Lettre ouverte : corruption et sécurité par John Kerry, Secrétaire d'État des États-Unis d'Amérique

Ambassade des Etats-Unis - 13/05/2016 11:30:00


French translation of John Kerry: Time to treat corruption with seriousness it deserves in USA Today

Ces dernières années, dans presque toutes les régions du monde, du Printemps arabe à l'Amérique latine, ainsi que de beaucoup d'autres, les turbulences politiques montrent clairement qu'il est peu judicieux pour les gouvernements d'ignorer les inquiétudes croissantes de leurs citoyens à propos de la corruption. La corruption représente un poison qui mine la confiance, dépouille les citoyens de leur argent ainsi que de leur avenir et entrave la croissance économique dans les régions qui en ont le plus besoin. En outre, ce fléau s'est généralisé et continue de se propager : une personne sur trois vivant au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord a déjà été forcée de payer un pot-de-vin pour avoir accès à des services publics essentiels. De plus, la corruption persiste dans toutes les régions et pays du monde, y compris le mien.

Il est plus que temps que la communauté internationale traite la corruption avec le sérieux et l'attention que ce problème requiert. C'est pourquoi, cette semaine, je rejoindrai les représentants de plus de 50 nations, d'organisations internationales et de la société civile pour le Sommet mondial contre la corruption, le premier en son genre, qui se tiendra à Londres. À cette occasion, nous présenterons des mesures concrètes en faveur du renforcement de la lutte contre la corruption, telles que le lancement du Centre international de coordination de la lutte contre la corruption, qui permettra d'améliorer le partage d'informations entre les principaux pôles financiers et la coopération sur les enquêtes, ou encore l'augmentation du soutien apporté aux journalistes qui tentent de révéler les malversations commises dans le monde entier.

En paralysant les missions essentielles de l'État, notamment la sécurité et la justice, la corruption crée chez les citoyens un sentiment de frustration et de vide, que les extrémistes violents s'empressent de remplir avec de fausses promesses d'avenir meilleur. Voilà qui explique comment Daech a pu prendre racine en Irak et pourquoi les talibans perdurent en Afghanistan. Tant que nous n'aurons pas fait de la lutte contre la corruption une priorité, ces organisations barbares continueront de profiter de l'amertume des citoyens pour recruter de nouveaux adeptes, qui se sentent démunis et méprisés, et qui sont convaincus que le système est monté contre eux.

La corruption permet également aux trafiquants et aux cartels de prospérer, et ce sont souvent les populations les plus vulnérables (les femmes, les enfants et les minorités) qui en paient le prix le plus cher. Elle donne également la possibilité aux acteurs malintentionnés de jouer sur les décisions prises par les gouvernements, le plus souvent au détriment des citoyens. Il suffit d'ouvrir un journal pour découvrir des affaires de ministres corrompus, de gardes-frontières soudoyés pour fermer les yeux ou de criminels libérés contre une somme d'argent.

Il est troublant de voir que non seulement, la corruption nourrit les plus grandes menaces des temps actuels, mais qu'elle compromet également la capacité des gouvernements à y remédier. Par exemple, lorsque Mr. Buhari, Président du Nigeria, a pris ses fonctions l'année dernière, il a découvert une armée rongée par la corruption, totalement incapable d'affronter Boko Haram. De même, lorsque le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, a pris les rênes du gouvernement en 2014, il a recensé 50 000 soldats « fantômes » percevant un salaire et coûtant 380 millions de dollars à l'État chaque année. L'armée irakienne manquait donc d'effectifs pour affronter Daech.

Ces réalités montrent la nécessité de faire de la lutte anticorruption une priorité de premier ordre de notre politique étrangère. Pour cela, nous avons besoin d'une approche globale et audacieuse.

Des sanctions plus sévères et une meilleure application de la loi sont primordiales, mais en tant qu'ancien procureur, je sais que les sanctions seules ne permettront pas de résoudre tous les aspects du problème. Nous devons combiner nos mesures de sanction avec de nouveaux efforts destinés à prévenir l'apparition de la corruption. Nous pourrions atteindre cet objectif en aidant les gouvernements à mettre en place des procédures plus transparentes et plus simples permettant ainsi de réduire les opportunités de corruption. Nous pourrions également former les citoyens et les journalistes à surveiller et à décourager les irrégularités. Nous pourrions aussi mettre à profit les nouvelles technologies pour améliorer l'accès à l'information et habiliter la société civile à participer à l'application de la loi.

La communauté internationale pourrait également mieux saisir les opportunités de réforme lorsque le moment sera venu. Ces opportunités pourraient concerner l'élection d'un nouveau dirigeant qui ferait campagne pour mettre un terme à la corruption. Ou encore l'indignation publique face à la révélation de nouvelles preuves de corruption, comme ce fut le cas au Guatemala l'année dernière, où 19 semaines de contestation pacifique ont entraîné la démission et l'ouverture de poursuites contre le président en place. Aucun effort de lutte contre la corruption ne pourra aboutir sans volonté politique, et nous devrions nous assurer que les dirigeants engagés pour les réformes reçoivent un soutien en temps opportun pour faire une réelle différence.

Incontestablement, nous avons tous la responsabilité de lutter contre la corruption au sein de nos propres nations, y compris aux États-Unis d'Amérique. C'est d'ailleurs l'objectif de la nouvelle législation proposée par le Président Obama la semaine dernière qui permettrait de recueillir, pour la première fois, des informations quant à la propriété de sociétés-écrans établies sur l'ensemble du territoire américain, afin d'aider à l'application de la loi, mais également à la prévention et aux enquêtes sur la criminalité financière. Le gouvernement Obama s'est également engagé à augmenter la transparence des transactions immobilières opaques réalisées dans certains endroits comme New York et Miami, qui servent souvent à dissimuler des fonds illicites, mais aussi à combler le vide juridique qui permet aux étrangers de cacher des activités financières potentiellement illégales derrière des entités américaines anonymes. Ces mesures nous permettent d'intensifier la lutte contre la corruption et d'exhorter les autres gouvernements à nous rejoindre dans cette démarche.

Après tout, les gouvernements investissent beaucoup de temps et de ressources pour traiter les menaces telles que l'extrémisme violent, la criminalité internationale et les États fragiles. Cependant, si nous ignorons les liens intrinsèques de ces menaces avec la corruption, nous nous rendons la tâche encore plus difficile. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus plaider l'ignorance. Si nous voulons véritablement en finir avec ces menaces et bâtir un monde plus sûr, nous devons prendre le problème de la corruption à bras-le-corps.

Cette lettre ouverte a d'abord été publiée dans USA Today.