Quand Galileo confirme les prédictions d'Einstein

OBSPM - Observatoire de Paris - 12/12/2018 09:35:00

Le temps s'écoule plus rapidement quand on s'éloigne de la Terre. Cette prédiction d'Einstein a été testée avec succès par des physiciens de l'Observatoire de Paris - PSL du département SYRTE (Observatoire de Paris - PSL / CNRS / Sorbonne Université). Publiés le 4 décembre 2018 dans Physical Review Letters, les résultats ont été obtenus grâce aux deux satellites Galileo placés accidentellement en 2014 sur une orbite excentrique, et avec une précision 5 fois meilleure qu'un précédent test mené... il y a 40 ans.

Galileo est la constellation européenne de positionnement par satellites. Actuellement, 26 satellites sont en orbite autour de la Terre.

Lancés le 22 août 2014 par Arianespace depuis Kourou (Guyane), deux satellites Galileo, Sat-5 (Doresa) et Sat-6 (Milena), n'avaient pas atteint l'orbite circulaire prévue à quelque 23 000 km d'altitude, mais une orbite très excentrique (ovale) variant entre 17 000 et 26 000 km.

Ce qui à l'époque avait été vécu comme un échec pour le système de positionnement européen, censé rivaliser avec le GPS américain, s'est avérée une véritable aubaine pour les physiciens de l'Observatoire de Paris qui ont imaginé rebondir sur cette conjoncture pour effectuer des tests sur le principe d'équivalence de la relativité d'Einstein.

Deux fois par jour en effet, chaque satellite monte et tombe de 9 000 km.

Les satellites contiennent chacun une horloge atomique de type « maser à hydrogène passifs » (PHM), pourvue d'une stabilité inégalée parmi les horloges spatiales. Celles-ci sont comparées en permanence avec les meilleures horloges au sol, par une centaine de récepteurs terrestres.

Dès 2015, une étude préliminaire [1] menée par le SYRTE avait montré qu'il était possible d'exploiter, sur plus d'une année, les données de ces deux satellites excentriques afin d'améliorer le test du décalage gravitationnel, une expérience jamais réitérée depuis 1976 par Gravity Probe A (GP-A) [2], et primordiale pour tester les limites de la théorie de la gravitation d'Einstein.

Sous l'égide de l'Agence Spatiale Européenne, deux études parallèles et indépendantes ont été financées pour analyser les données des deux satellites excentriques, sous le nom de GREAT (Galileo gravitational Redshift Experiment with eccentric sATellites). L'une a été confiée au SYRTE à l'Observatoire de Paris et l'autre au ZARM, à l'Université de Brême.

Après trois ans de mesures et d'analyse de données, les résultats de l'étude des chercheurs du SYRTE et de leurs collaborateurs paraissent dans le journal scientifique Physical Review Letters [3]. Ils confirment les prédictions de la relativité générale avec une incertitude relative de 2.5x10-5, une amélioration d'un facteur 5,6 par rapport aux résultats de GP-A.

De nombreux collaborateurs

Afin de comprendre, d'évaluer et de corriger les erreurs systématiques associées à la modélisation de l'orbite occupée par erreur et aux horloges atomiques embarquées, une campagne de télémétrie laser par satellite (SLR) a été réalisée au cours des années 2016- 2017 [4], par le réseau de stations du service international de télémétrie laser (ILRS) La station de télémétrie laser de l'Observatoire de la Côte d'Azur, partenaire du projet. Cette campagne a permis de démêler en partie les effets systématiques provenant des erreurs d'orbite.

Le bureau de navigation de l'agence spatiale européenne, l'ESOC, a aussi apporté un soutien décisif : leurs experts ont généré des produits précis d'orbite et d'horloge en utilisant les meilleurs modèles de satellites disponibles, permettant une modélisation très précise des perturbations orbitales non gravitationnelles. Pour les autres erreurs systématiques affectant potentiellement les horloges embarquées, des limites supérieures prudentes ont été calculées grâce aux tests au sol des horloges et aux contrôles embarqués.

Cette expérience GREAT constitue une avancée décisive, avant la future expérience spatiale, ACES attendue pour se concrétiser à l'horizon 2020 notamment par l'envoi d'une fontaine atomique à césium - PHARAO - à bord de l'ISS, la station spatiale internationale. PHARAO devrait permettre d'améliorer encore d'un ordre de grandeur le test du décalage gravitationnel [5].


[1] P. Delva et al. « Test of the gravitational redshift with stable clocks in eccentric orbits : application to Galileo satellites 5 and 6 », Class. Quantum Grav. 32, 232003 (2015).
[2] R. F. C. Vessot and M. W. Levine. « A test of the equivalence principle using a space-borne clock », Gen. Relativ. Gravit. 10, 181 (1979)
[3] P. Delva et al. « A gravitational redshift test using eccentric Galileo satellites », Phys. Rev. L, submitted
[4] P. Delva et al. « An SLR campaign on Galileo satellites 5 and 6 for a test of the gravitational redshift - the GREAT experiment », Proceedings of the ILRS Technical Workshop, Matera, Italy, October 26-30, 2015 (2016)
[5] F. Meynadier et al. « Atomic clock ensemble in space (ACES) data analysis », Class. Quantum Grav., 35:3, p. 035018 (2018)