Des chercheurs de l'Université libre de Bruxelles (ULB) et de Gembloux Agro Bio-Tech (Université de Liège) développent des modèles pour prédire le bilan carbone des forêts d'Afrique Centrale à partir de mesures sur seulement 5% des arbres. Gain d'efficacité, leur étude met aussi en évidence pour la première fois en Afrique Centrale, le rôle-clef des espèces « hyperdominantes » pour le stockage de carbone forestier. Leur recherche est publiée dans la revue Scientific Reports (revue open-access du groupe Nature).
Plusieurs études ont récemment montré que les grands arbres, et environ 1 % des espèces qui composent les forêts, constituent les principaux éléments structurants des forêts du bassin amazonien. Mais qu'en est-il en Afrique Centrale ? Et comment mettre en pratique de tels résultats pour mieux comprendre et surveiller le bilan carbone des forêts tropicales, qui couvrent de larges étendues souvent difficilement accessibles ?
Ces questions font l'objet d'une étude menée par des chercheurs de l'Université libre de Bruxelles (Laboratoire d'Ecologie du Paysage et systèmes de production végétale, Ecole Interfacultaire de Bioingénieurs) - et de Gembloux Agro Bio-Tech (Université de Liège) (département BIOSE), qui est publiée ce 17 août dans la revue Scientific Reports sous le titre « Seeing Central African forests through their largest trees ». Sur base d'un jeu de données couvrant 4 pays d'Afrique Centrale (le Cameroun, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo et le Gabon), cette équipe montre que la structure de la forêt, considérée ici à travers le rapport entre le nombre de gros et de petits arbres, est particulièrement stable en Afrique Centrale. Ce constat a permis de développer des modèles qui permettent de prédire les propriétés structurelles de l'ensemble du peuplement à partir d'informations récoltées seulement sur quelques grands individus.
Jusqu'à présent, pour réaliser le bilan carbone d'une forêt en Afrique Centrale, à peu près 400 arbres par hectare devaient être mesurés et identifiés sur le terrain. Sur la base du modèle développé dans cette étude, les chercheurs montrent qu'en mesurant seulement 5 % de ces individus, il est possible de réaliser le bilan carbone du peuplement forestier avec moins de 15 % d'erreur.
C'est un résultat très important pour les recherches sur le changement climatique car il permet de proposer une simplification majeure des méthodes d'estimation du stock de carbone contenu en forêt dense et donc d'en réduire les coûts.
D'un point de vue pratique, en ne mesurant que les arbres au-delà de 50-cm de diamètre (à 130-cm de hauteur le long du tronc), on ne mesure que 7 % des individus, et cela permet d'expliquer plus de 90 % de la variation des stocks de carbone forestier. En outre, ce résultat devrait permettre de minimiser les incertitudes des cartes de prédiction des stocks de carbone réalisées sur base d'images satellites en se concentrant sur des objets directement observables de l'espace, à savoir les plus grands arbres.
Par ailleurs, pour la première fois en Afrique Centrale, cette étude identifie certaines espèces dominantes qui contribuent de façon disproportionnée aux stocks de carbone totaux, puisque 1,5 % des espèces recensées contiennent plus de 50 % des stocks de carbone des forêts étudiées. Ces espèces sont appelées « hyperdominantes » et montrent que, comme en Amazonie, un petit nombre d'espèces est particulièrement important pour le stockage de carbone forestier.
Cependant, contrairement à ce qui a été observé en Amazonie, les résultats de l'étude montrent qu'une partie non négligeable des espèces « hyperdominantes » d'Afrique Centrale ne sont pas particulièrement grandes, ne dépassant que rarement 70-cm de diamètre (à 130-cm de hauteur). Ces espèces sont « hyperdominantes » non pas du fait de leur taille, mais du fait de leur abondance et de leur large répartition dans le bassin du Congo. Ces espèces « hyperdominantes » remplissent des fonctions-clés dans les écosystèmes et jouent un rôle particulièrement important dans le stockage du carbone. Une identification exhaustive de ces espèces est donc une priorité pour mieux comprendre les différences écologiques et fonctionnelles entre les régions tropicales et pour élaborer des stratégies de conservation appropriées.
Cette étude se base sur les recherches menées par Jean-François Bastin lors de sa thèse de doctorat réalisée en co-tutelle entre Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège) et l'Université libre de Bruxelles (ULB), sous la direction respective du Pr Jan Bogaert et du Pr. Charles De Cannière. Jean-François Bastin est actuellement checheur post-doctorant au CIRAD et à l'IRD en France.