La Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente pour statuer sur un différend frontalier entre la Slovénie et la Croatie

Cour de Justice de l'Union Européenne - 11/02/2020 17:30:00


La Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente pour statuer sur un différend frontalier entre la Slovénie et la Croatie, ces deux États membres étant toutefois tenus, en vertu de l'article 4, paragraphe 3, TUE, d'oeuvrer loyalement à la mise en place d'une solution juridique définitive à ce différend, conforme au droit international.

Dans l'arrêt Slovénie/Croatie (C-457/18), prononcé le 31 janvier 2020, la grande chambre de La cour s'est déclarée incompétente pour statuer sur le recours introduit par la Slovénie, sur le fondement de l'article 259 TFUE, tendant à faire reconnaître que la Croatie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l'Union, en ayant méconnu des obligations découlant pour ce dernier État membre d'une convention d'arbitrage conclue avec la Slovénie,destinée à résoudre le différend frontalier opposant ces deux États, ainsi que d'une sentence arbitrale délimitant les frontières maritime et terrestre entre lesdits États.

Cela étant, la Cour a précisé que cette incompétence est sans préjudice de toute obligation découlant, pour chacun de ces deux États membres, tant dans leurs relations réciproques qu'envers l'Union et les autres États membres, de l'article 4, paragraphe 3, TUE d'oeuvrer loyalement à la mise en place d'une solution juridique définitive conforme au droit international, afin d'assurer l'application effective et sans entrave du droit de l'Union dans les zones concernées. Pour y parvenir, ils peuvent emprunter l'une ou l'autre voie de règlement de leur différend, y compris, le cas échéant, en le soumettant à la Cour en vertu d'un compromis au titre de l'article 273 TFUE. Afin de résoudre la question de la fixation de leurs frontières communes à la suite de la proclamation de leur indépendance respective à l'égard de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, la Croatie et la Slovénie ont conclu une convention d'arbitrage en novembre 2009.En vertu de cette convention, entrée en vigueur un an plus tard, les deux États s'engageaient à soumettre ce différend au tribunal arbitral institué par celle-ci, dont la sentence les lierait.


À la suite d'un incident de procédure survenu devant le tribunal arbitral, en raison de communications officieuses entre l'arbitre nommé par la Slovénie et l'agent de cet État devant le tribunal arbitral au cours des délibérations de celui-ci, la Croatie a considéré que la capacité de ce tribunal à rendre une sentence de manière indépendante et impartiale était compromise. Elle a ainsi informé la Slovénie, en juillet 2015, qu'elle considérait que cette dernière s'était rendue coupable de violations substantielles de la convention d'arbitrage. Par conséquent, invoquant la convention de Vienne sur le droit des traités 1, elle a décidé de mettre immédiatement fin à la convention d'arbitrage. Le tribunal arbitral a néanmoins considéré qu'il convenait de poursuivre la procédure d'arbitrage et a adopté une sentence arbitrale en juin 2017, par laquelle il a délimité les frontières maritime et terrestre entre les deux États concernés. La Croatie n'a pas exécuté cette sentence arbitrale. En juillet 2018, la Slovénie a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice. Elle alléguait, tout d'abord, que la Croatie avait violé plusieurs obligations lui incombant en vertu du droit primaire 2 en méconnaissant ses obligations découlant de la convention d'arbitrage et de la sentence arbitrale, en particulier en ne respectant pas la frontière fixée dans cette sentence.

En outre, elle soutenait que la Croatie, de ce même fait, avait enfreint plusieurs normes de droit dérivé 3.Se prononçant sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Croatie, la Cour a rappelé qu'elle était incompétente pour se prononcer sur l'interprétation d'un accord international conclu par des États membres et dont l'objet échappe aux domaines de compétence de l'Union, ainsi que sur les obligations qui en découlent pour ceux-ci. La Cour en a ensuite déduit qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur un recours en manquement, qu'il soit formé au titre de l'article258 TFUE ou de l'article 259 TFUE, lorsque la violation des dispositions du droit de l'Union invoquée à son soutien présente un caractère accessoire par rapport à la prétendue méconnaissance d'obligations issues d'un tel accord. Or, la Cour a constaté que les violations du droit de l'Union alléguées par la Slovénie soit résultaient de la prétendue méconnaissance par la Croatie des obligations découlant de la convention d'arbitrage et de la sentence arbitrale rendue sur le fondement de celle-ci, soit reposaient sur la prémisse selon laquelle la frontière terrestre et maritime entre ces deux États membres a été déterminée par cette sentence.

Soulignant que, en l'espèce, la sentence arbitrale avait été rendue par un tribunal international constitué en vertu d'une convention d'arbitrage bilatérale régie par le droit international, dont l'objet n'entrait pas dans les domaines de compétences de l'Union et à laquelle l'Union n'était pas partie, la Cour a relevé que ni la convention d'arbitrage ni la sentence arbitrale ne faisaient partie intégrante du droit de l'Union. Elle a précisé dans ce cadre que la référence, opérée en des termes neutres par une disposition de l'acte d'adhésion de la Croatie à l'Union, à ladite sentence arbitrale ne pouvait être interprétée comme incorporant dans le droit de l'Union les engagements internationaux pris par les deux États membres dans le cadre de la convention d'arbitrage précitée.

Dans ces circonstances, la Cour a considéré que les violations alléguées du droit de l'Union présentaient, en l'occurrence, un caractère accessoire par rapport à la prétendue méconnaissance, par la Croatie, des obligations issues de l'accord bilatéral en cause. Indiquant qu'un recours en manquement au titre de l'article 259 TFUE ne pouvait avoir pour objet que le non-respect d'obligations découlant du droit de l'Union, la Cour a jugé qu'elle n'était donc pas compétente pour se prononcer, dans le cadre du présent recours, sur une méconnaissance alléguée des obligations issues de la convention d'arbitrage et de la sentence arbitrale, dont découlent les griefs de la Slovénie tirés de prétendues violations du droit de l'Union.

Enfin, rappelant la compétence réservée aux États membres, conformément au droit international, de délimitation géographique de leurs frontières ainsi que la circonstance que, selon la convention d'arbitrage, c'est aux parties à cette convention qu'il incombe de prendre les mesures nécessaires afin de mettre en oeuvre la sentence arbitrale, la Cour a estimé qu'il ne lui appartenait pas d'examiner, dans le cadre du présent recours, la question de l'étendue et des limites des territoires respectifs de la Croatie et de la Slovénie, en appliquant directement la frontière déterminée par la sentence arbitrale afin de vérifier la matérialité des violations du droit de l'Union en cause.


Rappel Un recours en manquement, dirigé contre un État membre qui a manqué à ses obligations découlant du droit de l'Union, peut être formé par la Commission ou par un autre État membre. Si le manquement est constaté par la Cour de justice, l'État membre concerné doit se conformer à l'arrêt dans les meilleurs délais. Lorsque la Commission estime que l'État membre ne s'est pas conformé à l'arrêt, elle peut introduire un nouveau recours demandant des sanctions pécuniaires. Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d'une directive à la Commission, sur sa proposition, des sanctions peuvent être infligées par la Cour de justice, au stade du premier arrêt.