Discours de Gérald DARMANIN, Ministre de l'Action et des Comptes publics: Présentation de la nouvelle relation de confiance

Gérald DARMANIN - Ministère de l'Action et des Comptes publics - 15/03/2019 13:05:00


Bercy ; Jeudi 14 mars 2019

« Pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner » écrivait Marcel Pagnol, dans le tome 4 de ses Souvenirs d'Enfances intitulés Le Temps des amours.

C'est le pari que nous faisons aujourd'hui, après avoir pris le temps d'une longue concertation. La confiance ne se décrète pas, elle se construit dans le temps, pas à pas. Et il faut toujours quelqu'un pour faire le premier pas. C'est le but des sept initiatives que nous présentons aujourd'hui.

Derrière l'apparente technicité des mesures que nous présentons aujourd'hui, c'est une véritable révolution culturelle que nous engageons. Inutile de préciser qu'elle n'allait pas de soi, ni pour l'administration, ni pour les entreprises. Elle était pourtant absolument nécessaire :
- La fiscalité est devenue d'une complexité inextricable. Nul n'est censé ignorer la loi, certes, mais c'est devenu un adage bien théorique face aux 2 000 pages du code général des impôts. Le rôle de l'administration est de veiller à la bonne application des règles. Le contrôle traditionnel n'est qu'une façon parmi d'autres d'assurer cette mission. L'accompagnement et le conseil y concourent tout autant ;
- Par ailleurs, la sécurité juridique a une vraie valeur économique : la compétition internationale se joue certes sur le niveau de la fiscalité, mais aussi sur la prévisibilité de l'environnement fiscal, la capacité de l'administration à apporter des réponses aux questions concrètes des entreprises, au moment où elles se les posent ;
- Et pour les entreprises, la conformité fiscale est certes un enjeu financier mais aussi, j'en ai la conviction, un enjeu croissant d'image. Prendre des engagements de transparence avec l'administration, s'assurer que les règles sont correctement respectées, que le juste impôt est payé, et pouvoir s'en prévaloir dans le débat public, voilà des atouts économiques importants à l'heure où les citoyens sont de plus en plus sensibles à ces questions.

C'est tout l'esprit de la philosophie du droit à l'erreur conçue par le Président de la République, que j'ai eu l'honneur de traduire d'abord dans notre législation, avec la loi pour un Etat au service d'une société de confiance, et que nous traduisons maintenant dans la pratique, dans les relations concrètes et quotidiennes de nos administrations et de leurs usagers.

Les initiatives que nous vous présentons aujourd'hui relèvent de l'organisation, de la pratique, de la culture, de l'allocation de moyens, du management. Elles ne nécessitent aucune création législative nouvelle. La plupart des sept mesures de cette nouvelle relation de confiance sont ainsi d'application immédiate.

Nous avions initialement, dans ESSOC, prévu une habilitation à légiférer par ordonnance. Après des mois de consultation, notre constat est clair : aucune des réponses aux besoins que vous avez exprimés ne nécessite de changement majeur de nos lois, sinon quelques adaptations mineures. La plupart s'articulent autour d'un concept juridique aussi simple que génial, pilier ancien de notre droit fiscal : le rescrit, c'est-à-dire l'idée que l'administration, sans formalisme particulier, prend position par écrit sur les questions qui lui sont soumises, et que cette position lui est opposable à l'avenir, à condition que les circonstances de droit et de fait n'aient pas changé.
C'est en se fondant sur cet outil que nous avons conçu la principale innovation de cette nouvelle relation de confiance : le partenariat fiscal.

L'idée est simple : les grandes entreprises et les ETI sont très souvent contrôlées. Dès que votre activité atteint une certaine taille, il est fréquent que l'administration ne laisse aucun exercice fiscal se prescrire sans l'avoir vérifier. Dans les ETI, cela peut signifier un contrôle tous les trois ans, dans les grands groupes, cela peut signifier plusieurs contrôles, et parfois même plusieurs dizaines de contrôles, chaque année.

Dès lors que l'administration, et l'entreprise, consacrent des moyens à examiner régulièrement la conforme application de la fiscalité, pourquoi le faire toujours sur le passé, avec 2 à 3 ans de décalage, alors que les déclarations sont déposées, que les opérations ont été réalisées, que l'entreprise a déjà fait ses choix fiscaux qui auraient pu être différents si on en avait parlé ensemble. Pourquoi ne pas avoir cette discussion de façon contemporaine, au moment où les choses ne sont pas encore cristallisées, où toutes les décisions ne sont pas encore prises ?

C'est toute l'idée de ce partenariat, qui est d'abord une révolution de la contemporanéité. Pour l'administration, le juste impôt est recouvré tout de suite et spontanément, sans contentieux. Pour l'entreprise, le risque de redressement a posteriori, parfois sur trois ans ou plus, avec intérêt de retard
et parfois pénalités, est écarté, les risques fiscaux en France sont désamorcés et n'ont pas besoin d'être provisionnés dans les comptes.

C'était déjà l'objet de l'expérimentation de 2013 me direz-vous. Qu'est-ce que le partenariat fiscal apporte de différent ? Je dirais que cette expérimentation a été utile, voire fondatrice à certains égards, mais que nous avons tiré les conséquences de ce qui n'a pas fonctionné pour réajuster le dispositif :
- D'abord, le partenariat fiscal n'aura pas la prétention de valider l'exhaustivité d'un exercice, mais se concentrera sur les questions fiscales à enjeu. Le contrôle restera possible sur les points qui n'auront pas été abordés dans le cadre du partenariat. Il appartiendra donc aux entreprises de déterminer, en lien avec l'administration, le champ des questions fiscales sur lesquelles elles souhaitent se sécuriser, étant entendu que le reste pourra toujours être soumis à contrôle.
- Ensuite, l'interlocuteur de l'entreprise ne sera plus le service de contrôle, mais un service dédié au sein de la direction des grandes entreprises (DGE) pour les ETI et les grands groupes, et au sein des équipes juridiques des directions régionales (DRFiP) pour les PME.
- Enfin, le partenariat ne s'organisera pas filiale par filiale, société par société, mais groupe par groupe. Il ne sera naturellement pas nécessaire d'aborder tous les sujets de toutes les filiales en même temps, mais tous les enjeux du groupe, quel que soit l'endroit où ils se situent au sein de celui-ci,
pourront être discutés, et les positions prises par l'administration sur une question posée par une filiale du groupe pourront être valables dans toutes les autres.

Nous signerons toute à l'heure les premiers partenariats. Je remercie les entreprises qui ont fait le choix de rejoindre l'aventure dès son lancement. J'espère que les 12 entreprises qui signeront aujourd'hui, et les quelques supplémentaires qui ont prévu de signer dans les prochains jours, seront les premiers ambassadeurs d'une relation qui est amenée à prospérer.

Nous allons leur dédier une équipe d'experts de haut niveau, dirigée par une grande professionnelle que beaucoup connaissent ici. Leur mission est d'apporter la démonstration que nous sommes capables de mettre en place, en France, avec les adaptations nécessaires à notre pays, le type de relation qui est depuis longtemps inscrite dans les habitudes au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Il y a ceux que vous verrez signer toute à l'heure, et il y a toutes les PME auxquelles nous sommes en train de proposer l'accompagnement fiscal
personnalisé. Partout dans le réseau de la DGFiP, des experts dédiés, équivalents locaux du service partenaire des entreprises, apporteront aide au diagnostic, conseils et prises de position opposables à nos PME confrontées à des problématiques fiscales liées à leur croissance ou leur activité d'innovation.

Je formule ainsi le voeu que, d'ici la fin de ce quinquennat, quelques dizaines de PME et ETI aient rejoint le partenariat fiscal, et quelques centaines de PME bénéficient de l'accompagnement fiscal personnalisé. De notre côté, nous nous engageons à mobiliser les moyens permettant de répondre à la demande.

Je vois déjà poindre la critique : certains diront qu'on déshabille le contrôle, qu'on renonce à la lutte contre la fraude. Rien n'est plus faux !

Nous le disions, la plupart des groupes qui rejoignent le partenariat sont très fréquemment contrôlés. Dans une grande entreprise, un contrôle ce n'est pas un seul vérificateur, c'est généralement une équipe faisant intervenir différentes spécialités.

Or, si les entreprises qui rejoignent le partenariat ont passé les critères de conformité fiscale que nous avons retenus, c'est que l'administration n'y a pas trouvé d'agissements répréhensibles. Il y a pu avoir des erreurs à corriger, mais aucun montage relevant de la fraude n'y a été décelé. Dès lors, pourquoi mobiliser autant de ressources pour continuer, avec la régularité du chronomètre, à contrôler ces entreprises ? Au contraire, le partenariat sera une façon beaucoup plus économe d'assurer leur conformité, par la discussion régulière et transparente qui s'instaurera.

A l'échelle nationale, je vous le rappelle : 25% des contrôles fiscaux débouchent sur une absence de redressement ou des redressements de faible montant. C'est un immense gâchis de ressources. La réalité est que nous avons tout à fait les moyens d'offrir ce partenariat aux entreprises qui attachent de la valeur à leur conformité fiscale et à la sécurité juridique, tout en luttant toujours plus efficacement contre la fraude.

Dans les services de contrôles, les équipes qui auparavant contrôlaient les entreprises qui entreront en partenariat pourront se redéployer sur d'autres thématiques, et pourront aller vérifier d'autres contribuables qui entendaient moins souvent parler de l'administration fiscale. Pour cela, elles ont besoin d'outils de ciblage plus efficaces, et nous investissons beaucoup en hommes et en moyens techniques pour les leur donner.

Bien sûr, beaucoup d'entreprises préféreront ne pas s'aventurer aussi loin dans la coopération avec l'administration fiscale. D'ailleurs, pour beaucoup d'entre elles, leurs enjeux fiscaux ne le justifient pas vraiment. Pour autant, ces entreprises ne sont pas oubliées de la nouvelle relation de confiance.

Nous l'avons dit, la fiscalité d'entreprise est complexe et évolutive, sous l'effet des changements de législation nationale ou européenne, de la jurisprudence ou de la doctrine. Elle peut donner lieu à des interprétations divergentes, voire contradictoires. Par ailleurs, la continuité des personnes morales n'exclut pas d'importants changements de politique fiscale au sein des entreprises, à l'occasion d'un changement d'actionnaire, d'équipe dirigeante ou de conseil par exemple.

Aussi, nous avons souhaité faciliter la possibilité, pour les entreprises, de procéder à la mise en conformité spontanée de leur situation fiscale. Ceci est déjà possible aujourd'hui, naturellement, mais certains peuvent craindre de faire la démarche, de peur des sanctions qui s'appliqueraient.

Avec la circulaire que j'ai publiée en début de semaine, et le service de mise en conformité que nous créons, il y aura désormais un cadre clair, et un guichet identifié. Et dans sa grande sagesse le Parlement a prévu, lors de la suppression du fameux verrou de Bercy, que les démarches spontanées de mise en conformité ne donneraient pas lieu à transmission automatique au parquet, même si elles débouchent sur l'application de pénalités.

Pour sécuriser des questions simples, usuelles, pour lesquelles il y a généralement convergence entre le droit fiscal et la comptabilité, nous créons l'examen de conformité fiscale. Il pourra porter sur des questions relatives aux amortissements, à la déductibilité des charges, au respect des règles d'exigibilité pour la TVA et le prélèvement à la source, aux provisions.

Un tiers certificateur pourra auditer ces sujets et remettre aux entreprises une attestation de conformité. Ainsi, les entreprises seront libérées du souci que peut représenter le risque fiscal sur les questions courantes. En cas d'erreur du certificateur, l'entreprise qui a respecté les recommandations de celui-ci n'encourra aucune pénalité ni aucun intérêt de retard. Elle pourra demander remboursement de sa prestation au certificateur, et rechercher sa responsabilité civile dans le cadre des règles de droit commun régissant leur relation commerciale. Toutes les entreprises pourront avoir recours à ce dispositif.

Pour les questions plus complexes, les entreprises pourront continuer à recourir au rescrit classique. La DGFiP délivre chaque année environ 18 000 rescrits chaque année. Pour l'essentiel, ces rescrits relèvent des services territoriaux et sont délivrés dans des délais rapides. Toutefois, les plus complexes d'entre eux et ceux qui comportent les enjeux financiers les plus importants relèvent des services centraux de la DGFiP.

Et c'est là que le bât blesse. Alors que la loi prévoit un délai maximal de réponse en trois mois, celui-ci peut atteindre 8 mois à 2 ans dans les cas les plus extrêmes. Personne ne peut se satisfaire de cette situation et vous avez été très nombreux à le souligner au cours de la consultation. Les changements organisationnels que nous mettons en place doivent nous permettre de respecter le délai légal de 3 mois à l'avenir. Nous ferons un reporting public de notre respect des délais, et il sera temps d'en dresser un
premier bilan d'ici un an.

Dans le même esprit, nous allons mobiliser nos forces en appui de nos entreprises qui rencontrent des difficultés à l'international. Beaucoup d'entre vous nous ont alertés, au cours de la consultation, sur les situations de double imposition auxquelles vous étiez parfois confrontés, et sur les difficultés que vous rencontriez à faire appliquer les termes de nos conventions fiscales dans certains pays. Vous devez, dans de telles situations, pouvoir compter sur notre appui, y compris lorsqu'il implique la mobilisation de notre réseau diplomatique ou des autorités politiques à l'occasion de leurs déplacements à l'étranger.

Enfin, il nous appartient de faire en sorte que le contrôle fiscal se passe mieux. Une étape importante a été franchie dans la loi ESSOC, avec la garantie fiscale. Le principe est simple : au début du contrôle, le vérificateur indiquera les points qu'il vient examiner, et tout ce que l'administration aura examiné en contrôle sera validé pour l'avenir si le vérificateur n'y a rien trouvé à redire, à condition naturellement d'avoir eu accès à une information fiable et complète. Ainsi, le contrôle fiscal deviendra lui aussi créateur de sécurité juridique.

Pour les sujets qui dépassent l'enjeu particulier de l'entreprise vérifiée mais sont pertinents pour toutes les entreprises se trouvant dans une situation identique, les rappels d'intérêt général seront publiés, dans la même logique que la publication des rescrits, et une instance de dialogue avec les représentants des entreprises sera mise en place pour définir une position de l'administration fiscale connue de tous, et garantir son application uniforme sur le territoire. Enfin, les recours seront fluidifiés et améliorés.


Vous le voyez, la nouvelle relation de confiance que nous souhaitons instaurer à travers ces 7 initiatives couvre un champ très large et s'adresse à tous. Cette démarche est le fruit du travail d'écoute que nous avons conduit pendant des mois. Je souhaite remercier tous ceux qui se sont investis dans cette consultation : les agents des finances publiques bien sûr, qui ont beaucoup travaillé à l'élaboration des annonces qui nous réunissent aujourd'hui, les organisations patronales et professionnelles, et les entreprises elles-mêmes. Et je souhaite tout particulièrement remercier les experts ici présents qui nous ont aidés précieusement à forger ces dispositifs, avec leur regard de futurs usagers de l'ensemble de cette démarche nouvelle.

Je ne sais si, après le temps des premiers pas viendra le temps des amours, comme dans le livre de Pagnol, mais je crois que nous forgeons ici quelque chose de durable, qui va profondément modifier la relation concrète et quotidienne des entreprises avec l'administration fiscale. Pour la DGFiP, c'est un défi de transformation interne évident, mais cette très belle administration dont j'ai l'honneur d'être le Ministre a montré, dans un tout autre champ, qu'elle avait été capable de relever un autre très grand défi de
transformation : le prélèvement à la source. Vous savez, et je sais, que nous pouvons compter sur le professionnalisme et la loyauté de ses agents pour faire aussi bien avec cette nouvelle relation de confiance.

Pour le Ministre des Comptes publics que je suis, qui est aussi Ministre des URSSAF et Ministre des Douanes, l'enjeu qui est le mien sera de suivre le décollage de cette nouvelle fusée, mais aussi de décliner cette démarche dans les sphères sociales et douanières. Chacune a ses spécificités, mais la philosophie de la relation de confiance doit s'y appliquer de la même manière et nous aurons certainement l'occasion d'en reparler ensemble au cours des prochains mois, notamment pour que l'URSSAF soit définitivement votre ami.

Je vous remercie.