Des OGM au service de l'agriculture biologique ?

Cité des Sciences et de l'Industrie - 08/07/2015 16:30:00


Fin mai, des universitaires danois publiaient un plaidoyer pour un changement de législation concernant les plantes modifiées par la méthode du « rewilding ». Ce procédé consistant à réinjecter des gènes sauvages permettrait aux plantes de pousser dans un environnement sans pesticides ni engrais chimiques, comme le recommande la charte de l'agriculture biologique.

OGM et agriculture biologique... l'association sonne un peu faux. Elle est pourtant défendue par une douzaine de scientifiques danois dans un article publié le 28 mai 2015 dans la revue Trends in plant science. Les auteurs de cette publication défendent l'idée selon laquelle les plantes ayant subi un rewilding - une sorte de « retour à l'état sauvage » grâce à des techniques récentes de biotechnologie - ne doivent plus être classées comme OGM. Leur argument : cette solution permettrait de développer l'agriculture biologique à grande échelle.

Martin Marchman Andersen, du département Médias, cognition et communication de l'université de Copenhague, et ses collègues, issus du même établissement mais venus de différentes disciplines (sciences environnementales, nourriture et ressources économiques, macro-écologie, climat...), constatent pour commencer que les méthodes de culture intensive ont abouti à des végétaux plus sensibles aux insectes et aux aléas climatiques. Or certaines variétés sauvages sont naturellement plus résistantes à ces diverses agressions. Leur objectif est donc de transmettre ces capacités aux variétés plus fragiles dont les caractéristiques gustatives ou esthétiques sont plus prisées. À terme, ces plantes « rewildées » permettraient de réduire, voire de supprimer les produits chimiques habituellement utilisés dans l'agriculture : pesticides, engrais, fongicides, etc.

Marchman Andersen et ses confrères soulignent aussi que les rendements de l'agriculture biologique ne suffisent pas à nourrir la planète et que pour les accroître sans recourir aux produits chimiques, la meilleure solution est d'utiliser des variétés optimisées en laboratoire par des méthodes de génie génétique récentes.

Principaux atouts de ces nouvelles méthodes : un meilleur contrôle des gènes échangés, mais aussi un gain de temps. La problématique temporelle est centrale dans ces débats. En effet, sur fond de changement climatique, les récoltes sont de plus en plus menacées par des épisodes extrêmes de chaleur et de pluie, ainsi que la modification des organismes nuisibles contre lesquels elles doivent lutter. Le rewilding permettrait d'obtenir une palette de plantes mieux adaptées aux nouvelles conditions de chaque région du monde, sans avoir à attendre leur adaptation par la sélection naturelle.


1. La transgenèse apporte un ou des gènes d'une espèce complètement différente (gène d'une bactérie dans une plante par exemple). 2. La cisgenèse remplace un gène d'une variété par un gène équivalent d'une autre variété compatible pour la reproduction. 3. L'intragenèse modifie spécifiquement un gène à l'intérieur du génome.


Il existe plusieurs méthodes pour modifier le génome des organismes vivants, soit en ajoutant des gènes d'espèces complètement différentes, soit en remplaçant des gènes par ceux de variétés similaires, soit encore en modifiant un gène en particulier. Le rewilding est issu d'une technique appelée cisgenèse, qui permet de remplacer un gène par une autre version de ce gène ayant la même fonction, mais des propriétés différentes (allèles différents), provenant d'une autre variété de la même espèce (par exemple pommes granny et gala). Ces différentes méthodes de modification génomique utilisent des outils de biotechnologie récemment développés, appelés « New Breeding Techniques » (NBT). On y trouve les Talen, les doigts de Zinc ou encore le système Crispr-Cas, très utilisé dans le domaine de la recherche sur les micro-organismes ou en génétique.


Quel statut pour ces plantes « sauvages » modernes ?

Ces plantes « sauvagisées » doivent-elles être, ou non, considérées comme des organismes génétiquement modifiés ? Pour les auteurs de la publication, les plantes issues de méthodes qui ne visent pas à ajouter un gène issu d'une autre espèce, mais simplement à réaliser des échanges de gènes entre variétés, ne devraient pas être considérées comme des OGM. Selon eux, il s'agit d'une « évolution assistée par l'Homme », car ces phénomènes se produisent naturellement lors des croisements entre variétés. En outre, les plantes modifiées par le rewilding sont totalement indiscernables des espèces « naturelles ».

Quoi qu'il en soit, cet article danois paraît alors que la Commission européenne débat d'une modification de la loi sur les OGM, notamment en raison de l'évolution des biotechnologies. Un avis doit d'ailleurs être rendu avant la fin de l'année 2015.

Pour Agnès Ricroch, généticienne et vice-secrétaire de la section Sciences de la vie à l'Académie française d'agriculture, auteur de plusieurs études sur les nouvelles biotechnologies, cette réforme est nécessaire. « La réglementation actuelle sur les OGM, qui impose des analyses extrêmement coûteuses comme l'obligation de nourrir un rat pendant 90 jours avec un OGM qui ne correspond pas à son alimentation normale, est inutile et inadaptée, estime-t-elle. Elle empêche des petites et moyennes entreprises de produire de nouvelles variétés, qui restent l'apanage du même oligopole. Raison pour laquelle des scientifiques demandent à modifier la législation, afin que les nouvelles biotechnologies puissent être utilisées par un plus grand nombre, avec des analyses moins coûteuses ».

Mais tout le monde ne voit pas d'un si bon oeil cette modification de la loi. Christophe Noisette, de l'Association Inf'OGM, met en garde contre une sortie de ces plantes 3.0 de la catégorie OGM : « Cela signifie qu'il n'y aurait plus d'obligation d'évaluation, d'étiquetage ni de traçabilité de ces cultures ». Et que les consommateurs ne pourraient donc plus distinguer les plantes « classiques » des OGM.

L'agriculture biologique a-t-elle besoin du rewilding ?

Christophe Noisette reste dubitatif quant à la capacité du rewilding à diminuer les apports en engrais et pesticides. Il y voit une répétition du discours des années 2000 : à l'époque, déjà, les OGM devaient permettre de réduire les intrants chimiques. « Or le constat, quinze ans plus tard, c'est qu'ils sont encore plus utilisés qu'avant dans les cultures classiques. Alors quel crédit doit-on donner à ces mêmes scientifiques et ces mêmes industriels qui veulent créer des plantes en laboratoire qui ne seront pas forcément adaptées à la réalité des champs ? »

Par ailleurs, les rendements de l'agriculture biologique sont-ils si médiocres ? Pour Christophe Noisette, le calcul du rendement ne tient pas compte de l'ensemble du système de production ; il serait plus pertinent d'évaluer la productivité, c'est-à-dire d'intégrer le temps de développement des semences en laboratoire, leur coût, l'impact des produits chimiques utilisés sur l'environnement et la santé, l'empreinte carbone... Une fois ce calcul effectué, la productivité du bio se révèle comparable à celle de l'agriculture conventionnelle. Un rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) montre d'ailleurs que sur le long terme, soit plusieurs années, les rendements des champs cultivés avec engrais et pesticides diminuent, alors que ceux cultivés selon la charte de l'agriculture biologique augmentent. En outre, en polyculture, les rendements absolus ne sont que légèrement inférieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle.

Dans la balance, il y a donc les contraintes climatiques croissantes, la toxicité des produits chimiques, l'apparition d'OGM de nouvelle génération sur lesquelles on manque de recul, mais sans danger prouvé - pour l'instant - sur la santé humaine, et bien sûr le coût. Pour Christian Huyghe, le directeur scientifique adjoint du secteur Agriculture de l'Inra, il s'agit essentiellement d'un choix de société : « L'agriculture biologique répond à un marché. Mais si elle est trop chère, elle restera limitée à une élite, ce qui ne correspond pas forcément à sa philosophie du socialement équitable. Il faut donc trouver un compromis entre l'exigence du cahier des charges et les attentes des consommateurs ».

>>Le terme OGM (organisme génétiquement modifié) recouvre de nombreuses techniques et sa définition a évolué au cours du temps. Celle de l'Union européenne actuellement en vigueur désigne « un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Remarque : si un « organisme transgénique » est toujours un « organisme génétiquement modifié », un « organisme génétiquement modifié » n'est pas toujours un « organisme transgénique ».