De l'usine à la grande école, l'histoire vraie de Mehdi racontée par Benjamin Blavier

Passeport-Avenir - 09/10/2015 09:20:00


Je vais vous raconter l’histoire de Mehdi, une histoire vraie. Mehdi a grandi dans une cité de Trappes, avec cinq frères et soeurs. Il est français, issu de l’immigration. Sa mère ne travaille pas, et son père travaille chez PSA.
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A l’école Mehdi est orienté, comme beaucoup de jeunes de son quartier, vers un bac technologique en gestion, qu’il passe de manière honorable. Après son bac, il ne croit pas en l’école, et puis il veut gagner sa vie. Il part à l’usine, chez PSA, mais son poste est remplacé par un robot. Avec la MJC de son quartier il décide de partir sur un chantier solidaire en Afrique.

C’est là que s’opère un déclic. Il est au Mali, son chantier consiste à construire une école. Mehdi rencontre des jeunes pour qui l’éducation est le socle de tout avenir. Il se dit qu’il est peut être passé à côté de quelque chose. Il revient en France, reprend l’école. Aujourd’hui il est en double formation à l’ESSEC et Sciences Po Paris, dans la promo de l’héritier de la famille Peugeot.

Voilà une belle histoire. Malheureusement, cette histoire est une exception.

Quelques chiffres cruels : les fils et filles d’ouvriers ont dix fois moins de chances qu’un enfant de prof ou de cadre d’obtenir un bac S, la « voie royale », qui vous ouvre les filières sélectives. Au bout du chemin, 40 % des enfants de cadres ont un diplôme bac + 5, les enfants d’ouvriers, comme Mehdi, à peine 4 %. Alors pourquoi ?

Pourquoi n’a-t-on pas plus de Mehdi ? Pourquoi est-ce qu’on ne parvient pas à aller chercher tous les talents, toute l’intelligence de ce pays ?

Pour deux raisons, à mon avis.

D’abord parce que nous en demandons trop aux enseignants. Nous cultivons le mythe du Hussard de la République, un superhéros qui accompagne les élèves méritants vers l’ascension sociale.

C’est une fable. Dans un lycée populaire, face à une classe de 30 jeunes très divers, avec un programme lourd, aucun enseignant n’est en mesure d’apporter à chacun le soutien et le temps dont il a besoin pour se construire.

Et puis il y a des réalités brutales. Florian, un des jeunes que nous avons suivi, est issu d’une famille d’agriculteurs des Hautes-Alpes. Il m’a dit être le premier bachelier de sa famille, simplement parce que le lycée public est à 1 heure ½ de bus de chez lui, sur les routes de montagne.

Voilà un vrai problème concret d’égalité des chances. Que peut faire un enseignant quand l’élève est confronté à des difficultés de logement, de transport, de précarité financière ?

Ensuite, j’ai un autre début d’explication. Je vous ai parlé de Mehdi, ce jeune homme sans rêves, qui a fait en Afrique une rencontre qui a changé sa vie.

Je suis sûr que l’immense majorité d’entre vous, en tout cas les plus anciens, vous avez eu cette chance, de rencontrer une ou deux personnes qui ont influencé vos choix. Des profs, des parents, des amis, des exemples autour de vous qui vous ont inspiré.

Et malheureusement je suis persuadé que dans les usines de Peugeot, et dans les Hautes-Alpes, il y a d’autres Mehdi, d’autres Florian, qui n’ont pas eu comme eux, comme vous, la chance de faire cette rencontre décisive, et qui se sont arrêtés en chemin. Alors que peut-on faire ?

Passeport Avenir, c’est : créer des rencontres improbables

Il y a 10 ans, avec Passeport Avenir, nous avons eu une idée. Révolutionnaire, enfin je crois. Et pourtant simple. Nous avons décidé de créer des rencontres improbables. Des rencontres entre des mondes, des gens, qui ne se connaissent pas et vivent dans des univers parallèles. A quelques kilomètres les uns des autres.

D’un côté ces jeunes qui ne savent pas vers quoi se projeter, qui peuvent se replier sur eux-même, leur famille, leur communauté, leur territoire.

De l’autre des salariés de grandes entreprises, qui ont la chance d’avoir un emploi, une situation, et ne mettent pas les pieds dans les banlieues ou dans les campagnes isolées.

Parmi ces salariés, nous trouvons des volontaires, nous les formons, et nous leur confions une mission. Etre des tuteurs de ces jeunes, jusqu’à ce qu’ils obtiennent un diplôme d’ingénieur, d’école de commerce, ou un M2 universitaire reconnu sur le marché de l’emploi.

C’est comme ça que nous avons rencontré Mehdi, au moment de sa reprise d’études, il a depuis eu trois tuteurs qui se sont succédé.

Un tuteur ça sert à quoi ? à avoir des informations pratiques : connaitre l’entreprise et les métiers, trouver un stage ou une alternance, savoir se présenter, se faire un réseau … des clés, des codes, que les enseignants ou les familles n’ont pas.

Mais un tuteur c’est aussi, surtout, un regard bienveillant et individuel, du recul, de la confiance, un lien intergénérationnel pour lutter contre l’autocensure et aider à grandir.

Marcelle. Née au Cameroun et arrivée en France à 9 ans, avec sa mère célibataire. Elles ont galéré, vécu dans des foyers. Scolairement, Marcelle a excellé jusqu’au bac. Elle choisit la Fac, quand d’autres, avec des moins bons résultats, osent la classe préparatoire. Pourquoi ? parce que c’est trop cher, et pas pour elle. Aujourd’hui, elle a pris confiance, nous a rencontré, elle est diplômée de Kedge Business School à Bordeaux, co-créatrice d’une start-up qui couvre l’Afrique et l’Europe, et vient d’être identifiée comme un des 30 talents africains de demain par le magazine Forbes.

Des histoires comme celle-ci, je peux vous en raconter 1000, ou plutôt 1367. C’est le nombre de jeunes que nous suivons cette année. Chacun avec un tuteur. Et ils sont encore plus nombreux, plus de 4000 à passer dans les ateliers que nous organisons dans 170 établissements d’enseignement sur toute la France.

Notre ambition à Passeport avenir ce n’est pas de suivre seulement quelques élèves ultra méritants, quelques arbres qui cachent la forêt. C’est de créer quelque chose de systémique : ce qui nous intéresse ce sont d’abord les jeunes qui passent par une filière pro, ou techno, ou un BTS, ou ceux qui ont décroché et reprennent ! Tous ceux qui ont un parcours atypique, et un talent à révéler.

Et la bonne nouvelle, c’est que ça marche.

Quelques résultats. 90% de ceux que nous suivons à partir du bac atteignent les Grandes Ecoles. C’est le même score, chaque année, depuis 10 ans.

Je suis aussi très fier de vous dire que 100% des jeunes suivis par Passeport Avenir trouvent un emploi au plus tard 6 mois après leur diplôme.

Former un collectif de futurs dirigeants d’entreprise, tous issus de milieux populaires ou des minorités

Voilà ce que l’on peut faire, avec l’école, à ses côtés, si on l’aide. Maintenant, est-ce que ça suffit ? Je ne pense pas. Nous sommes heureux d’avoir contribué à quelques belles histoires individuelles. Quelques milliers par an. Si cela s’arrête là, nous aurons fait du bon boulot, mais rien d’extraordinaire.

La suite de l’histoire, les jeunes comme Mehdi, Florian, Marcelle, et ceux qui sont diplômés sont en train de l’écrire. Ce qui les attend maintenant, ce que nous souhaitons, c’est qu’ils grimpent les échelons du pouvoir dans les entreprises qu’ils vont rejoindre, ou dans celles qu’ils vont créer.

Leur diplôme n’est pas une fin en soi, nous voulons former un collectif de futurs dirigeants d’entreprise, tous issus de milieux populaires ou des minorités, en France, et ailleurs dans le monde.

Des dirigeants qui seront différents par leur histoire


Ils ont fait preuve de résilience, de courage. Ils ont des identités complexes et multiples, ils naviguent entre les mondes, sans renoncer à ce qu’ils sont. Mehdi m’affirme qu’il change d’univers chaque matin dans le train, quand il quitte son quartier et ses copains d’enfance pour aller vers son école et ses nouveaux collègues. Comme me l’a dit un d’eux : « je n’ai plus le cul entre deux chaises, je peux m’assoir confortablement sur chacune ».

Des futurs dirigeants qui seront différents aussi par leur pratique.

Ils connaissent les inégalités, les difficultés, la hass (pour ceux qui maitrisent). J’espère qu’ils seront des dirigeants plus responsables, car ils sont plus proches des vrais enjeux du monde. J’y crois, car je les vois agir chaque jour.

Mehdi et d’autres viennent avec nous animer des ateliers dans les classes de 1ère et Terminales technos dans les lycées du 93.

Certains mettent en place, à leur initiative, une journée mondiale de l’égalité des chances, qui se tiendra simultanément à Marseille, Berlin et Casablanca le 26 novembre prochain. Et ils ont d’autres projets comme ceux-ci plein les tiroirs.

Notre plus belle réussite, c’est que, ensemble, ils font corps, ils font société.

Ils sont la France, dans toutes ses dimensions. Blancs, fils de docker du Havre, arabes, noirs ou autres. Des banlieues ou des campagnes. Ils se rendent compte qu’ils ont surmonté les mêmes obstacles, qu’ils ont des failles similaires, les mêmes espoirs, et qu’ils sont unis, au delà des communautés, des religions, des milieux sociaux.

Voici leur photo, Mehdi, Florian et Marcelle sont parmi eux. Un jour les promos de l’ENA ou de Polytechnique, les assemblées de patrons, ou les réunions dans cette salle, ressembleront plus à ça.

Je laisse le mot de la fin à Mehdi, voilà ce qu’il m’écrivait il y a quelques mois, juste après les évènements de Janvier : « Vous m’avez montré que je n’avais pas à choisir, entre Bagnolet ou la Défense, l’Islam ou la République, mais que j’étais riche de toutes ces différences. L’important c’est de ne pas se conformer à la norme, mais d’écrire sa propre réussite au présent, avec un passé singulier ».


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