avons un réel besoin de soutien, de
mécénat et d'accélération des progrès technologiques pour être capables de les numériser.

Un dernier très beau sujet que je voudrais évoquer sur ces aspects contemporains est la question de la restitution et de la circulation des oeuvres d'art. Nous avons beaucoup progressé ces dernières années sur
ce sujet extrêmement sensible, via l'Unesco notamment, mais aussi par d'autres canaux. Beaucoup de pays demandent la restitution d'un certain nombre d'oeuvres d'art. Cela fait également partie de la protection et de la mise en valeur du patrimoine. Le président de la République, Emmanuel Macron, a lancé un chantier très ambitieux depuis 2017.

Il a d'abord confié à des scientifiques et à des historiens, notamment Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, la rédaction d'un rapport pour savoir quelles étaient les conditions à la fois historiques, mémorielles et juridiques, pour commencer à restituer des oeuvres d'art, en particulier en Afrique. Il y a tout un travail qui est enclenché et qui doit encore se poursuivre pour que nous ayons la possibilité d'aller plus
loin. Il n'est pas seulement question de rendre des oeuvres d'art pour des raisons de mémoire, il faut être capable de les protéger ensemble et de les faire circuler pour que le plus grand nombre y ait accès.

À travers ces questions souvent épineuses, sensibles, nous pouvons non seulement construire un passé, mais également un avenir commun autour de la valorisation de ces oeuvres. Nous avons besoin d'expertise pour cela, nousavons besoin du secteur privé qui joue un rôle très important maintenant sur tous ces sujets. Le travail très proche entre le secteur public et le secteur privé doit être la norme. C'est aussi, je pense, une des grandes nouveautés, une des grandes tendance