AP-HP : Au plus près des limites biologiques humaines

AP-HP - Assistance Publique Hôpitaux de Paris - 07/11/2017 13:20:00

Demain plus vieux ? plus grands ? plus puissants ? Face à la devise olympique, une nouvelle vision de l'homme est aujourd'hui au coeur d'un débat passionné aux enjeux considérables : est-il capable d'évolutions perpétuelles, repoussant sans cesse ses limites, ou les a-t-il déjà en grande partie atteintes ?

Dans une étude publiée dans la revue Frontiers in Physiology, une équipe réunissant les meilleurs spécialistes français du climat, de la biodiversité, de l'énergie et de la longévité, conduite par Adrien Marck, chercheur à l'IRMES, et Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l'Université Paris Descartes et à l'AP-HP, pose clairement la question des limites d'Homo sapiens.

Deux conceptions s'affrontent : la première est ancrée dans le XIXe siècle, ses promesses d'éternel progrès, dont la quête d'un homme "augmenté" prolonge la tradition. Elle imagine l'homme s'affranchissant de toutes ses limites, dépassant sa propre définition, voire se recréant ex nihilo. La seconde s'appuie sur les données établies, biologiques, physiques et environnementales, et suggère un progrès désormais restreint. Elle démontre à nouveau qu'une croissance ne peut être infinie.

En analysant les tendances historiques de trois indicateurs majeurs : les records mondiaux (performances physiologiques maximales), la taille adulte et la durée de vie maximale, l'étude publiée par l'IRMES montre un plafonnement depuis plus de 20 ans, suggérant l'atteinte des limites biologiques de notre espèce.

L'homme est en effet conditionné par son évolution passée et son environnement présent, qui instaurent des structures et des limites à chaque niveau, de l'échelle moléculaire (2,85 milliards de nucléotides pour l'ensemble de son information génétique) à la structure de son organisme (640 muscles, 206 os) ou à l'organisation des milieux au sein desquels il se développe. Les progrès énergétiques, technologiques, médicaux, politiques et sociaux du XXe siècle lui ont permis d'atteindre son potentiel : il est plus grand, plus athlétique et vit plus longtemps. Entre 1896 et 1997, année de décès de Jeanne Calment, la durée de vie maximale est ainsi passée de 110 à 122 ans. Sur la même période, la taille moyenne à l'âge adulte a progressé de 8 cm sur l'ensemble des pays du monde, tandis que les performances sportives n'ont cessé de battre des records (de 11 secondes à 9,58 secondes sur le 100m).

Des marges de progression de plus en plus faibles

Néanmoins, les tendances les plus récentes ne laissent entrevoir que des marges étroites pour notre progression future. Depuis deux décennies, personne ne s'est approché du maximum établi de longévité et les dernières données montrent des valeurs comprises entre 115 et 120 ans. Les Néerlandais, actuellement les plus grands, n'enregistrent plus de progression de leur taille (1m82 pour les hommes, 1m68 pour les femmes, depuis 20 ans). Et deux tiers des épreuves d'athlétisme ne progressent plus depuis les années quatre-vingt - ces performances ne devraient pas être améliorées en moyenne de plus de 0,5% dans les décennies à venir.

Or les activités humaines, toujours plus intenses, commencent à générer de premiers effets délétères sur notre santé et notre cadre de vie, dont le réchauffement climatique, les reculs de la biodiversité, la raréfaction des ressources, l'acidification et la montée des océans pourraient n'être que les préludes. L'instabilité de ces clefs de voûte est clairement perceptible : baisse de la taille dans les pays concernés par les émeutes de la faim (Egypte), diminution de l'espérance de vie pour des groupes avancés (Euro-Américaines aux Etats-Unis), progression de la sédentarité et recul des capacités d'endurance des enfants dans la plupart des pays développés. Leurs conséquences sociales et politiques se font déjà ressentir.

L'avenir reste à ceux qui, conscients de ces risques, résoudront le paradoxe de réduire nos impacts alentour tout en maintenant une santé, une longévité et des capacités humaines optimisées. Pour éviter l'incompréhension de nos concitoyens, ou le rejet trop rapide des options proposées, les politiques publiques doivent intégrer dès à présent ces conclusions. Elles devraient contribuer plus fermement à l'esquisse d'un projet tourné vers une société plus respectueuse de son environnement, proposant un cadre pour le développement (mobilité active, renoncement aux énergies carbonées, sécurité alimentaire, agrodiversité, dépollution, exploitation durable des ressources, minérales et vivantes) en quête d'un à-venir commun sur le très long terme.

Saurons-nous agir à temps et préserver l'essentiel ?
Are we reaching the limits of Homo sapiens ?
Adrien Marck, Juliana Antero, Geoffroy Berthelot, Guillaume Saulière, Jean-Marc Jancovici, Valérie Masson-Delmotte, Gilles Boeuf, Michael Spedding, Éric Le Bourg, Jean-François Toussaint
Frontiers in Physiology, Oct 2017