Tribune de Jean-Christophe Lagarde pour une Europe de la défense

UDI - Union des Démocrates et Indépendants - 02/07/2015 15:20:00


Tribune « Arrêtons de saper l'Europe de la défense ! »

Les vingt-huit chefs d'État ou de gouvernement européens étaient réunis ces 25 et 26 juin à Bruxelles, afin de s'entendre sur de nombreux sujets dont les questions de défense. Ce Conseil Européen devait donc faire progresser l'Europe de la défense.

Or il n'en a rien été ! Une nouvelle occasion gâchée notamment parce que François Hollande n'a pas su ou n'a pas voulu s'engager sur ce terrain alors que nos troupes sont pourtant déployées aux quatre coins du monde dans l'intérêt de la sécurité de la France comme de l'Europe.

Un ratage d'autant plus choquant que les problèmes et défis ne manquent pas : terrorisme ; crises géopolitiques qui prolifèrent à nos frontières, pour n'en citer que quelques-unes : Ukraine, Syrie, Libye, Mali. Un vrai débat sur l'état de la défense en Europe était crucial.

La politique de l'autruche n'est pas une solution, nous l'avons vu avec la Grèce... Remettre au lendemain les problèmes d'aujourd'hui est dangereux d'autant plus lorsqu'il s'agit de sécurité et de paix.

Je regrette vivement que la défense ait été réduite à la portion congrue de ce Conseil Européen et que le Président Hollande, en tant que chef des Armées françaises, n'ait su porter les questions de défense européenne qui nous font face et les solutions qui s'imposent.

Personnellement, je veux une défense européenne forte pour la France comme pour l'Europe, et en tant que fédéraliste je dis qu'il est temps que l'Europe de la défense, tant appelée des voeux des Européens, se concrétise enfin dans notre intérêt commun.

Assurément, la valeur et le courage des militaires français sont un premier rempart essentiel pour garantir notre sécurité. Cependant, face à une menace globale et un monde incertain, la réponse ne peut plus être uniquement française, ni venir exclusivement des autres grandes puissances mondiales. Elle doit également être européenne pour défendre les valeurs humanistes, socle de la construction européenne.

Or, face à ce défi majeur, la réponse européenne reste encore trop désunie et inefficace. L'actuelle Europe de la défense, dénommée « Politique de Sécurité et de Défense Commune », essaie certes de garantir la crédibilité de l'Union Européenne en tant qu'acteur dans les relations internationales et de préserver les capacités de défense de ses Etats membres. Malheureusement, même si beaucoup a déjà été fait tant en termes de structures que d'opérations militaires européennes, l'objectif est loin d'être atteint.

Il s'agit donc de poursuivre l'effort initié par le Sommet de Saint-Malo avec pragmatisme et ambition. Comme en 1998, la France, en tant que grande puissance militaire européenne, a un rôle primordial pour relancer ce pan essentiel de la construction européenne. Elle se doit de le redynamiser avec si besoin seulement un petit noyau de pays volontaires, prêts à s'engager dans un renforcement substantiel de l'Europe de la défense.

C'est avec réalisme et détermination que j'affirme qu'il est possible de réunir les conditions nécessaires à la construction d'une Europe de la défense capable et autonome. Cela est possible si on le veut, les pays européens en ont encore les moyens militaires. N'attendons pas qu'il soit trop tard !

Sans plus attendre il faut en premier lieu définir une nouvelle stratégie européenne de défense qui nous permette d'appréhender les défis globaux collectivement et de guider les prises de décisions européennes en matière militaire. Pour cela nous devons lancer un diagnostic complet et sans complaisance de la Politique de Sécurité et de Défense Commune.

Il est également crucial, pour l'Europe, de définir et de mettre en place le plus rapidement possible un niveau minimum d'autonomie stratégique, c'est à dire d'affirmer et de garantir là où l'on veut être fort et là où on accepte de l'être moins. Pour reprendre les mots de Clemenceau : « Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »

L'urgence est ensuite de déployer une politique européenne volontariste afin de plus développer et acheter en coopération des équipements militaires européens. Cependant pour sortir enfin des grandes promesses sans lendemain, il faut préalablement mettre en place des incitations concrètes, notamment fiscales.

Chaque Etat européen devrait par ailleurs renforcer durablement son budget national de défense, et coordonner ses efforts à l'échelle de l'Union Européenne pour un meilleur partage entre tous. Cela pourrait se concrétiser par la fixation d'objectifs budgétaires communs définis en amont tels que les critères de Maastricht. Ces indicateurs économiques pourraient être les suivants : un pourcentage minimum du PIB pour les budgets nationaux de défense, un seuil de dépenses de R&D, etc. La défense de l'Europe est le bien commun de tous, sans effort budgétaire minimum et partagé, il n'y aura aucun niveau d'ambition de sécurité crédible.

La relation de l'Europe avec l'OTAN doit aussi être repensée. Les Américains exigent davantage de « leadership » des Européens pour leur défense. Alors ils doivent être cohérents et laisser les Européens aptes et libres tant d'un point de vue capacitaire, qu'opérationnel ou industriel. Ayons un dialogue sans tabou avec les Etats-Unis et nos partenaires otaniens non-membres de l'Union Européenne pour revoir en profondeur notre relation avec l'OTAN.

Il ne peut non plus y avoir d'Europe de la défense forte sans une Europe de l'armement compétitive et autonome. La Base Industrielle de Défense et Technologique Européenne n'est aujourd'hui qu'un concept. Il faut lui donner corps précisément et mener une politique industrielle européenne de défense ambitieuse. Les pays européens pourraient ainsi mieux soutenir la R&D de défense et de sécurité, favoriser la préférence européenne dans leurs achats publics de défense et accompagner les restructurations industrielles afin de faire émerger ou de renforcer les champions européens.

Enfin, à quoi sert une Défense européenne si on n'utilise pas les moyens prévus à cet effet sur les terrains d'opération. Pour commencer nous pourrions déjà déployer les « groupements tactiques », force de réaction rapide européenne mise en place depuis 2004 mais jamais engagée.

Au-delà, l'Union Européenne doit prendre plus souvent et plus rapidement le relais des efforts nationaux, notamment de la France, pour protéger les valeurs humanistes et les ressortissants européens à travers le monde. La solidarité doit se matérialiser militairement et les moyens communs être pleinement mis en oeuvre pour que l'Europe de la défense devienne une réalité pour chaque Européen.

Face aux dangers et défis géopolitiques qui sont les nôtres, soyons à la hauteur de nos responsabilités. L'Europe est notre bouclier face à la barbarie. Il nous faut une Europe puissance, y compris militairement, pour préserver notre idéal humaniste commun. C'est pour cela que je souhaite que la France, grande puissance militaire européenne, oeuvre avec détermination dans cette direction afin que l'espace de paix qu'est l'Europe aujourd'hui, le reste demain.

La paix n'est effectivement jamais acquise, se donner les moyens militaires de la préserver est un enjeu d'avenir. Nous le devons à tous ceux qui sont tombés pour l'établir en Europe comme à nos enfants.