71ème congrès de la FNSEA : Nos propositions pour Mieux d'Europe

FNSEA - Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles - 27/03/2017 11:50:00


Ce rapport d'orientation est le fruit d'une volonté forte de Xavier Beulin qui avait souhaité, à la veille de l'élection présidentielle, faire un diagnostic sans concession sur l'Europe tout en affirmant avec force le sentiment pro-européen de la FNSEA. Le texte propose ainsi des pistes pour permettre à l'Europe de rebondir et porte un message fort en faveur d'un véritable projet agricole européen, en alertant également des dangers liés au repli sur soi promu par certains candidats aux élections à venir.

Jérôme Volle

« Il n'y a plus de vision politique du rôle de l'agriculture européenne »

Dans la première partie que vous présentez, le rapport d'orientation revient sur la construction européenne pour un diagnostic lucide. Pourquoi les évolutions de l'Europe ont-elles pénalisé les agriculteurs ?

Nous avons voulu remettre dans ce rapport d'orientation un certain nombre de dates stratégiques pour l'Union européenne, car un certain nombre d'agriculteurs ou de décideurs politiques peuvent ne pas savoir comment l'Europe s'est construite. La politique agricole commune a été mise en place dans un projet européen de paix et de commerce, avec l'idée d'accompagner tout nouveau pays entrant par des financements à l'investissement, pour une agriculture équilibrée dans les différentes régions de l'Europe. L'élargissement, dans un premier temps, permettaient aux nouveaux pays d'entrer dans des règles communes de fonctionnement. Puis il y a eu l'élargissement historique de 13 pays de l'Est, stratégique d'un point de vue politique, mais qui a introduit des distorsions de plus en plus grandes sur le plan agricole, au niveau des coûts de revient, des coûts de production, de la fiscalité... Pour les agriculteurs, un autre effet négatif a été le développement de plus en plus inquiétant de la subsidiarité.

Est-ce pour cela que la PAC a aujourd'hui perdu son sens pour beaucoup d'agriculteurs ?

D'une construction politique, l'Europe est progressivement devenue une Europe technocratique et juridique, uniquement perçue comme créatrice de textes de loi. Il n'y a plus de vrai projet politique. On ne connait plus aujourd'hui quelle politique européenne est menée, par exemple concernant la gestion des marchés : nous n'avons plus les bons outils. De la même manière, la PAC s'effrite progressivement et perd son sens pour les producteurs dont elle freine l'organisation : il y a entre 350 000 et 400 000 agriculteurs en France aujourd'hui, 10 000 entreprises de transformation, et 4 distributeurs. Pourtant, le droit à la concurrence reste très limitant en matière de négociation collective des prix. Nous avons également perdu progressivement tous les outils d'intervention, sans pour autant les remplacer par de nouveaux. Il n'y a plus de vision politique du rôle de l'agriculture européenne, si ce n'est à travers le verdissement.

Le rapport parle de l'Europe comme d'un nain politique...

L'axe franco-allemand est affaibli également, par désengagement de la France, et cela contribue à la faiblesse politique de l'Union européenne. Si l'on était vraiment unis au niveau européen, on aurait la capacité d'influencer les politiques agricoles mondiales, mais comme on n'est même pas capables d'être cohérents, d'avoir une colonne vertébrale, on n'arrive pas à agir politiquement dans les négociations commerciales internationales. Le Brexit est un signal d'alerte que l'on doit prendre au sérieux. Il va falloir négocier la sortie des Anglais en définissant comment continuer à travailler avec eux sur les négociations commerciales.

Le rapport imagine également un scénario de « politique-fiction » en cas de « Frexit ». Pourquoi la sortie de l'Europe serait-elle préjudiciable à l'agriculture française ?

Nous avons essayé d'imaginer ce qui arriverait si la France quittait l'Union européenne. Nous aurions de gros problèmes avec la dette et les taux d'intérêts, qui risquent d'augmenter fortement. Rien qu'avec le Penelopegate, le taux d'intérêt est passé de 0,6 % à 1,1 %, ce qui double le coût de nos emprunts. Pour l'agriculture, la dévaluation redonnerait sans doute un peu de prix, mais sans compenser la forte augmentation des coûts de production. Le Frexit rendrait également les exportations difficiles : on exporte 52 % de nos blés, 40 % de nos produits laitiers, beaucoup de vins et spiritueux, or si nous quittons l'UE, les marchés vont se fermer, comme ils vont se fermer aujourd'hui pour le Royaume-Uni. Les exportations seront possibles mais avec des droits de douane, et ces droits de douane seront mis en place au détriment du prix payé au producteur. Le Frexit, en dépit de ce que dit Marine le Pen, ne nous rapporterait pas plus d'argent car l'Europe nous ouvre un marché extraordinaire de 500 millions de consommateurs. Et si aujourd'hui la filière viande va un peu mieux, c'est parce que le marché européen tire les prix.

Arnold Puech d'Alissac

« L'Europe nous ouvre un marché extraordinaire »

La deuxième partie du rapport d'orientation fait état de différents leviers d'action pour redonner à la PAC son rôle et son efficacité. Pourquoi la convergence est-elle un préalable indispensable pour l'agriculture européenne ?

On ne parle pas uniquement d'agriculture sur ces enjeux. De nouvelles inquiétudes ont émergé dans l'Europe, comme la sécurité, l'immigration, la recherche-innovation, le changement climatique, des inquiétudes qui n'existaient pas il y a 20 ou 30 ans. Pour y répondre, nous avons besoin d'une Europe plus harmonisée, plus solidaire, ce qui passe par la convergence. Par exemple, sur le coût du travail : à part le Danemark, qui est à 21 euros de l'heure, la France est au plus haut avec 13 euros, contre un peu moins de 12 euros aux Pays-Bas, 8 euros en Allemagne, et surtout 3 euros en Pologne. Ce sont les pays de l'Est qui ont bénéficié au maximum de cette compétitivité, et ils n'ont pas du tout convergé. Même chose pour tout ce qui concerne la fiscalité, plus importante dans notre pays.

Une gouvernance plus forte serait donc nécessaire pour donner cette impulsion ?

Nous voudrions qu'une partie des députés européens soient élus sur liste européenne et non sur liste nationale, ce qui permettrait un engagement plus fort de leur part en faveur de l'Europe. De même, il faudrait que les circonscriptions françaises soient en phase avec les nouvelles régions, pour que les élus soient davantage impliqués, qu'ils sachent à qui ils doivent rendre compte. Nous avons par ailleurs une revendication concernant les actes délégués : la Commission les rédige pour expliciter les accords législatifs entre Parlement et Conseil, à l'image des décrets en France, mais souvent en oubliant l'esprit même de l'accord, et quand le texte final est soumis à l'approbation du Parlement, il est impossible de l'amender. Il faudrait un droit de regard avant. Car après, les conséquences peuvent être importantes sur le terrain. La Commission souhaite par exemple interdire les produits phytosanitaires sur les surfaces d'intérêt écologique. Or si on ne peut pas protéger le pois, beaucoup utilisé sur ces surfaces, la culture va être abandonnée. Enfin, il faut aussi, de notre côté, nous impliquer davantage à Bruxelles. Nous sommes représentés à travers les organisations - Copa-Cogeca - mais nous avons besoin de plus de connivence avec les autres pays, d'autant plus que l'image de la France a été fortement dégradée par nos différentes affaires politiques et notre manque de sérieux budgétaire.

Henri Brichart

« L'Europe doit se bâtir sur des projets »

Dans cette partie sur le nouveau projet agricole européen, la FNSEA insiste sur la nécessité de maintenir les aides directes...

Ce que l'on considère, c'est que les aides directes sont essentielles pour assurer une forme de durabilité aux exploitations. Globalement, et malheureusement, elles représentent une part importante du revenu des agriculteurs. Ces aides sont donc un socle de base et doivent demeurer, mais ce n'est pas suffisant. On a besoin aussi de pouvoir compenser des difficultés sur certaines productions, certains territoires, et d'orienter. C'est pour cela qu'il faut maintenir les aides couplées, et l'ICHN, sûrement en les faisant évoluer. Concernant les aides couplées par exemple, on ne peut pas aujourd'hui s'en servir pour développer les productions ni pour permettre aux agriculteurs de s'organiser, deux points qui figurent dans le règlement européen pour rester en accord avec les règles de l'OMC.

Au-delà de ce premier socle à maintenir, comment l'Europe peut-elle soutenir les revenus des agriculteurs ?

Il faut un minimum d'outils à Bruxelles pour enrayer les marchés dégradés. Nous proposons l'amélioration des outils existants - aide alimentaire, utilisation du non alimentaire... Quand les marchés sont mieux orientés, il y a logiquement plus de chances d'obtenir un retour positif aux producteurs, mais encore faut-il percevoir ce retour de la valeur. C'est pourquoi un travail est à mener au sein de la chaîne alimentaire, ce qui renvoie également à la question du droit à la concurrence : puisque la puissance publique se désengage, elle doit donner la capacité aux acteurs économiques d'agir sur ces marchés et permettre aux filières de s'organiser.

Quels sont les points de vigilance pour la prochaine PAC ?

Deux points méritent une attention particulière. D'une part, le monde est plus volatil, les variations climatiques, environnementales, économiques, sont de plus de plus en fréquentes. Ce n'est pas la PAC qui va amener toutes les réponses, mais les outils comme l'assurance, les fonds de mutualisation, l'instrument de stabilisation du revenu, sont à améliorer pour être véritablement efficients. D'autre part, on doit progresser sur la prise en compte environnementale. On nous dit souvent que l'environnement fait partie des attentes sociétales, mais nous sommes nous aussi dans la société, nous avons les mêmes attentes, d'autant plus que le sol et le climat sont nos outils de travail. Mais la manière dont les questions environnementales sont traitées se traduit par une politique de sanction. Nous lançons des pistes de réflexion pour une écologie pragmatique, c'est-à-dire applicable sur le terrain, qui favorise l'engagement plus que les normes, une politique de résultats plus que de moyens.

Le rapport défend également, en ce sens, une agriculture moderne et innovante...

Pour répondre à tous ces enjeux, nous ne pouvons pas nous recroqueviller. L'agriculture apportera des solutions par l'innovation. En dehors des problèmes économiques, les agriculteurs traversent aussi une crise psychologique : ils ne comprennent pas l'attitude d'une partie de la population qui met en avant, dans tous les autres secteurs, le modernisme, que ce soit dans les médias, les télécommunications, et qui considère que ce serait un péché pour l'agriculture. Pourtant, c'est là que nous serons dans une stratégie de progrès.

Tous ces éléments nécessitent un budget ambitieux...

C'est un point très important du rapport : l'Europe doit se bâtir sur des projets. C'est pourquoi nous considérons que l'on doit d'abord construire le projet agricole, dont découlera ensuite le budget adapté, et non l'inverse. Si l'on croit à une Europe qui donne des perspectives à ses citoyens, il faut se donner les moyens de le faire.

Propos recueillis par Actuagri