Arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-718/19 Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a.

Cour de Justice de l'Union Européenne - 02/07/2021 16:05:00


Les mesures d'exécution d'une décision d'éloignement d'un citoyen de l'Union et des membres de sa famille pour des motifs d'ordre ou de sécurité publics constituent des restrictions au droit de circulation et de séjour, qui peuvent être justifiées lorsqu'elles sont fondées exclusivement sur le comportement personnel
de l'individu concerné et respectent le principe de proportionnalité Compte tenu des mécanismes de coopération dont disposent les États membres, la durée maximale de rétention de huit mois prévue par le droit belge va toutefois au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer une politique efficace d'éloignement
La Cour constitutionnelle (Belgique) a été saisie de deux recours en annulation de la loi du 24 février de 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et
introduits, le premier, par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et, le second, par quatre associations sans but lucratif actives dans les domaines de la défense des droits des migrants et de la protection des droits de l'homme.


Cette réglementation nationale prévoit, d'une part, la possibilité d'imposer aux citoyens de l'Union
et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire belge
à la suite de l'adoption d'une décision d'éloignement prise à leur égard pour des raisons d'ordre
public ou pendant la prolongation de ce délai, des mesures préventives visant à éviter tout risque
de fuite, telles qu'une assignation à résidence. D'autre part, elle permet de placer en rétention,
pour une période maximale de huit mois, les citoyens de l'Union et les membres de leurs familles
qui ne se sont pas conformés à une telle décision d'éloignement, en vue de garantir son exécution.
Ces dispositions sont similaires ou identiques à celles, applicables aux ressortissants de pays tiers
en séjour irrégulier, visant à transposer dans le droit belge la directive « retour »

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la conformité de cette
réglementation belge à la liberté de circulation qui est garantie aux citoyens de l'Union et aux
membres de leurs familles par les articles 20 et 21 TFUE ainsi que par la directive « séjour »

Appréciation de la Cour
La Cour, réunie en grande chambre, constate, à titre liminaire, que, en l'absence de
réglementation du droit de l'Union concernant l'exécution d'une décision d'éloignement des
citoyens de l'Union et des membres de leurs familles, le seul fait pour l'État membre d'accueil de
prévoir des règles dans le cadre de cette exécution en s'inspirant de celles applicables au retour
des ressortissants de pays tiers n'est pas, en soi, contraire au droit de l'Union. Cependant, de

1 Moniteur belge du 19 avril 2017, p. 51890.
2 Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures
communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008,
L 348, p. 98, ci-après la « directive "retour" »).
3 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union
et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le
règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE,
75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004,
L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34, ci-après la « directive "séjour" »).
telles règles doivent être conformes au droit de l'Union, notamment en matière de liberté de
circulation et de séjour des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles. La Cour vérifie
ensuite si ces règles constituent des restrictions à cette liberté et, dans l'affirmative, si lesdites
règles sont justifiées.
Ainsi, la Cour considère, en premier lieu, que les dispositions nationales concernées, en ce
qu'elles limitent les mouvements de l'intéressé, constituent des restrictions à la liberté de
circulation et de séjour.
En second lieu, en ce qui concerne l'existence de justifications à de telles restrictions, la Cour
rappelle tout d'abord que les mesures en cause visent l'exécution de décisions d'éloignement
adoptées pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique et doivent donc être
appréciées au regard des exigences prévues à l'article 27 de la directive « séjour »

D'une part, s'agissant des mesures préventives visant à éviter le risque de fuite, la Cour juge que
les articles 20 et 21 TFUE ainsi que la directive « séjour » ne s'opposent pas à l'application aux
citoyens de l'Union et aux membres de leurs familles, pendant le délai qui leur est imparti pour
quitter le territoire de l'État membre d'accueil à la suite de l'adoption d'une telle décision
d'éloignement, de dispositions qui sont similaires à celles qui, en ce qui concerne les
ressortissants de pays tiers, visent à transposer dans le droit national la directive « retour »
à condition que les premières dispositions respectent les principes généraux concernant la
limitation du droit d'entrée et du droit de séjour pour des raisons d'ordre public, de sécurité
publique ou de santé publique prévus à la directive « séjour » et qu'elles ne soient pas moins favorables que les secondes.

En effet, de telles mesures préventives contribuent nécessairement à la protection de l'ordre
public, dans la mesure où elles ont pour but d'assurer qu'une personne représentant une menace
pour l'ordre public de l'État membre d'accueil soit éloignée du territoire de celui-ci. Ces mesures
doivent donc être considérées comme limitant la liberté de circulation et de séjour de celui-ci
« pour des raisons d'ordre public », au sens de la directive « séjour », de telle sorte qu'elles sont
susceptibles, en principe, d'être justifiées au titre de cette directive.

Par ailleurs, ces mesures ne sauraient être considérées comme contraires à la directive « séjour »
au seul motif que celles-ci sont similaires aux mesures qui visent à transposer dans le droit
national la directive « retour ». Cela étant, la Cour souligne que les bénéficiaires de la directive
« séjour » jouissent d'un statut et de droits d'une nature tout autre que ceux dont peuvent se
prévaloir les bénéficiaires de la directive « retour ». Dès lors, eu égard au statut fondamental
dont bénéficient les citoyens de l'Union, les mesures qui peuvent leur être imposées en vue
d'éviter un risque de fuite ne sauraient être moins favorables que les mesures prévues dans le
droit national afin d'éviter un tel risque, pendant le délai de départ volontaire, des ressortissants
de pays tiers faisant l'objet d'une procédure de retour pour des raisons d'ordre public.
D'autre part, s'agissant de la rétention à des fins d'éloignement, la Cour juge que les articles 20 et
21 TFUE ainsi que la directive « séjour » s'opposent à une réglementation nationale qui applique
aux citoyens de l'Union et aux membres de leurs familles, qui, après l'expiration du délai imparti ou
de la prolongation de ce délai, ne se sont pas conformés à une décision d'éloignement prise à leur
égard pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique, une mesure de rétention d'une
durée maximale de huit mois, cette durée étant identique à celle applicable, dans le droit

4 Conformément au paragraphe 2 de cet article, les mesures restrictives d'ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné.
5 Article 7, paragraphe 3, de la directive « retour ». Selon cette disposition, « [c]ertaines obligations visant à éviter le
risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière
adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire ».
6 Article 27 de la directive « séjour ».
7 Article 27, paragraphe 1, de la directive « séjour ».
national, aux ressortissants de pays tiers ne s'étant pas conformés à une décision de retour
prise pour de telles raisons, au titre de la directive « retour »

À cet égard, la Cour indique que la durée de la rétention prévue par la disposition nationale
concernée, qui est identique à celle applicable à l'éloignement des ressortissants de pays tiers,
doit être proportionnée à l'objectif poursuivi, consistant à assurer une politique efficace
d'éloignement des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles. Or, s'agissant
spécifiquement de la durée de la procédure d'éloignement, les citoyens de l'Union et les membres
de leurs familles ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des ressortissants de
pays tiers, de telle sorte qu'il n'est pas justifié d'accorder un traitement identique à l'ensemble de
ces personnes en ce qui concerne la durée maximale de rétention.


En particulier, les États membres disposent de mécanismes de coopération et de facilités dans
le cadre de l'éloignement des citoyens de l'Union ou des membres de leurs familles vers un autre
État membre dont ils ne disposent pas nécessairement dans le cadre de l'éloignement d'un
ressortissant de pays tiers vers un pays tiers. En effet, les relations entre les États membres étant
fondées sur l'obligation de coopération loyale et le principe de confiance mutuelle, elles ne
devraient pas donner lieu à des difficultés d'une nature identique à celles qui peuvent se présenter
dans le cas de la coopération entre les États membres et les pays tiers. En outre, les difficultés
pratiques relatives à l'organisation du trajet de retour ne devraient généralement pas être les
mêmes pour ces deux catégories de personnes. Enfin, le retour du citoyen de l'Union sur le
territoire de son État membre d'origine est rendu plus aisé par la directive « séjour »

Selon la Cour, il s'ensuit qu'une durée de rétention maximale de huit mois à des fins
d'éloignement pour les citoyens de l'Union et les membres de leurs familles va au-delà de ce qui
est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.
RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont
elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision