CEDH Arrêt concernant la Grèce et la violation de la liberté d'expression

CEDH - Cour Européenne des Droits de l'Homme - 06/11/2020 12:45:00


Dans l'affaire Balaskas c. Grèce, la Cour a conclu à la violation de la liberté d'expression.

L'affaire concernait la condamnation pénale infligée à un journaliste à la suite de la publication d'un article dans lequel il avait reproché au directeur du lycée local d'avoir posté sur son blog personnel un billet affirmant que le soulèvement étudiant massif de 1973 constituait « le mensonge absolu ». Dans cet article, le journaliste, qui travaillait pour le quotidien Empros, paraissant à Lesbos, avait qualifié le directeur de « néonazi » et de « théoricien de l'entité Aube dorée ».

Dans son arrêt de chambre A rendu ce jour dans l'affaire Balaskas c. Grèce (requête n
o 73087/17), la Cour européenne des droits de l'homme dit, à l'unanimité, qu'il y a eu :
violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'affaire concerne la condamnation pénale infligée à un journaliste à la suite de la publication d'un
article dans lequel il avait reproché au directeur du lycée local d'avoir posté sur son blog personnel
un billet affirmant que le soulèvement étudiant massif de 1973 constituait « le mensonge absolu ».
Dans cet article, le journaliste, qui travaillait pour le quotidien Empros, paraissant à Lesbos, avait
qualifié le directeur de « néonazi » et de « théoricien de l'entité « Aube dorée » ».
La Cour juge en particulier que les juridictions grecques n'ont pas mis en balance le droit à la liberté
d'expression du journaliste, d'une part, et le droit au respect de la vie privée du directeur, d'autre
part, au mépris des principes énoncés dans la jurisprudence de la Cour dans des affaires semblables.
Plus précisément, les juridictions internes ont ignoré que l'article avait contribué à un débat sur une
question d'intérêt public ; que le directeur était un fonctionnaire qui avait lui-même attiré
l'attention sur ses opinions politiques par l'intermédiaire de son blog et qu'il aurait par conséquent
dû se montrer plus tolérant à l'égard de la critique ; et que le requérant avait porté à leur attention
les billets précédemment postés par le directeur au sujet de la race aryenne et du national socialisme en les présentant comme une base factuelle appuyant le choix des expressions qu'il avait
employées dans son propre article. De plus, les tribunaux avaient considéré que l'article du
journaliste était insultant, mais ils avaient omis de prendre en considération le contexte général et le
potentiel de vive controverse qu'il pouvait susciter ; ils n'avaient pas non plus analysé le langage
utilisé qui, bien que caustique, ne s'assimilait pas à une attaque personnelle gratuite contre le
directeur.

Principaux faits
Le requérant, Efstratios Balaskas, est un ressortissant grec né en 1962 et résidant à Mytilène (Grèce).
Il est journaliste.
Le 17 novembre 2013, le jour anniversaire du soulèvement de l'école polytechnique de 1973 qui
avait contribué à mettre fin à la dictature militaire en Grèce et qui est aujourd'hui célébré par un
jour férié, le directeur d'un lycée de Mytilène publia sur son blog personnel un billet intitulé « Le
mensonge absolu en est un : celui de l'école polytechnique de 1973 ».
En réaction au billet de blog, M. Balaskas, qui était à l'époque rédacteur en chef du quotidien
Empros, paraissant à Lesbos, publia un article dans lequel il qualifiait le directeur de « néonazi » et
de « théoricien de l'entité « Aube dorée » »


À la suite d'une plainte déposée par le directeur, le tribunal de première instance considéra que ces
expressions constituaient des jugements de valeur, et non des faits, qui portaient
intentionnellement atteinte à l'honneur et à la réputation du directeur. M. Balaskas fut ainsi jugé
coupable d'insulte par voie de presse et condamné à une peine de prison avec sursis.
Tous les recours qui furent ensuite formés par M. Balaskas furent rejetés, le dernier en 2017. La cour
d'appel comme la Cour de cassation écartèrent en particulier l'argument selon lequel les expressions
en cause étaient des jugements de valeur fondés sur des preuves abondantes, à savoir les nombreux
billets traitant de la race aryenne et du national-socialisme publiés sur le site Internet du directeur,
ainsi qu'un message dans lequel celui-ci appelait les Grecs à voter pour le parti politique d'extrême
droite Aube dorée. Ces juridictions estimèrent que les expressions que le requérant avait utilisées
n'étaient pas nécessaires et conclurent que l'intéressé aurait pu employer un vocabulaire plus
convenable pour exercer son droit d'informer le public.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l'article 10 (liberté d'expression), M. Balaskas alléguait que sa condamnation pénale avait
été disproportionnée et que les juridictions internes n'avaient pas ménagé un juste équilibre entre
son droit d'informer le public sur une question d'importance historique et le droit du directeur à la
protection de sa réputation.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l'homme le 4 octobre 2017.
L'arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Ksenija TurkoviC (Croatie), présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Alena Polackova (Slovaquie),
Péter Paczolay (Hongrie),
Gilberto Felici (Saint-Marin),
Erik Wennerström (Suède),
Lorraine Schembri Orland (Malte),
ainsi que de Abel Campos, greffier de section.


Décision de la Cour
La Cour estime que les juridictions grecques n'ont pas mis en balance le droit du requérant à la
liberté d'expression, d'une part, et le droit du directeur au respect de la vie privée, d'autre part. Elles
se sont bornées à conclure que les déclarations en cause étaient des jugements de valeur qui avaient
sali la réputation du directeur, mais ce faisant, elles ont ignoré les critères établis dans la
jurisprudence de la Cour pour la réalisation d'un tel exercice de mise en balance.
En particulier, les juridictions grecques n'ont pas tenu compte du devoir du journaliste, qui
s'imposait au requérant, de communiquer des informations sur des questions d'intérêt général et
elles ont ignoré la contribution apportée par cet article à pareil débat. Elles se sont attachées aux
expressions utilisées par le requérant en les sortant de leur contexte et en occultant le fait que les
opinions du directeur étaient de nature à susciter une vive controverse.
De même, les juridictions internes n'ont pas explicitement analysé le fait que le directeur, qui était
un fonctionnaire investi d'une mission publique, avait précédemment exprimé ses opinions à
caractère politique sur son blog et qu'il s'était donc délibérément exposé lui-même à l'attention du
public et à la critique journalistique.


Ces juridictions n'ont pas non plus recherché si le requérant avait été de bonne ou de mauvaise foi.
Elles ont à juste titre qualifié les expressions qu'il avait employées de jugements de valeur, mais elles
n'ont pas cherché à déterminer si le choix de ces expressions était étayé par une base factuelle
évidente, alors même que le requérant avait porté à leur attention les billets précédemment postés
par le directeur.
De plus, contrairement au Gouvernement et aux juridictions internes, la Cour ne perçoit pas de
langage manifestement injurieux dans les propos du requérant, et son article, bien que caustique et
sérieusement critique, ne saurait dans son ensemble passer pour une attaque personnelle gratuite
contre le directeur.
Enfin, dans l'affaire du requérant, rien ne justifiait de prononcer une peine de prison, qui produit
immanquablement un effet dissuasif sur le débat public.
La Cour relève du reste qu'elle a déjà conclu à une violation de l'article 10 de la Convention dans un
certain nombre d'affaires contre la Grèce, les juridictions internes n'ayant pas appliqué les standards
conformément à sa jurisprudence relative à la mise en balance de la liberté d'expression avec la
protection de la réputation d'autrui.
La Cour conclut par conséquent que la condamnation pénale du requérant s'analyse en une
ingérence dans l'exercice par celui-ci de son droit à la liberté d'expression et que cette ingérence
n'était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Partant, il y a eu violation de l'article 10
de la Convention.
Satisfaction équitable (Article 41)
La Cour dit que la Grèce doit verser au requérant 1 603,58 euros (EUR) pour dommage matériel,
10 000 EUR pour préjudice moral et 1 258,60 EUR pour frais et dépens.