Discours de la Présidente von der Leyen à l'occasion de la cérémonie de remise du Prix de l'Impératrice Théophano

Commission Européenne - 08/10/2020 09:15:00


Monsieur le Premier ministre Mitsotakis,

Monsieur le Président Van Rompuy,

Monsieur le Président Andreadis,

Monsieur le Vice-président Schinas,

Chers invités,

C'est un honneur de recevoir ce prix en tant que Présidente de la Commission européenne et pour les dix millions d'Européens qui ont participé au programme Erasmus depuis sa création. C'est un prix qui s'adresse aux étudiants, aux enseignants, aux rêveurs qui ont réalisé ce miracle européen. C'est un prix destiné à la «mère d'Erasmus», Sofia Corradi, qui a eu l'idée d'un échange européen d'étudiants dans les années 1960. C'est un prix qui s'adresse aux 39 jeunes Grecs qui ont participé au premier échange, il y a 31 ans. Il s'agit d'un prix décerné à Maryia, une jeune étudiante de Biélorussie de 24 ans qui s'est rendue en Espagne dans le cadre d'Erasmus il y a à peine quelques années.
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Lorsqu'on lui a demandé ce qu'Erasmus lui a appris, Maryia a répondu - et je cite: «Être Européen, cela ne parle pas seulement du pays dans lequel vous vivez. C'est une question de valeurs. Une question de croyances et d'actions». Ce soir, nous rendons hommage à des millions de jeunes Européens comme Maryia. Le Prix de l'Impératrice Théophano que vous décernez ce soir se réfère précisément à cela. Il s'agit des valeurs qui font de nous des Européens. Il s'agit des croyances et des actions qui ont rassemblé notre continent après des milliers d'années de conflit. Il s'agit d'une culture commune qui ne s'arrête pas aux frontières.

Nous sommes ici à Thessalonique, capitale de cette culture européenne partagée, et dans un lieu hautement symbolique. Cette Rotonde a été construite le long de la route menant de Byzance à la mer Adriatique, et puis à Rome. C'était un lien entre l'Est et l'Ouest. La Rotonde fut alors transformée en l'une des premières Églises chrétiennes du monde. Et sur le côté du bâtiment, vous pouvez encore voir un minaret, un autre témoignage de l'histoire complexe de ce lieu et de notre continent. La ville même de Thessalonique est un résumé de l'histoire et de la culture de l'Europe. Une capitale européenne, une passerelle vers l'Asie, un carrefour des civilisations. Cette ville a vu les Empires se lever et tomber, elle a été démolie puis reconstruite. Et chaque instant de cette histoire millénaire a contribué à façonner qui nous sommes, en tant qu'Européens. C'est notre histoire. C'est notre culture.

Pour la génération des fondateurs de notre Union, l'intégration européenne était une question de paix sur notre continent après les grandes guerres mondiales. Pour les Grecs des années 1970, ainsi que pour les Espagnols et les Portugais, l'intégration européenne était une question de démocratie. Pour les peuples d'Europe de l'Est qui ont déchiré le rideau de fer, l'intégration européenne était une question de liberté. Les deux moitiés de notre continent étaient enfin libres de se réunir. Et nous, Européens, nous avons vu émerger une Union de plus en plus large, aux liens de plus en plus étroits.

Le programme Erasmus a constitué un pont parfait entre les jeunes générations dans toute l'Europe. Des millions de jeunes ont découvert ce qu'ils avaient en commun avec d'autres nationalités et ce qui les rendait uniques. Pour la première fois, ils ont eu l'impression d'appartenir à une grande communauté qui s'étendait au-delà des frontières nationales de leur pays. Aujourd'hui, la génération Erasmus est partout autour de nous.

Mon ami Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, n'oubliera jamais son Erasmus ici à Thessalonique. Mes enfants ont étudié - grâce à Erasmus - à Barcelone, Zurich, Paris et Poznan. Pour la génération de mes fils et de mes filles, Erasmus est aussi important que le Marché unique, la monnaie unique et l'ouverture des frontières.

Après 30 ans, nous pouvons dire avec fierté: cet Erasmus est l'une des plus grandes réalisations unificatrices de l'histoire de notre Union. Il est juste que le budget européen approuvé par le Conseil européen prévoie une augmentation de 55% des fonds alloués au programme Erasmus. C'est de l'argent bien dépensé! Mais il importe tout autant que nous élargissions également la portée d'Erasmus. À l'avenir, un plus grand nombre d'élèves et de jeunes étudiants devraient bénéficier de ce programme. Qu'ils aillent à l'école, qu'ils fréquentent l'université ou participent à une formation professionnelle. Erasmus devrait être une institution véritablement démocratique pour tous les jeunes Européens!

Mesdames et Messieurs,

Alors que nous, Européens, avons récolté les fruits des grandes réalisations telles qu'Erasmus, nous avons commencé à les prendre pour acquis. C'est une erreur. Au cours de la dernière décennie, nous avons vécu des crises qui ont ébranlé notre Union européenne jusque dans son coeur. Il y a dix ans, pendant la crise financière et la crise de l'euro, nous avons évité l'effondrement de l'Union et de l'euro.

Mais nous devons le reconnaître: cela a coûté cher. Nos économies ont ensuite emprunté des voies opposées. Les jeunes doivent quitter leur patrie à la recherche d'un emploi et d'un avenir. Les pays se sont de plus en plus fréquemment lancés des reproches mutuels. Ces failles sont encore visibles et tangibles aujourd'hui. Certaines des premières réactions à la crise du coronavirus apparaissaient comme du déjà-vu et ont déclenché de mauvais souvenirs. Quand soudain une chose de remarquable s'est produite.

Face à la crise sanitaire la plus profonde, les Européens ont redécouvert la valeur de ce que nous avons en commun. Aussi triste que la situation puisse être, c'est aussi une nouvelle chance pour l'Europe. Nous avons transformé la méfiance et la désunion entre les États membres en confiance et unité au sein de notre Union. Nous avons montré ce qu'il est possible de faire lorsque nous avons confiance les uns dans les autres et en nos institutions européennes. Cela a pris du temps. Mais cela en valait la peine. Notre Union européenne a maintenant la chance de rebondir après la crise et de construire un avenir meilleur pour les générations à venir.

Chers invités,

Tel est l'objectif de notre Plan de relance pour l'Europe, NextGenerationEU. À l'époque, nous avions Erasmus, place aujourd'hui à NextGenerationEU. Il s'agit d'un programme d'une ampleur et d'une portée sans précédent. Il peut devenir le prochain grand projet fédérateur pour notre Union. Unissant nos forces, nous recueillons ensemble les fonds nécessaires. 750 milliards d'euros, dont la plupart sous forme de subventions; ce montant, c'est un signe magnifique de solidarité et de volonté de réforme et d'investissement. Mais, NextGenerationEU est bien plus que l'argent.

Lors des crises passées, les États membres ont contourné les institutions européennes et ne se sont pas fait pleinement confiance. Cette fois, ce n'est pas le cas. Parce que le virus nous a tous frappés. États membres, petits et grands, entreprises en bonne santé, industries, petites et moyennes entreprises et jeunes pousses. Toutes ont été paralysées par les effets de la pandémie. Cette fois, nous sommes touchés, tous ensemble. Nous investissons ensemble pas seulement dans une reprise collective, mais aussi dans notre avenir commun.

Nous avons appelé, à juste titre, notre programme de relance et de résilience «NextGenerationEU». Lorsque nous levons des sommes aussi importantes, nous devons investir cet argent de manière à pouvoir maîtriser les grands défis pour la prochaine génération. C'est l'avenir de la prochaine génération de l'Europe que nous façonnons aujourd'hui. C'est en particulier une bonne nouvelle pour le pays hôte de ce Prix Théophano. La Grèce est l'un des plus importants bénéficiaires de la Facilité pour la reprise et la résilience. Les subventions de NextGenerationEU représentent 8,7% du produit intérieur brut de la Grèce. À cela s'ajouteront les prêts de NextGenerationEU. NextGenerationEU offre à la Grèce d'énormes possibilités qui l'aideront à moderniser ses entreprises et ses municipalités.

La transition numérique revêt une importance particulière pour la Grèce. Pensez aux interconnexions avec les îles, ou aux réseaux à haute capacité, aux services publics numériques, ou encore au développement des compétences numériques. Lorsque je parle d'opportunités numériques pour la Grèce, il s'agit d'opportunités numériques pour l'Europe. Si nous construisons des structures ensemble maintenant, nous pourrons en bénéficier ensemble à l'avenir. Le partage et l'utilisation sécurisée des données nous offrent un excellent exemple à cet égard. Une véritable économie fondée sur les données pourrait devenir un puissant moteur d'innovation et de création d'emplois dans toute l'Union.

C'est pourquoi, nous devons en particulier garantir la sécurité de nos données industrielles pour l'Europe tout en les rendant largement accessibles. Des espaces de données communs, dans les secteurs de l'énergie et des soins de santé, par exemple, constitueront un soutien pour les universités, les entreprises et les chercheurs. Nous élaborerons un «cloud» européen basé sur GaiaX afin de faciliter l'accès aux données et la collaboration. L'intelligence artificielle est un autre exemple. Qu'il s'agisse d'une agriculture de précision, d'un diagnostic médical plus précis ou d'une conduite autonome en toute sécurité, l'intelligence artificielle peut ouvrir de nouveaux horizons aux citoyens et aux entreprises européens. NextGenerationEU peut contribuer à tout cela.

Chers invités,

Notre planète va devenir plus numérique, mais sera-t-elle encore vivable? Nous savons qu'avec l'accélération de la reprise mondiale, le réchauffement global ne ralentira pas. Voici à peine quelques semaines, la Grèce était frappée par un ouragan, phénomène plutôt inédit sur les côtes méditerranéennes. Vous subissez des incendies de plus en plus nombreux et les exploitants agricoles sont contraints de s'adapter à la hausse des températures. Et ce n'est que le début. Nous savons que le changement est nécessaire - et nous savons aussi qu'il est possible. Le Pacte vert pour l'Europe est notre fil rouge pour faire en sorte que ce changement se produise. Le coeur de notre mission est de faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050. Mais nous n'y parviendrons pas en faisant du sur-place - nous devons agir plus rapidement et mieux faire les choses.

NextGenerationEU investira dans ce changement, tout en créant de nouvelles possibilités d'emploi dans toute l'Europe. Cet instrument financera des sources d'énergie propres telles que l'hydrogène, et pourrait soutenir le plan du gouvernement grec visant à éliminer progressivement les centrales au lignite d'ici à 2023. Le programme financera une vague de rénovation dans toute l'Europe, afin de rendre les bâtiments anciens plus confortables et moins polluants.

L'avantage au premier entrant compte double dans cette reprise et il sera absolument essentiel de bien focaliser les investissements pour tirer le meilleur parti de cette réalité. La rapidité avec laquelle nous devons investir dans une économie plus propre, plus moderne et plus circulaire n'a fait que se renforcer au cours de la crise actuelle: de l'énergie propre aux transports propres, de la sauvegarde de la biodiversité à la restauration de notre nature. C'est en cela que NextGenerationEU peut rebattre les cartes. Elle peut réduire nos dépendances et renforcer la résilience de nos sociétés. Pour un monde dans lequel les technologies numériques servent à bâtir une société plus saine et plus verte. Un monde dont nos enfants peuvent être fiers et prospérer.

Mesdames et Messieurs,

C'est un moment décisif pour notre Union. Le Président Van Rompuy sait combien il peut être difficile de construire l'unité, lorsque les intérêts de 27 pays et de près d'un demi-milliard d'êtres humains sont en jeu. Mais compte tenu de la pandémie, nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvons surmonter la crise que dans l'unité. Il faut construire et reconstruire la solidarité, la confiance et l'unité. Sans relâche.

Je ne sais pas si NextGenerationEU peut changer l'Europe aussi profondément que le programme Erasmus. Mais je sais que cette fois encore, l'Europe a choisi de maîtriser et de façonner son avenir. Tous ensemble.

Vive l'Europe.