Entretien avec Guy Drut, Champion Olympique, membre du CIO et qui porte le projet d'inscription de l'Esprit Olympique au patrimoine immatériel de l'UNESCO

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 06/03/2020 19:35:00


Entretien avec Guy Drut, Champion Olympique, membre du CIO et qui porte le projet d'inscription de l'Esprit Olympique au patrimoine immatériel de l'UNESCO
Guy Drut, champion Olympique du 110 mètres haies en 1976, a suivi une carrière politique aux mandats nationaux nombreux et fut ministre des Sports sous la présidence de Jacques Chirac. Il est aujourd'hui membre du Comité International Olympique (CIO).
Il répond aux questions de Jean-François Puech, directeur de la rédaction de News Press, au Press Club de France.


Comment l'idée de pratiquer l'athlétisme vous est-elle venue ?
J'ai coutume de dire que j'ai su courir avant de savoir marcher. J'ai grandi dans une famille de sportifs puisque mon père et mon grand-père anglais pratiquaient le football. C'est pourquoi je me suis d'abord orienté vers ce sport que nous pratiquions dans le stade d'Oignies, petite ville minière du Pas-de-Calais dont je suis originaire. Je me suis ensuite rapidement tourné vers l'athlétisme sous la houlette de Pierre Legrain, ancien champion de France du lancer du marteau et à l'origine de la section d'athlétisme d'Oignies, qui a décelé mes capacités et est devenu mon entraîneur aux environs de 1964. Il m'a entraîné dans toutes les disciplines de l'athlétisme, considérant que l'athlète doit savoir tout pratiquer dans ce sport. C'est ainsi qu'en 1968, je deviens champion de France du 110 mètres haies, du saut à la perche et du décathlon ! Après ce succès, je décide de m'orienter vers les courses d'obstacles en suivant des entrainements de plus en plus intensifs. On réussit avec du talent mais aussi du courage et de la méthode.
Et les succès internationaux arrivent. En 1972, je suis vice-champion olympique aux Jeux de Munich. Je trouvais cela insuffisant. C'est pourquoi à l'issue des Jeux de Munich, je constitue une petite équipe : technique, logistique et de soins pour m'aider à gagner le titre olympique. En 1974, je suis champion d'Europe, puis en 1975, je deviens recordman du monde du 110 mètres haies et enfin c'est le titre olympique en 1976 à Montréal.


Que se passe-t-il après un titre olympique ?


Quand vous êtes champion olympique, vous vivez un rêve et vous changez de statut. D'abord émotionnellement vous êtes dans un autre monde. Cet évènement, exceptionnel dans la vie d'un champion, change le regard que ce champion porte sur lui-même et le regard qu'ont les autres par rapport à lui.
Il est incontestable que le champion accède à de nouvelles opportunités. Tout en restant lui-même, Il devient un homme public très sollicité et accède à de nouveaux cercles. Et c'est ainsi que je décide de m'engager en politique. Jacques Chirac, que je connaissais déjà, en tant que maire de Paris, me propose en 1982 de le rejoindre comme conseiller de Paris, puis je suis élu député de la Seine et Marne en 1986 et après la victoire de Jacques Chirac à l'élection présidentielle, je rentre dans le gouvernement d'Alain Juppé comme Ministre des Sports de 1995 à 1997.


Pendant cette période, je me suis battu pour l'aménagement des rythmes scolaires afin que la pratique sportive, tout à fait insuffisante à l'époque, se développe. Et, en revenant à aujourd'hui, j'approuve entièrement la politique de Jean Michel Blanquer lorsqu'il veut donner au sport toute sa place dans le processus éducatif avec comme évènement de référence ; la semaine olympique et paralympique à l'école. J'ai aussi consacré beaucoup de temps au dossier complexe, à tout point de vue, de la construction du Stade de France pour la coupe du monde de football de 1998. Je me suis aussi beaucoup investi dans le programme d'accompagnement des anciens champions, (dont, ne l'oublions pas, la vie de sportif professionnel cesse tôt), à relancer une deuxième carrière après le sport.
Vous voyez, je n'ai jamais perdu le lien avec la réalité quotidienne du sport et J'ai aussi eu la chance d'avoir un ancrage local en devenant maire de Coulommiers jusqu'en 2008.

Permettez-moi de revenir sur un point important.
La carrière d'un champion de haut niveau se déroule en 3 phases. Celle de l'apprentissage : il apprend son métier, sa discipline et l'état d'esprit du sport. Puis il entreprend et il est alors dans la période intense du compétiteur qui se confronte à l'élite de l'athlétisme sur les pistes du monde entier. Enfin après cette période, son rôle est de transmettre des valeurs, des projets d'intérêt commun à tous, de rendre à la société ce qu'elle lui a donné et je vous parlerai de mon projet en collaboration avec l'UNESCO.

Nous allons évoquer ce sujet, pouvez-vous d'abord nous parler de votre entrée au Comité International Olympique et votre rôle dans le mouvement olympique ?


C'est sur la proposition du Président du Comité International Olympique (CIO), Juan Antonio Samaranch, que je suis entré au CIO en 1996, succédant au champion de tennis Philippe Chatrier. Depuis lors, j'ai un rôle actif au sein de la commission « entourage » dont le thème est la gestion des intérêts forts de l'athlète pendant et après sa carrière.


Rappelons que le rôle du CIO est primordial dans l'obtention de l'organisation des Jeux Olympiques qui nécessite environ sept ans de préparation. Depuis les Jeux d'Hiver d'Albertville en 1992 qui furent un succès salué par toute la famille olympique, la France a présenté sa candidature à de nombreuses reprises et a subi de nombreux échecs. A l'occasion de notre candidature aux JO de Paris 2024, notre dossier s'est enrichi grâce à l'expérience que nous avons acquise et au travail déjà réalisé par les élus et les gouvernements successifs.

Nos points forts sont les infrastructures sportives existantes (Stade de France et nos stades de Ligue 1, le Golf national et le vélodrome national de St Quentin en Yvelines, et nos multiples sites historiques, stades et parcs d'exposition sans compter Marseille site magnifique pour la voile...). Il nous manque la piscine olympique et le village olympique.
Pour la candidature de Paris 2024, mon parcours multiple de champion de JO, mais aussi d'élu, de Ministre et de membre du CIO m'a permis de disposer d'une vision globale du sujet. J'ai insisté sur deux points majeurs : tirer la leçon de nos échecs et mettre les sportifs au premier plan, les hommes politiques restant en soutien. En septembre 2017, nous avons été déclarés vainqueurs à Lima. Et aujourd'hui, c'est la période de l'organisation et je peux vous dire que nous réalisons notre feuille de route.
J'assisterai au conseil de clôture des JO 2024. Mes pairs comptent sur moi pour « garder les anneaux olympiques au milieu du stade » et veiller au respect de l'esprit olympique.

Justement pouvez-vous me parler du projet d'inscription de « l'esprit olympique » au patrimoine immatériel mondial de l'UNESCO ?


Avec Sophie Laurent, directrice des relations internationales au comité olympique des Jeux, nous avons présenté ce projet à la commission nationale française pour l'Unesco, puis au Président du CIO, Thomas Bach, et au Président de la République Emmanuel Macron. Forts de leur soutien, nous avons débuté nos démarches et créé un comité de pilotage regroupant l'Unesco et de nombreux ministères (Culture, Sports, Éducation Nationale, Handicapés, etc.).

Nous sommes partis de l'idée que l'esprit olympique devait être protégé des menaces qui pèsent sur lui : tricherie, dopage, esprit mercantile, communautarisme.

En décembre 2019, nous avons obtenu que l'esprit olympique soit inscrit au patrimoine immatériel français de l'Unesco. Aujourd'hui démarre la phase internationale avec la Grèce, la Jordanie, le Luxembourg et le Sénégal et un comité international de pilotage pour chaque pays. Le dossier pour la reconnaissance au patrimoine immatériel mondial devrait être déposé fin 2021. D'autres pays pourront être intégrés plus tard.
Les JO sont plus qu'une compétition sportive : ils sont paix, santé, éducation, développement durable et solidarité. Antonio Guterres le Secrétaire général de l'ONU disait justement que, s'il existe un véritable esprit de paix dans le monde, c'est l'esprit olympique.

L'olympisme, c'est aussi le village olympique et sa « fresque » olympique sur laquelle dessinent les athlètes du monde entier. Jean Claude Killy avait parfaitement donné la définition du Village Olympique : si l'on dit parfois que le monde est un village, le village olympique est le monde.
Le CIO est à l'image de cette « maison commune », il regroupe 206 pays et une équipe des réfugiés à l'initiative de Thomas Bach. Dans ces villages olympiques, (il faut l'avoir vécu), on a le plaisir de se retrouver et la tristesse de se quitter !

Voilà, c'est ça la famille olympique.


Un mot de vos projets ?

Le premier est de mener à bien l'inscription de l'esprit olympique au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco. Pour le second, je partage la responsabilité, comme doyen du CIO en France, de la réussite et de l'exemplarité des JO de Paris 2024.

Entretien avec Jean François Puech directeur de la rédaction de NEWS Press