Irak : L'État islamique a tué plus de 200 personnes en deux semaines

HRW - Human Rights Watch - 11/03/2016 10:30:00


(Beyrouth, le 10 mars 2016) - L'État islamique a tué plus de 200 personnes en Irak, dont une grande majorité de civils, dans des attentats commis au cours des deux semaines qui se sont écoulées depuis le 25 février, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le meurtre intentionnel de civils est un crime de guerre et le caractère généralisé des attaques peut constituer un crime contre l'humanité.

L'attaque la plus récente a été perpétrée le 6 mars par le bais d'un camion-citerne piégé contre un checkpoint au nord de la ville d'al-Hilla, capitale du gouvernorat de Babylone, tuant au moins 60 personnes et en blessant plus de 70 autres, la plupart des civils. L'État islamique (EI, également connu sous le nom de Daech) a revendiqué l'attentat. Des employés d'hôpitaux et des responsables sécuritaires ont déclaré à Reuters que, parmi les victimes, figuraient 23 officiers de police et autres agents de sécurité. En vertu des lois de la guerre, des officiers de police qui ne participent pas aux combats sont normalement considérés comme des civils et ne doivent pas être la cible d'attaques.

« Cette dernière série de meurtres de masse démontre le mépris de l'État islamique pour la vie des civils », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Chaque victoire militaire de ce groupe armé met manifestement en danger un nombre croissant de civils à travers le pays. »

Après que les forces de sécurité irakiennes ont repris les villes de Baiji, en octobre 2015, et de Ramadi, en décembre, et que les peshmergas kurdes se sont emparés de Sinjar en novembre, l'État islamique a intensifié ses attaques contre des civils dans les zones situées au-delà de la ligne de front. La Mission d'assistance des Nations Unies en Irak estime que 410 personnes ont été tuées dans le pays en février 2016.

Le 25 février, un kamikaze s'est fait exploser près de la husseiniyya du Grand Prophète, lieu de culte chiite situé dans le quartier de Shula, à Bagdad, causant la mort d'au moins 31 victimes, selon le site Kitabat.com.

Parmi ces victimes figurait Amir Muhsin Kazhim, qui nettoyait les rues avoisinantes. Son neveu Saad Abu Haider a déclaré à Human Rights Watch que son oncle avait passé quatre jours à l'hôpital avant de succomber à ses blessures. « Amir avait 40 ans, était marié et père de deux fils et d'une fille, qui vont tous à l'école », a déclaré son neveu. « Il nettoyait les rues en tant qu'employé municipal, ce qui lui a coûté sa vie. »

Le 28 février, deux bombes ont explosé au marché de Muraidi, une ville située à l'est de Bagdad, tuant 73 personnes et en blessant plus de 112, a signalé Associated Press.

Le 29 février, un kamikaze s'est fait exploser dans une tente funéraire de Muqdadiya, tuant 40 personnes, dont six responsables de la sécurité, et en blessant 37 autres, selon Reuters et 3robanews.com. Les relations entre les sunnites et les chiites de Muqdadiya sont tendues suite aux deux attentats commis le 11 janvier, et qui ont fait 25 victimes, déclenchant une série de représailles contre les sunnites locaux par les milices chiites.

Prendre délibérément pour cible des civils est un crime de guerre, et tout individu impliqué dans la planification, l'organisation ou l'exécution d'un tel crime pourrait être tenu pour responsable de ses actes, y compris dans d'autres pays que l'Irak, a rappelé Human Rights Watch. Certains crimes, comme le meurtre, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile - ce qui signifie qu'ils sont commis dans le cadre d'une politique conduite par un État ou une organisation de type milice - sont considérés comme des crimes contre l'humanité.

Certaines catégories des crimes les plus graves qui violent le droit international, tels que les crimes de guerre, sont soumis à la « compétence universelle », qui se réfère à l'autorité juridique du système judiciaire national d'un État chargée d'enquêter sur certains crimes et d'ouvrir des poursuites, même si elles ne sont pas commises sur son territoire, par un de ses ressortissants ou contre un de ses ressortissants. Que les cas relevant de la compétence universelle puissent être poursuivis dans un pays spécifique dépend de sa législation interne.

Human Rights Watch a appelé à plusieurs reprises l'Irak à devenir un État partie à la Cour pénale internationale (CPI), en vue d'ouvrir la voie à d'éventuelles poursuites judiciaires pour les crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l'humanité commis par toutes les parties au conflit. Les autorités irakiennes pourraient donner à la Cour compétence pour les crimes graves commis en Irak depuis le jour de l'entrée en vigueur du traité portant création de la CPI, le 1er juillet 2002.

Le droit pénal irakien ne prévoit pas de dispositions pour ces crimes. Les membres de l'Etat islamique ont été poursuivis en vertu de l'article 4 de la loi de 2005 sur la lutte contre le terrorisme, qui est trop vaste. Si un mandat lui est confié, la CPI ne peut intervenir que pour enquêter sur les crimes graves relevant du droit international si les autorités nationales refusent ou sont dans l'incapacité de le faire.

« La nécessité de tenir pour responsables les auteurs de ces attaques massives est une raison de plus pour l'Irak de devenir un État partie à la Cour pénale internationale », a déclaré Joe Stork.

Un défenseur des droits humains à Muqdadiya a affirmé à Human Rights Watch que, le 29 février, les milices chiites ont attaqué la prison locale, à la recherche de co-conspirateurs sunnites de l'attentat; un autre activiste basé à Bagdad a indiqué que les milices chiites effectuent des centaines d'arrestations, à la suite des attentats commis dans les villes de Shula et Sadr.

« Les forces de sécurité devraient traduire en justice les responsables des attentats meurtriers », a souligné Joe Stork. « Mais les arrestations arbitraires et les abus contre des suspects dans le cadre d'interrogatoires ne font qu'ajouter aux injustices déjà commises ».