Lettre du Magicien des couleurs à Najat Vallaud-Belkacem

David Brunat - 03/05/2015 17:15:00


Le 21 avril 2015 - Un auteur français qui aimait les couleurs -il a écrit Le Rouge et le Noir- a dit un jour: «J'ai assez vécu pour voir que la différence engendre la haine.» On jurerait que vous avez pris cette parole au pied de la lettre pour conduire votre réforme du collège.

La différence, voilà l'ennemie! Classes bilangues, classes européennes, internats d'excellence, classes de niveau avec passerelles, cours de langues anciennes: il n'y a plus de place sur votre chevalet pour ces pigments trop complexes!

Votre palette égalisatrice fond les couleurs, gomme les contrastes, couvre toute la toile d'une pâte épaisse et uniforme. Un monochrome en gris, sans même des nuances de gris. Vous aimez l'école neutre, avec des teintes neutres partout reproduites à l'identique. Votre tableau rêvé? L'école qui neutralise, semblable pour tous, qui fabrique des semblables, qui ne veut ni ne sait faire autre chose. Mêmes programmes, mêmes idéaux, mêmes principes, même vision de la République, même modèle de réussite pour tous. Mêmes élèves, en somme. Bref, l'amour de la grisaille. Une idéologie tout de gris vêtue. Étriquée et grandiloquente. Un bon exemple d'art pompier. Certains de mes confrères peintres diraient: une croûte. D'autres crieraient peut-être au génie. Simple question de goûts et de couleurs ...

Au même moment et dans un même élan, parfaitement cohérent du reste, votre collègue ministre de la Santé impose le paquet de cigarettes neutre. C'est ainsi que dans quelques mois, toutes les clopes seront vendues en France dans un emballage standardisé, avec couleur et police de caractère uniques, sans logotype mais avec force avertissements sanitaires sur la nocivité du tabac. Peu importe que ces mises en garde n'aient jamais empêché qui que ce soit (les collégiens pas plus que les autres) de toucher aux «clous du cercueil.»

Je ne fume pas et me moque comme d'une guigne des «droits des fumeurs». Mais j'aime la variété esthétique, l'inspiration graphique, le packaging (comme disent les publicitaires), et je vois que pour des raisons supposées pieuses vous allez ajouter à la fumée grise de la cigarette le gris-perle de l'uniformité et le gris foncé du conformisme. Soit.

Je vois venir le moment où les bouteilles de vin -qui elles aussi tuent, comme le tabac, la bêtise et l'art médiocre- porteront également une étiquette neutre avec, en touts petits caractères uniformes et honteux, le cru, le nom du producteur, l'année.

Mais il faut aller plus loin: l'homme ou la femme politique neutre est l'avenir de la politique. Les infimes différences partisanes n'ont plus lieu d'être. D'ailleurs, l'électeur a bien souvent du mal à les repérer. Bonnet blanc et blanc bonnet.

Aussi serait-il logique que, dans un avenir proche, il ait le choix entre plusieurs candidats dont il ne connaîtrait ni le visage, ni le parti, mais juste le nom en petits caractères. Sur le fond, cela ne changerait pas grand-chose. Mais on comprendrait mieux pourquoi tant de personnes sont tentées par le vote blanc.

Signé: un peintre des couleurs de la vie bientôt au chômage

Par David Brunat