Entretien au Press Club de France; Sonia ROLLAND et Jean François PUECH : RWANDA "Du chaos au miracle"

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 29/08/2016 10:05:00


Avec son film « Du chaos au miracle », SONIA ROLLAND nous présente le Rwanda d'aujourd'hui.

Sonia Rolland, ex miss France, est née au Rwanda de père français et de mère rwandaise. Comédienne et aujourd'hui réalisatrice engagée dans la cause rwandaise, son film « Du chaos au miracle », nous présente les réussites de la reconstruction du Rwanda et de la réconciliation après le génocide de 1994. Réalisatrice confirmée, ce film prend la suite d'un court métrage social « Une vie ordinaire » réalisé au cours de l'été 2015 en Bourgogne.

Personnalité aux multiples activités et à l'esprit ouvert sur le monde, Sonia Rolland répond à nos questions*

Le Rwanda a-t-il pu trouver rapidement une unité à la suite du génocide ?

La justice était un objectif mais aussi la réconciliation. Pour réconcilier, il faut unir et guérir.
Le père de la constitution rwandaise, Tito Rutaremara, à l'aide d'un collectif, a mis en place les tribunaux Gacaca, juridictions populaires traditionnelles, en plus des tribunaux nationaux et du tribunal pénal international, pour faire face au grand nombre de personnes à juger et organiser la réconciliation. Les victimes découvraient les bourreaux de leurs proches, les bourreaux dénonçaient leurs crimes et pouvaient demander le pardon.

Dans mon documentaire apparaît un psychiatre rwandais, Naasson Munyandamutsa, grande figure post-génocidaire qui a disparu le 2 mars dernier. Sa disparition est une perte pour le Rwanda, pour la justice et pour la psychiatrie. Il oeuvrait pour la reconstruction de la société, celle des victimes mais s'attachait aussi à « soigner » les auteurs qui, en un temps très court, étaient devenus tueurs en série, générant d'immenses traumatismes.

Le Rwanda a aussi été sauvé grâce à sa culture orale de transmission, son savoir vivre et sa philosophie de la vie. L'intelligence a été de se nourrir des traditions rwandaises en les modernisant et de demander à la jeunesse de participer à la reconstruction. 70% de la diaspora est revenue au pays. C'est unique au monde. Le Rwanda inspire beaucoup mais on n'arrive pas à croire au miracle rwandais. Tout simplement car il est aujourd'hui difficile de croire en la parole des leaders. En Occident, on rencontre de plus en plus d'obstacles au changement. Au Rwanda, l'autorité et le consensus retrouvent leur place afin de donner force à l'action en se basant sur la valeur essentielle qui est la transmission et l'écoute des anciens, comme le fait Paul Kagamé qui consulte toujours les vieux sage tels que Tito Rutaremara. Des mesures fortes ont été prises, comme celle liée à la place de la femme : le Parlement compte 64% de femmes ce qui le place au premier rang mondial dans ce domaine, et les publicités montrent la femme à côté de l'homme. Les orphelinats ont été progressivement fermés pour responsabiliser la population et faire prendre conscience du rôle de la famille, etc.

La question générationnelle est essentielle. Ma mère a vécu des traumatismes : les camps, l'exil, la ségrégation, l'inscription tutsi sur sa carte d'identité. Notre génération est celle des exilés qui faisons un travail de mémoire et allons de l'avant. Mais il y a des animosités entre les deux générations, faute de débat suffisant. Ce qui est à noter c'est que Paul Kagamé a la jeunesse avec lui.

Au moment du génocide, la communauté internationale n'a pas réagi. Comment l'expliquez-vous ?

Et pourtant la diaspora rwandaise, au sein de laquelle se trouvaient aussi des hutus, a alerté la communauté internationale. Le Président de Médecins du Monde, Michel Brugière, l'avait dit sur les plateaux de télévision. Mais rien. Pour Bernard-Henri Lévy, qui regrette de ne pas avoir pris conscience sur le moment et ne pas s'être impliqué, le monde était tourné vers le Kosovo.

Cette frustration est aujourd'hui bien gérée par le Rwanda, mais la diplomatie n'en a pas fini de régler ses comptes avec les hommes politiques français de l'époque. En grande majorité les citoyens français condamnent le comportement de nos gouvernements depuis 1994, ne sont pas dupes et ne veulent pas être associés à leurs fautes.

Paul Kagamé ne semble pas bien compris par nos médias et nos hommes politiques. Qu'en pensez-vous ?

Globalement, l'Afrique est en mouvement. Le Rwanda s'exprime comme un pays qui peut avoir sa place parmi les grandes nations et fait comprendre aux pays occidentaux qu'il n'a pas de leçon à recevoir.
Paul Kagamé, grande figure politique, suscite des passions, de la colère et des fantasmes politiques. Il est un leader qui veut mener sa vision à terme et y réussit grâce à l'adhésion du peuple, véritable force du pays. Quant à la ministre des affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, elle s'exprime avec autorité, sans complexe d'infériorité ni peur.

C'est peut-être nouveau pour l'occident d'avoir à faire face à ce genre de comportement de la part de politiques africains.

Mais certains grands médias français sont outranciers, de mauvaise foi et ne veulent pas reconnaître le travail fait quand on évoque le « miracle rwandais ». J'ai même entendu une comparaison avec la Corée du Nord et la période Ben Ali... Ces raccourcis sont dangereux et s'installent dans l'inconscient collectif. Ils ne réalisent pas l'énergie nécessaire pour générer un vivre ensemble sans tutsiland ni hutuland. Notre société française a oublié l'après-guerre et ne comprend pas les mesures parfois difficiles qu'il a fallu prendre pour éviter les massacres par pulsion de vengeance notamment. La vengeance n'a pas sa place au Rwanda.

Lors de la commémoration des 20 ans du génocide, nous nous trouvions dans le stade de Kigali, ce que je montre dans mon documentaire. Des cris affolants provenaient du public, des femmes s'évanouissaient en larme et tout cela ponctuait la cérémonie. Un journaliste me dit : « ce n'est pas un peu théâtral ? ». Mais quel mépris ! A cette occasion, le Rwanda a subi deux offenses : l'absence de la délégation Française et les commentaires méprisants des journalistes présents face aux démonstrations puissantes et émouvantes. Certains n'ont même pas pris la peine de comprendre ce qui se disait au micro alors qu'ils avaient des traducteurs. J'ai évoqué cette insulte lors d'une interview sur France24. Car la France n'était pas là, Alain Juppé ayant persuadé François Hollande de ne pas assister à la cérémonie pour ne pas insulter la politique française...
La France refuse de reconnaître ses erreurs, alors que la Belgique l'a sincèrement exprimé par la voix de son premier ministre, Charles Michel. La France manque de bon sens et d'humilité. Pourtant cela permettrait d'envisager de bonnes relations diplomatiques.

Quels projets vous tiennent à coeur ?

Dans la suite de mon premier film, je prépare un long-métrage social plein d'espoir qui sera tourné en Bourgogne. C'est une success story ou comment on accède à un autre milieu social en se dépassant. J'ai une autre idée de documentaire sur l'enfance en exil.

Mon association Maïsha Africa fête ses 15 ans cette année. A la rentrée, nous organiserons un gala de charité sous forme de biennale. L'idée est dans un premier temps de présenter notre projet 2017 qui est de transformer l'orphelinat de Gisimba en école de quartier mais aussi de montrer toutes nos réalisations depuis 15 ans de la réhabilitations de 36 maisons d'orphelins chef de famille, à la construction récente de bâtiments dans le groupe scolaire de Ntarama. Nous voulons sensibiliser tout en créant une dynamique auprès de nos partenaires et donateurs. Pour l'organisation, nous avons réalisé un partenariat avec une école de communication, Sup de Pub ; en contrepartie, je participe à une campagne présidentielle fictive avec Frédéric Beigbeder, Christophe Alévêque, Gérald Dahan qui seront « mes adversaires » politiques. Mon thème est l'Amour et mon programme principal est de taxer le manque de bienveillance, de partage, d'humanisme. C'est ludique mais, pour les étudiants de cette école, c'est un travail très sérieux !

« Du chaos au miracle » nous montre comment, avec beaucoup d'énergie, de force et d'intelligence, on peut unir, réconcilier et faire avancer un pays, malgré les embûches et les nombreuses critiques.
Regardons le Rwanda avec justesse.

*Propos recueillis par Jean-François Puech - Directeur de la rédaction - jfpuech@newspress.fr