Visite inédite du Premier ministre slovaque Igor Matovic à RSF : "Faites de la Slovaquie un modèle de liberté de la presse pour l'Europe"

RSF - Reporters sans frontières - 04/02/2021 20:35:00


Lors d'une visite du Premier ministre slovaque au siège de l'organisation à Paris, le secrétaire général de RSF a déclaré que l'absence de condamnation du commanditaire de l'assassinat de Ján Kuciak est une tâche pour l'histoire contemporaine de la Slovaquie. Christophe Deloire a demandé à Igor Matovic de passer des promesses aux actes en adoptant des mesures ambitieuses pour la protection des journalistes.

A la veille du troisième anniversaire de l'assassinat du journaliste d'investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kusnírová, le Premier ministre slovaque Igor Matovic a consacré une réunion de travail à la liberté de la presse au siège de Reporters sans frontières (RSF) à Paris.


"La Slovaquie a des responsabilités particulières, au regard de l'assassinat de Ján Kuciak. Faites de votre pays un modèle de liberté de la presse en Europe," a demandé le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, lors de sa rencontre avec Igor Matovic. "Nous avons été consternés de voir que si deux auteurs et un intermédiaire de l'assassinat ont été condamnés, le ou les commanditaires ne l'ont pas été. Si on devait en rester là, cela resterait comme une tâche sur l'histoire contemporaine de la Slovaquie,"


Selon RSF, plusieurs conditions doivent être remplies pour que la Slovaquie devienne exemplaire : une meilleure protection des journalistes, la fin des attaques verbales des politiques contre les médias, le renforcement de l'indépendance éditoriale et financière de l'audiovisuel public et surtout la condamnation des crimes contre les journalistes, notamment de l'assassinat de Ján Kuciak et de sa compagne.


Alors que l'entrepreneur Marian Kocner, suspecté d'avoir ordonné l'assassinat du 21 février 2018, et son associée Alena Zsuzsová, restent en prison pour d'autres crimes, ils ont été acquittés en première instance en septembre dernier dans le dossier Kuciak. Après l'appel du parquet, ce verdict doit être examiné cette année par la Cour suprême. Dans l'hypothèse où celle-ci casserait l'acquittement, le secrétaire général de RSF a demandé au Premier ministre slovaque de faciliter la reconstitution de la cellule "Kuciak" au sein de la police pour qu'elle puisse continuer l'enquête.


Igor Matovic, quant à lui, a expliqué qu'en donnant à la justice slovaque "les mains libres" pour lutter contre la corruption, il espérait "supprimer le système qui avait permis" que le journaliste d'Aktuality.sk, qui enquêtait sur la corruption, et sa compagne Martina Kusnírová soient assassinés.


Christophe Deloire a insisté sur l'importance pour les autorités slovaques de protéger les journalistes. La police peine à enquêter sur la surveillance privée d'une trentaine de journalistes en 2017 et 2018, dont est aussi soupçonné Marian Kocner, ainsi que sur l'intimidation du journaliste d'Aktuality.sk, Peter Sabo, qui a retrouvé une balle dans sa boîte aux lettres en juin dernier. A la fin de l'année 2020 et au début de 2021, la journaliste d'investigation de Dennik N, Monika Tódová, a également signalé avoir été surveillée pendant plusieurs jours par deux hommes.


Lors de l'entretien, le président de la Commission de la culture et des médias du parlement slovaque, Kristián Cekovský, qui accompagnait le Premier ministre à RSF, a présenté de nouvelles mesures pour protéger les journalistes et leurs sources, améliorer l'accès à l'information, supprimer des peines privatives de liberté pour diffamation et renforcer la transparence dans la propriété des médias. Une réforme de l'audiovisuel public Rozhlas a televízia Slovenska (RTVS) est aussi envisagée afin de renforcer son indépendance éditoriale après le départ d'une trentaine de journalistes en raison de censure politique par la direction nommée sous l'ancien gouvernement, mais toujours en place.


"Il faudra passer des promesses aux actes, pour que ces nouvelles mesures entrent dans la législation," a encore demandé le secrétaire général de RSF au Premier ministre slovaque.


Tout en exprimant son attachement à la liberté de la presse, Igor Matovic a souligné aussi le besoin de promouvoir la responsabilité des médias et l'information fiable. "Les réseaux sociaux sont trop puissants et sont capables de détruire des systèmes démocratiques entiers," a-t-il constaté. Dans ce contexte, le secrétaire général de RSF a évoqué les initiatives structurelles lancées par RSF, et a suggéré au Premier ministre d'associer la Slovaquie à l'Initiative internationale sur l'information et la démocratie, un accord intergouvernemental adopté par 38 pays pour promouvoir et mettre en oeuvre des principes démocratiques dans l'espace global de l'information et de la communication, et à la Journalism Trust Initiative (JTI), pour favoriser la fiabilité de l'information sur la base d'un dispositif d'auto-régulation.


Sur le plan international, Christophe Deloire a demandé à Igor Matovic de promouvoir la liberté de la presse en Hongrie et en Pologne à travers des initiatives européennes ainsi que régionales au sein du groupe de Visegrad dont ces trois pays font partie.


La Slovaquie se situe à la 33e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

RAPPEL 3 septembre 2020 - Mis à jour le 4 septembre 2020

Slovaquie : l'acquittement de l'homme accusé d'avoir commandité l'assassinat de Ján Kuciak constitue un immense échec des autorités judiciaires


Marian Kocner et Alena Zsuzsová, accusés respectivement d'avoir commandité et fait exécuter le meurtre d'un journaliste d'Aktuality.sk, ont été acquittés par le Tribunal pénal spécial. Alors que Reporters sans frontières (RSF) attendait de la Slovaquie qu'elle se montre exemplaire en termes de poursuites et de condamnation des crimes commis contre les journalistes, l'impunité semble l'avoir emporté.

Le Tribunal pénal spécial de Slovaquie a rendu son verdict, et le commanditaire du meurtre du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kusnírová reste inconnu. Le 3 septembre, le tribunal a acquitté Marian Kocner, accusé d'avoir commandité l'assassinat du journaliste d'investigation d'Aktuality.sk, et Alena Zsuzsová, son associée, accusée d'avoir fait exécuter cet ordre.


La troisième personne jugée, Tomás Szabó, a été condamnée à 25 ans de prison pour complicité de meurtre.


"Ce verdict est choquant. L'acquittement du commanditaire présumé et de son intermédiaire révèle l'immense échec des autorités chargées de l'enquête et de la justice, déclare Pavol Szalai, responsable du bureau UE/Balkans à RSF. Nous attendions de la Slovaquie qu'elle se montre exemplaire en termes de poursuites et de condamnation des crimes commis contre les journalistes. Au lieu de cela, nous sommes mis face à une situation d'impunité."


Bien que le tribunal ait reconnu que le meurtre de Ján Kuciak était lié à son activité professionnelle, il a statué "qu'absolument aucune preuve directe de la culpabilité de Marian Kocner n'a été présentée" au cours du procès. Tous les éléments rassemblés contre l'homme d'affaires par le procureur spécial et par la police étaient des preuves qui ne mettaient pas Marian Kocner en cause directement. Il sera d'autant plus difficile de trouver de nouvelles preuves, l'équipe spéciale de police chargée de l'enquête ayant été dissoute avant le début du procès, une décision que RSF a jugée prématurée.


Le procureur, qui avait requis une peine de 25 ans d'emprisonnement pour chacun des trois accusés, a déjà fait appel auprès de la Cour suprême slovaque.


Le verdict du 3 septembre est le troisième prononcé dans cette affaire. Miroslav Marcek, qui a avoué avoir tiré sur le couple - aidé par son cousin Tomás Szabó -, a été jugé coupable en avril dernier. Sa peine de 23 ans de prison n'est pas encore entrée en vigueur, le procureur ayant fait appel pour un emprisonnement de 25 ans. Zoltán Andruskó, qui a collaboré avec la police depuis son arrestation, a plaidé coupable et a été condamné, en décembre 2019, à 15 ans de prison pour avoir transmis l'ordre à Miroslav MarCek et Tomás Szabó.


Alena Zsuzsová et Marian KoCner restent néanmoins en prison. En février dernier, ce prédateur de la liberté de la presse avait été condamné à 19 ans de prison pour avoir fabriqué des billets à ordre frauduleux dans l'intention d'extorquer 69 millions d'euros à la plus importante chaîne commerciale du pays, TV Markíza. Ayant fait appel, il est aujourd'hui en attente d'un nouveau procès.