Quel avenir pour les instituts d'études, entretien avec Didier Truchot

Ipsos - 18/08/2015 17:30:00


Marchés émergents, réseaux sociaux, référendum sur l'UE au Royaume-Uni..., dans cet entretien exclusif accordé à Jane Bainbridge, de research-live, Didier Truchot, Président et Directeur général du Groupe Ipsos, fait part de ses réflexions quant à l'avenir des instituts d'études.

UN MARCHÉ DES ÉTUDES QUI COMMENCE SA TRANSFORMATION

Nous traversons une période où de nombreuses entreprises doivent faire face à la fois à la transformation des activités de marketing, au développement des réseaux numériques et à la montée des réseaux sociaux. Et il n'y a aucune raison que le secteur des études de marché ne soit pas lui aussi remis en question. D'une part, bon nombre de nos clients font très attention à la stratégie à adopter pour se développer. D'autre part, il est important pour eux de disposer d'informations sur les marchés et les consommateurs : ils s'efforcent donc d'en obtenir autant que possible, mais ces données doivent être utilisables et à un prix raisonnable.
Cependant les grandes sociétés d'études de marché ont bien un défi à relever, en particulier en raison de la concurrence accrue de plus petites agences spécialisées. C'est pour cette raison qu'Ipsos a lancé un plan de réorganisation il y a un an : baptisé New Way, le projet se concentre sur les services à la clientèle et sur leurs modalités d'organisation.


QUE DOIT OFFRIR LES AGENCES À LEURS CLIENTS ?

Ils n'obtiennent pas les informations voulues suffisamment rapidement. L'un de nos plus grands défis, c'est d'être les plus rapides possible, ce qui signifie que nous devons restructurer notre "usine" : ce que nous avions l'habitude de faire en quelques semaines doit à présent être terminé en quelques jours, voire quelques heures. Il s'agit également de changer notre manière de prendre en compte certaines des sources d'informations que nous ne produisons pas, mais qui pourtant existent bien.

La structure des activités de nombreux client peut rapidement être un frein à l'accélération des processus de travail.

Nos clients tentent d'accélérer le processus de décision. Le problème, c'est que toute décision implique la participation de différents acteurs, et pas uniquement les services marketing, finance et R&D. Il y a tellement de gens impliqués qu'il faut à la fois réagir rapidement et parvenir à s'organiser avec tout ce monde. Les choses deviennent alors bien plus compliquées. [...] Je crois que bon nombre de nos clients se focalisent sur la structure des coûts et tentent de contrôler et parfois réduire leurs coûts marketing. Sans stratégie de développement, cela peut paraître logique. Il est donc évident que les budgets alloués aux études de marché sont sous pression. Néanmoins, la principale explication est ailleurs : si aujourd'hui, les grandes entreprises ne se développent pas, je crois que c'est parce qu'elles doivent être plus claires sur ce qu'elles entendent faire avec leurs clients.


QUID DES MARCHÉS ÉMERGENTS

- Une réponse face à la crise ? - Lorsque la crise a touché les marchés occidentaux, beaucoup de grandes agences se sont tournées vers les nouvelles économies et ce que l'on a appelé les marchés émergents pour se développer. Mais ce ne sont pas forcément ces agences-là qui ont connu les meilleurs profits.
Aujourd'hui, les marchés émergents déçoivent. Prenons l'exemple de la Russie et du Brésil... Ce sont de grands marchés qui ont suscité beaucoup d'attentes en matière de développement, à la fois de la part des clients et pour eux-mêmes. Si l'on jette un coup d'oeil à notre activité, nos chiffres sont satisfaisants, même certainement meilleurs sur les marchés développés comme le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Allemagne ou le Japon. En revanche, nos résultats sur les marchés en développement ne sont pas aussi bons que prévu. Sur les marchés en développement, les clients occidentaux restent extrêmement prudents, leurs affaires ne marchent pas si bien. Ils essaient donc de comprendre ce qui se passe, dans la mesure où ces marchés devaient constituer leur source principale de développement. Heureusement, à présent, quelques entreprises locales y sont devenues assez compétitives, et nous avons commencé à travailler davantage avec elles. Il n'en reste pas moins que les attentes concernant les pays en développement seront probablement remises en question dans les années à venir.


LES SONDAGES DANS L'UE

- À propos du référendum sur la sortie de l'Europe au Royaume-Uni - Le sondage MORI le plus récent montre que les deux tiers des citoyens britanniques souhaitent rester dans l'Union européenne. Les situations susceptibles de morceler le monde encore plus qu'il ne l'est déjà nous inquiètent toujours. J'ai du mal à comprendre comment ce type de manoeuvre pour sortir de l'UE peut profiter aux entreprises au Royaume-Uni. Il me semble qu'en majorité, les dirigeants des sociétés britanniques ne veulent pas de ça. L'incertitude a toujours été un problème pour les affaires.

« Les sondages politiques ne sont qu'une infime partie du secteur des études de marché, mais ils jouent un rôle clé. »

- Les sondages selon les pays - Nous réalisons des sondages et des études en politique dans de nombreux pays. Au Royaume-Uni, ce qui est complexe pour nous, c'est le système de vote. Il est vraiment difficile de prévoir qui répondra aux sondages et qui ira voter. En France, par exemple, c'est plus simple, parce qu'il y a deux tours. Au départ, on ne comprend pas vraiment qui votera et qui ne votera pas, mais par la suite, grâce au comportement des électeurs au premier tour, on sait précisément comment ils voteront, et nos prévisions pour le second tour sont toujours bonnes. Nous sommes le meilleur institut de sondage. Nous n'avons pas été très bons sur une chose : les différences entre les conservateurs et les travaillistes. Mais nous avons été bons sur le reste. L'important, c'est vraiment de savoir qui a répondu aux sondages, et qui ne l'a pas fait.
C'est un défi pour nous, parce que c'est l'un des rares cas où ce que nous faisons peut, en quelque sorte, se vérifier par les faits.


LES ENJEUX À VENIR POUR LES ACTEURS DU MARCHÉ

Je suis persuadé que ce que nous faisons est extrêmement utile pour nos clients. Je ne suis pas inquiet pour l'avenir de notre secteur, mais notre objectif est de parvenir à adapter nos méthodes de travail pour répondre à leurs besoins. La vérité, c'est que globalement, nous n'avons rien changé à nos habitudes depuis pas mal de temps. Il y a probablement davantage de réformes à venir que ce que nous avons connu jusqu'à présent.


Louis Breton

Chef de projet digital et événementiel