14 janvier 2019 : Publication de la directive ECN : une nouvelle étape pour la politique européenne de concurrence

Autorité de la Concurrence - 15/01/2019 12:05:00


Une directive qui constitue une nouvelle étape décisive pour la politique européenne de concurrence

Le projet de directive est né du constat que, près de 15 ans après l'adoption du règlement 1/2003 ayant créé le réseau européen de concurrence entre les autorités nationales de concurrence et la Commission européenne, une nouvelle étape ambitieuse était à la fois possible et souhaitable.

La première étape avait été celle de la mise en place d'un réseau souple et réactif dans lequel les autorités nationales sont pleinement compétentes pour appliquer le droit européen de la concurrence de manière décentralisée, tandis que les autorités coopèrent entre elles pour définir quelle est l'autorité la mieux placée pour traiter un cas, et échangent régulièrement tant au stade des enquêtes que des décisions prises.

Cette première étape a été un succès, avec un bon fonctionnement des mécanismes d'allocation des cas, une application homogène des principes et un développement de coopérations innovantes entre autorités et Commission (avec par exemple la décision Booking prise en 2015, dans laquelle les autorités française, italienne et suédoise ont accepté simultanément des engagements de Booking).

La nouvelle étape vise cette fois à consolider et à renforcer les autorités nationales de concurrence, en harmonisant leurs pouvoirs, moyens d'intervention et règles de fonctionnement d'une façon ambitieuse, en prenant pour modèle les modèles d'autorités les plus avancés.

Cette directive a pu être adoptée dans un délai relativement court, un consensus ayant vite émergé sur la nécessité de ce renforcement.

Un alignement à la hausse des garanties d'indépendance, des moyens d'actions et des ressources de l'ensemble des autorités de concurrence

La directive oblige désormais chaque État membre à s'assurer que l'autorité nationale de concurrence dispose de garanties d'indépendance, de ressources et de pouvoirs de coercition et de fixation d'amendes nécessaires à l'application effective des articles 101 et 102 du TFUE, réprimant les ententes et abus de position dominante1.

Sur le plan statutaire et organique, ceci implique notamment, des obligations d'indépendance et d'impartialité pesant sur les membres des autorités nationales de concurrence. Les autorités nationales auront désormais le pouvoir de fixer leurs priorités afin de s'acquitter de leurs missions, et pourront rejeter les plaintes dont elles sont saisies au motif qu'elles ne les considèrent pas comme une priorité. (art 4). Les États membres devront veiller à ce que les autorités disposent d'un nombre suffisant de personnels qualifiés ainsi que de ressources financières, techniques et technologiques suffisantes (art 5). Les autorités devront être autorisées à mener des enquêtes, et peuvent également émettre des avis sur les lois et décrets et favoriser la sensibilisation du public à la concurrence. Enfin sans préjudice des règles budgétaires nationales, les autorités devront pouvoir dépenser leur budget en toute indépendance, sans interférence (même article).

Sur le plan des pouvoirs d'enquête, la directive affirme le droit des autorités nationales à procéder à toutes inspections inopinées et à obtenir des entreprises les documents et informations nécessaires à leurs enquêtes (art 6 à 9).

Sur le plan des pouvoirs de décision des autorités de concurrence, la directive opère un renforcement considérable, en élargissant leur palette des moyens d'action. Chaque autorité qui constate une infraction doit pouvoir obliger les entreprises à mettre fin à l'infraction, et lui imposer toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale (par exemple une cession d'actif ou de filiale, ou une modification contractuelle) (art. 10). Les autorités doivent désormais pouvoir imposer des mesures provisoires d'urgence pour prévenir un préjudice grave et irréparable à la concurrence et elles peuvent le faire d'office, sans attendre d'être saisies. Les autorités pourront également accepter des engagements de la part des entreprises pour remédier à des préoccupations de concurrence, avec des pouvoirs effectifs pour les contrôler (art 12).

La directive renforce également très sensiblement la dissuasion de la politique de concurrence, en imposant aux autorités de concurrence de pouvoir infliger des amendes « effectives proportionnées et dissuasives » lorsqu'elles sont en infraction au droit de la concurrence, ou lorsqu'elles ont fait obstruction à une inspection ou une enquête. En imposant un modèle de sanctions administratives dissuasives, la directive conduira plusieurs États membres à devoir revoir en profondeur leur droit national qui ne comportait pas de tels pouvoirs. Le plafond des amendes ne peut être inférieur à 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises, ce qui conduira plusieurs États membres à devoir modifier significativement leur droit national qui ne prévoyait pas de sanctions aussi dissuasives. En outre, en cas d'infraction commise par une association d'entreprises, le plafond doit prendre en compte le chiffre d'affaires de chaque membre, ce qui peut conduire à des sanctions d'un montant très important pour les associations de grandes entreprises (art. 15).

La directive harmonise par ailleurs à l'échelle européenne, en les rendant plus attractifs, les programmes de clémence offerts aux entreprises pour bénéficier d'une immunité d'amende lorsqu'elles divulguent leur participation à des ententes secrètes.

Elle renforce enfin les outils d'assistance mutuelle et de coopération entre les autorités nationales, afin d'assurer l'effectivité des enquêtes et décisions prises sur tout le territoire de l'Union.

Pour l'Autorité de la concurrence française, la directive implique un renforcement de ses pouvoirs d'action et, pour les entreprises, des sanctions encore plus dissuasives

Pour l'Autorité de la concurrence, cette directive offre des avancées significatives.

Elle se voit dotée de nouveaux moyens lui permettant de mettre en oeuvre plus efficacement encore le droit de la concurrence.
L'Autorité aura désormais l'opportunité de mieux optimiser ses ressources, en les consacrant aux affaires correspondant à ses priorités (« opportunité des poursuites »).

Elle disposera désormais de la faculté de se saisir d'office pour imposer des mesures conservatoires, ce qui est un atout pour répondre, notamment, aux défis de l'économie numérique.

La directive consacre la possibilité pour l'Autorité d'imposer des mesures « structurelles » aux entreprises en cas de pratiques anticoncurrentielles.

Toutes les entreprises seront soumises au même plafond, ce qui conduira à supprimer le plafond de 3 millions d'euros qui était applicable aux « organismes » ou associations d'entreprises, tels les syndicats ou ordres professionnels, qui pourront désormais être sanctionnés à hauteur du total des ressources de leurs membres.

La directive devra être transposée dans un délai de deux ans.