Violences conjugales, faites aux femmes, mères et enfants : Maître Catherine Perelmutter répond

Catherine Perelmutter Teboul - 29/11/2015 10:30:00


Maître Catherine Perelmutter est avocate depuis 1985, spécialisée en Droit de la famille, des personnes, et de leur patrimoine.

En 2008, elle a participé au film dédié au centenaire de la naissance de Françoise Dolto - CITOYENNE: "J comme Justice".

En 2001, elle assiste devant la cour d'Assises des mineurs de Paris la jeune fille victime de viols collectifs dans des caves à Paris. Cette affaire qui fut très médiatisée fait prendre conscience de l'horreur et de l'importance de ce phénomène.
A la veille de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Maître Perelmutter répond à nos questions.

1) Dans notre société, quelle est la prise de conscience des violences conjugales?

Les violences conjugales, dont sont l'objet le plus souvent les femmes, mères et enfants, ne sont pas un conflit, et ne résultent pas du syndrome d'aliénation parentale. Il s'agit d'une prise de pouvoirs de l'un des conjoints sur l'autre.

En France, le thème de la violence conjugale commence à être entendu à partir des années 2000. D'où le rapport Henrion du Ministère de la santé en 2001 qui évoque les risques pour les enfants exposés aux violences conjugales. De nombreux rapports, émanant de l'UNICEF, de la Fédération nationale solidarité femmes, de l'Observatoire National de l'Enfance en Danger (ONED), détaillent cette violence, son importance et ses impacts.

En 2010, une femme mourait tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon ; en 2013, 121 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex partenaire. La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée en 2010 « Grande cause nationale ».

2) Comment les traumatismes des enfants sont-ils écoutés et pris en compte ?

La question de l'impact de la violence conjugale sur les enfants est cruciale, puisque de la réponse à cette interrogation dépend leur protection.

D'après Madame Karen Sadlier, psychologue, « l'enfant exposé à la violence conjugale se sent toujours coupable. La question qu'il se pose est de savoir qui il doit protéger, ce qui le transforme en urgentiste en train de faire du triage sans aucune formation ».

Jusque dans les années 1980, la douleur des nouveaux-nés et des nourrissons n'était pas reconnue par les soignants. La souffrance des enfants était niée au motif d'une immaturité du système nerveux. Puis des études israéliennes ont démontré que l'impact de la violence conjugale sur les enfants est équivalent au stress post traumatique des victimes d'attentats, qui a été défini pour la première fois comme trouble psychique de guerre par un décret du 10 janvier 1992.

La prise en compte de la douleur des enfants dans la démarche de soin fait désormais partie des recommandations officielles, francophones et internationales, et si les enfants ont pâti des manque de temps, moyens, méconnaissance de la problématique, cloisonnement des prises en charge, la protection des enfants face aux violences conjugales devient une inquiétude croissante sur les plans national, européen et international.

3) Quelle protection juridique et judiciaire offre-t-on à la famille et à l'enfant ?

Pour Monsieur le juge Edouard Durand, « protéger la mère, c'est protéger l'enfant », mais encore faut-il que la victime soit identifiée. En effet, combien de femmes avec des enfants ne portent pas plainte et vivent cachées, terrées dans le silence ?

En cas de violences conjugales, plusieurs juges peuvent intervenir : le Juge aux Affaires Familiales (JAF) qui statue notamment sur la bonne distance à instaurer entre l'enfant et le parent violent, le Juge des Enfants, chargé de l'assistance éducative, et le Juge Pénal pour violences.

Le rôle du juge aux affaires familiales (JAF) est de privilégier l'intérêt supérieur de l'enfant, qui, capable de discernement doit être auditionné à sa demande, mais peu révèlent à l'occasion de cette audition ce qu'ils subissent, étant parfois instrumentalisés par le parent violent, surtout si les deux parents vivent encore ensemble.

Pour protéger l'enfant, la mère doit être en capacité de se séparer du conjoint violent en demandant des mesures relatives à l'autorité parentale, à la fixation de la résidence de l'enfant et le droit de visite et d'hébergement. Le juge évalue si les violences mettent en danger l'autre membre du couple et/ou les enfants. En cas de danger avéré, il pourra suspendre tout droit d'accueil du père. Il peut aussi organiser la séparation des parents dont l'un est auteur de violences.

Quant au juge des enfants, il intervient en matière d'assistance éducative, s'il existe un danger pour l'enfant ou une grave compromission des conditions d'éducation. Il peut aller jusqu'à placer l'enfant pour le protéger de ses parents lorsque le conflit conjugal grave porte atteinte à son développement. Pourtant, le placement d'un enfant n'est pas toujours la meilleure solution en raison des liens très forts tissés entre lui et sa mère.

Le juge pénal juge le parent violent pour les violences sur la mère et l'enfant. Il peut retirer l'autorité parentale des père et/ou mère agissant en qualité d'auteur ou complice des violences.

4) L'arsenal juridique permet-il une protection suffisante des enfants ?

Cet arsenal existe : la loi du 9 juillet 2010 complétée par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, met en place, dans l'objectif du maintien des liens entre l'enfant et son père et de la sécurité de la mère et des enfants, des rencontres dans des lieux dédiés ou par l'intermédiaire d'un tiers de confiance ou avec l'assistance du représentant d'une personne morale qualifiée ». Le juge doit aussi prendre en considération « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre ».

Les droits de visite et d'hébergement sont parfois accordés au père avec l'idée qu'il est violent avec son épouse mais pas avec les enfants, ou qu'il est malgré tout un bon père. En octroyant un droit de visite et d'hébergement classique, sans aucune prudence, à l'auteur des violences, on ne tient pas compte de sa « dangerosité ». Par ailleurs, certains juges sont obsédés par la coparentalité à tout prix, même au détriment de l'enfant, s'appuyant sur la fausse croyance selon laquelle la violence conjugale s'arrêtera à la séparation des parents, alors qu'elle redouble à ce moment-là.

Si le parent ne respecte pas la décision du juge qui a méconnu l'intérêt de l'enfant, il peut être poursuivi pour non représentation d'enfant (un an d'emprisonnement et 15 000euros d'amende).

En ce qui concerne la procédure d'assistance éducative, priorité est donnée au traitement administratif, moins réactif que le traitement judiciaire, au risque de passer à côté de maltraitance grave. Depuis la loi du 5 mars 2007 existe une obligation de transmission à une cellule départementale dédiée de toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l'être. Une équipe pluridisciplinaire procède à une évaluation de la situation qui, si elle est considérée comme grave, nécessite une protection immédiate de l'enfant et un signalement au procureur. Or, plus la famille est aisée sur la plan financier, moins la violence est repérable, voire invisible.

La proposition de loi relative à la protection de l'enfant, en vote à l'Assemblée Nationale, promeut la prévention et prévoit que « les modalités de mise en oeuvre des décisions administratives et judiciaires doivent être adaptées à chaque situation et objectivées par des visites impératives au sein des lieux de vie de l'enfant et en sa présence. Elles impliquent ainsi le cas échéant, une prise en charge partielle ou totale de l'enfant ».

Enfin, les professionnels, juges, éducateurs, se retrouvent confrontés à des contradictions, qu'ils ne parviennent pas toujours à résoudre : culture de la réconciliation pour les éducateurs, charge de la preuve et souci d'impartialité pour un juge ou neutralité bienveillante pour un psychanalyste.

5) Quelles solutions préconisez-vous ?

D'après l'ONED, il existe un déficit de prise en compte de cette problématique des enfants exposés aux violences conjugales. Or, c'est un enjeu de santé publique. Le coût financier de cette violence a été évalué en 2012 par le Ministère des affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes à la somme de 3,6 milliards d'euros.

Il est donc urgent sur les plans humain, social et économique de tout mettre en oeuvre pour prévenir cette violence et protéger les enfants par des campagnes d'information plus ciblées dans l'objectif d'aider les parents, en posant l'interdit de la violence à l'école dans le cadre d'un cours d'instruction civique, par des stages d'éducation à la conjugalité et à la parentalité. Eh oui, on passe bien un permis de conduire pour conduire une voiture !

Les éducateurs pourraient soutenir la mère dans le rétablissement des repères éducatifs alors qu'elle a été délégitimée par les violences subies.

L'idéal est la prévention par une éducation à la non-violence, le repérage par les intervenants sociaux, les acteurs de la vie civile comme les enseignants, les centres de loisirs, etc.

6) Quelles sont les réparations accordées aux victimes ?

Il est crucial de prendre conscience de l'impact grave des violences conjugales sur l'enfant qui est victime à double titre : victime par ricochet de la violence infligée à la mère et victime directe. Victime par ricochet en raison de l'affection, qu'il porte à ses deux parents, et de la dévalorisation constante de sa mère. Victime directe d'un stress post traumatique.

« Protéger la mère, c'est protéger l'enfant », ce qui suffira dans un premier temps pour faire cesser les violences ; ensuite, il faudra distinguer l'enfant et sa mère pour mieux appréhender les préjudices spécifiques à chacun d'eux.

La prise de conscience de cette souffrance des enfants et de leur parent victimes devrait se traduire par une augmentation des dommages et intérêts, qui leur sont octroyés en justice. En effet, l'allocation de dommages et intérêts participe de la reconnaissance de l'état de victime. En France, le montant alloué en justice aux victimes est dérisoire et n'est pas toujours proportionné à l'étendue du dommage subi.

Or, la « juste » réparation pécuniaire de ce préjudice est importante afin que les victimes se sentent prises en compte.

Propos recueillis par Solange Mulatier pour NEWS Press