La décision du Parlement européen relative au financement du parti ADDE en 2015 est annulée pour défaut d'impartialité En revanche, le Parlement était en droit de demander une garantie bancaire et de limiter le préfinancement pour l'exercice financier de 2017

Cour de Justice de l'Union Européenne - 11/11/2019 11:32:00


Arrêt dans l'affaire T-48/17 - Alliance for Direct Democracy in Europe (ADDE)/Parlement
En décembre 2014, Alliance for Direct Democracy in Europe (ADDE), parti politique au niveau
européen dominé par le UK Independence Party (UKIP), a fait l'objet d'une décision du bureau du
Parlement lui accordant une subvention maximale de 1 241 725 euros pour l'exercice financier de
2015.
Des contrôles ont été effectués postérieurement et un rapport d'audit externe a conclu que
certaines dépenses étaient inéligibles au titre de l'exercice financier 2015. En novembre 2016, le
Parlement a donc déclaré inéligible la somme de 500 615,55 euros et demandé à ADDE de
rembourser la somme de 172 654,92 euros.
En décembre 2016, le bureau du Parlement a décidé d'adopter une décision accordant une
subvention maximale de 1 102 642,71 euros à ADDE pour l'exercice financier 2017. Le bureau du
Parlement a précisé que le préfinancement serait limité à 33 % du montant maximal de la
subvention, sous réserve de la fourniture d'une garantie bancaire compte tenu de la remise en
cause de la viabilité financière d'ADDE en l'absence de ressources propres.
ADDE a saisi le Tribunal de l'Union européenne d'une demande d'annulation des deux décisions
de novembre et décembre 2016 concernant les exercices financiers de 2015 et de 2017.
Selon ADDE, la décision relative à l'exercice financier 2015 ne serait ni équitable ni impartiale en
raison de la composition du bureau du Parlement. En particulier, ADDE soutient que ce bureau ne
compte pas un seul représentant des partis dits « eurosceptiques » et ne serait pas en mesure
d'assurer le contrôle impartial et objectif des fonds alloués aux partis politiques européens et aux
fondations politiques liées à ceux-ci. En outre, selon ADDE, un membre du bureau du Parlement
aurait tenu publiquement des propos, avant la réunion menant à l'adoption de la décision attaquée
relative à l'exercice financier 2015, montrant son hostilité et son manque d'impartialité.
Dans son arrêt de ce jour, le Tribunal relève que le membre du bureau du Parlement en question a
tenu des propos qui, du point de vue d'un observateur externe, permettaient de considérer que
ledit membre avait préjugé la question avant l'adoption de la décision attaquée relative à l'exercice
financier 2015. De plus, ce membre était, avec un autre, responsable au sein du bureau du suivi
des dossiers relatifs au financement des partis politiques au niveau européen. Le Tribunal constate
ensuite que, étant donné le contenu catégorique et non équivoque des déclarations,
formulées avant l'adoption de la décision attaquée relative à l'exercice financier de 2015, les
apparences d'impartialité ont été sérieusement compromises.
Le Tribunal souligne que le Parlement doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute
concernant l'impartialité de ses membres lors de la prise de décisions de nature administrative, ce
qui implique que les membres s'abstiennent de tenir des propos publics se rapportant à la
bonne ou mauvaise gestion par les partis politiques au niveau européen des fonds octroyés
lorsque les dossiers sont en cours d'étude.

Le Tribunal examine ensuite la question de l'inéligibilité de certaines dépenses liées au
financement de certains sondages au Royaume-Uni.
Le Tribunal rappelle, d'une part, que les fonds des partis politiques au niveau européen provenant
du budget général de l'Union ou de toute autre source ne peuvent être utilisés pour le financement
direct ou indirect d'autres partis politiques notamment de partis ou candidats nationaux et, d'autre
part, que les fonds émanant de l'Union ne servent pas à financer des campagnes référendaires.
Le Tribunal souligne que le sondage en cause a été effectué en Belgique, en France, en Hongrie,
aux Pays-Bas, en Pologne, en Suède et au Royaume-Uni, sur un échantillon d'environ 1 000
personnes dans chaque État. Les questions, qui étaient les mêmes dans les sept États membres,
portaient notamment sur l'appartenance de ces États membres à l'Union, le vote des participants
lors d'un éventuel référendum d'appartenance à l'Union et la réforme des conditions
d'appartenance à l'Union. Le Tribunal constate ensuite que seule la partie du sondage relative
au Royaume-Uni est concernée par l'interdiction du financement des campagnes
référendaires. Dès lors, le Tribunal considère que la déclaration d'inéligibilité de l'ensemble des
dépenses du sondage n'était pas justifiée.
Au vu des exigences d'impartialité et des caractéristiques du sondage en cause, le Tribunal
annule la décision du Parlement relative à l'exercice financier de 2015.
Selon ADDE, la décision relative à l'exercice financier de 2017 viole le principe de proportionnalité
et le principe d'égalité de traitement en ce qui concerne la limitation du préfinancement à 33 % du
montant de la subvention totale conjointement avec l'exigence d'une garantie bancaire.
Le Tribunal rappelle que le Parlement dispose du pouvoir, d'une part, d'exiger la constitution
d'une garantie bancaire et, d'autre part, de limiter le montant du préfinancement afin de
limiter le risque financier pour l'Union lié au versement des fonds.
Le Tribunal constate que des mesures alternatives n'auraient pas permis de sauvegarder de la
même manière les intérêts financiers de l'Union que les mesures adoptées par le Parlement. En
effet, la résiliation de la subvention lorsque le bénéficiaire est déclaré en faillite ou fait l'objet d'une
procédure de liquidation ne permet pas d'assurer que le Parlement puisse éventuellement
récupérer les fonds déboursés. Il en va de même d'une simple limitation du préfinancement à 33 %
du montant de la subvention sans exigence d'une garantie bancaire, qui ne saurait garantir
l'éventuelle récupération des fonds déboursés par le Parlement. Ainsi, compte tenu de la marge de
discrétion du Parlement pour déterminer les mesures appropriées et nécessaires pour protéger
l'Union d'un risque financier, le Tribunal conclut à l'absence de violation du principe de
proportionnalité.
Le Tribunal conclut également à l'absence de violation du principe d'égalité de traitement dès lors
que le bureau du Parlement a adopté au même moment des mesures similaires de réduction du
risque financier concernant sept bénéficiaires, dont ADDE. En outre, même si le Parlement a
envisagé de demander des mesures d'amélioration de leur situation financière à certains
bénéficiaires, cette possibilité a été envisagée pour tous les bénéficiaires et il n'y a pas d'indication
selon laquelle le Parlement aurait offert effectivement cette possibilité à certains bénéficiaires,
mais non à l'ADDE.
Le Tribunal rejette donc la demande en annulation de la décision relative à l'exercice
financier de 2017.