Après les révélations sur Pegasus, RSF dépose plainte à Paris ET sollicite le Premier ministre israélien Naftali Bennett

RSF - Reporters sans frontières - 21/07/2021 09:25:00

L'organisation de défense du journalisme a déposé plainte formellement contre X, mais la plainte vise en réalité la société NSO Group, dont RSF dénonce les agissements depuis 2017. La plainte appelle le procureur à "identifier les auteurs et complices" des infractions visées.
Mardi 20 juillet, Reporters sans frontières (RSF) a déposé plainte contre X auprès du procureur de la République de Paris après les révélations du Projet Pegasus sur l'utilisation du logiciel de la société israélienne NSO Group pour surveiller les journalistes. Ce logiciel a été utilisé contre au moins 180 journalistes dans 20 pays, dont 30 en France. Rédigée par les avocats de RSF William Bourdon et Vincent Brengarth, la plainte vise en réalité NSO Group, dont le logiciel a servi à une répression du journalisme.

RSF invoque notamment les infractions d'atteinte à l'intimité de la vie d'autrui (art. 216-1 du Code pénal), la violation du secret des correspondances (art.226-15), la collecte frauduleuse de données personnelles (art. 226-18), l'introduction frauduleuse de données, l'extraction et l'accès frauduleux à des systèmes automatisés de données (art. 323-1 et 3, et 462-2), ainsi que l'entrave indue à la liberté d'expression et l'atteinte à la confidentialité des sources (art 431-1). Cette plainte est le début d'une série, dans plusieurs pays, avec des journalistes directement visés.

Il résulte de la plainte que les journalistes apparaissent comme des cibles privilégiées du logiciel, comme tous ceux que la répression marocaine s'attache à réduire au silence. Les journalistes franco-marocains Omar Brouksy et Maâti Monjib font partie de ceux-là. Auteur de deux livres sur la monarchie marocaine, ancien correspondant de l'AFP, le premier est un collaborateur de RSF au Maroc, tandis que le second a été défendu récemment par l'organisation. Il a été libéré le 23 mars, après 20 jours de grève de la faim, et demeure dans l'attente de son procès.

"Nous mettrons tout en oeuvre pour que NSO soit condamnée pour les forfaits dont elle est coupable et les tragédies qu'elle rend possibles, avait expliqué Christophe Deloire, secrétaire général de RSF dans une série de tweets le 19 juillet. Après le dépôt de la plainte, il précise : "Nous avons déposé plainte en premier lieu en France car ce pays apparaît comme une cible privilégiée des clients de NSO Group, et parce que le siège international de RSF s'y trouve. D'autres plaintes suivront, dans d'autres pays. L'ampleur des infractions divulguées appelle une réponse judiciaire massive."

En 2019, après les révélations du Financial Times sur l'attaque des smartphones d'une centaine de journalistes, militants des droits humains et dissidents politiques, plusieurs plaintes avaient déjà été déposées contre la société NSO, dont une plainte déposée en Californie par le service de messagerie WhatsApp. Dans l'amicus curiae fourni dans le cadre de la procédure, RSF et d'autres organisations soulignaient : "Les intrusions dans les communications privées d'activistes et de journalistes ne sauraient être justifiées par des nécessités de sécurité ou de défense, mais visent uniquement à permettre que les opposants soient traqués et bâillonnés. Pourtant, NSO continue à fournir des technologies de surveillance à ses clients étatiques, tout en sachant qu'ils l'utilisent pour violer le droit international et manquant ainsi à sa responsabilité de respecter les droits de l'homme."

En 2020, RSF avait inclus NSO Group dans sa liste des "prédateurs numériques".

RSF poursuit ses démarches d'investigation.

En effet RSF demande au Premier ministre israélien Naftali Bennett un moratoire sur l'exportation de logiciels de surveillance

Pegasus, le logiciel de surveillance qui a infiltré des dizaines de milliers de téléphones de journalistes et de défenseurs des droits humains, est fabriqué par une entreprise israélienne, NSO Group. Pour Reporters sans frontières (RSF), l'Etat israélien ne peut tolérer l'exportation d'une technologie aussi dangereuse pour les libertés.
Comme celui des armes, les décisions sur les exportations de technologies sensibles relèvent des Etats qui ne sauraient se voiler les yeux sur leurs effets illégitimes, notamment lorsqu'ils permettent une féroce répression. A l'évidence, les logiciels développés par des sociétés israéliennes, tels que le "Pegasus" de NSO Group, engagent l'Etat d'Israël. Même si les autorités de l'Etat hébreu ne sont qu'un acteur indirect, elles ne peuvent se délester de leur responsabilité. Elles délivrent à NSO, et à d'autres entreprises spécialisées dans la surveillance, les licences d'exportation nécessaires à la commercialisation avec des États étrangers.

Il est d'ailleurs à noter un lien entre les exportations et les orientations diplomatiques d'Israël. Parmi les principaux pays qui ont fait l'acquisition de cette technologie, les Émirats arabes unis et le Maroc, qui ont pour point commun d'avoir officiellement normalisé leurs relations diplomatiques avec Israël en 2020. Si l'Arabie saoudite, qui a également acquis ce logiciel, n'a pas de relations officielles avec l'Etat hébreu, le gouvernement israélien a autorisé l'entreprise à commercer avec le Royaume malgré l'affaire Khashoggi, comme le révèle le New York Times.

"Permettre à des États d'installer des mouchards qui servent de facto à espionner des centaines de journalistes et leurs sources dans le monde pose un véritable problème démocratique, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Aussi performant que soit cet outil, Israël ne peut décemment pas continuer à promouvoir ce logiciel comme un fleuron technologique et comme s'il s'agissait de n'importe quel produit commercial. Nous demandons au Premier ministre israélien, Naftali Bennett, de décider d'un moratoire immédiat sur les exportations de matériel de surveillance, le temps qu'un cadre protecteur puisse être posé."

Une enquête du quotidien israélien Haaretz parle même de "diplomatie NSO", en montrant comment Pegasus est devenu à Israël ce que le Rafale est à la France : un fleuron de son industrie. L'enquête retrace les visites de l'ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou en Inde, en Hongrie, au Rwanda, au Mexique ou encore en Azerbaïdjan, qui ont été suivies par l'achat de licences de NSO par tous les pays concernés quelques mois plus tard.

Avant d'invoquer la responsabilité de l'État d'Israël, RSF et une coalition d'ONG ont adressé en avril 2021 une lettre ouverte à NSO pour pointer la responsabilité de l'entreprise et la rappeler à l'ordre sur ses engagements concernant la mise en oeuvre des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains.

Israël occupe la 86e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.