Peut-on publier le salaire d'un fonctionnaire ?

Blog de Jean-Jacques Urvoas - 15/02/2015 10:30:00


8 février 2015 - Lors du dernier conseil municipal du 30 janvier, Jean-Marc Tanguy qui interrogeait le maire sur la hauteur de la rémunération du directeur général des services de la ville et de la communauté d'agglomération dû se contenter comme réponse d'une affirmation définitive de Georges-Philippe Fontaine, l'adjoint aux finances : « Il est interdit de donner le salaire d'un agent. »

Ce point m'a intrigué. En effet, dans mon souvenir d'enseignant en droit, il me semblait que les éléments de rémunération d'un fonctionnaire territorial étaient mentionnés sur des documents administratifs, qui peuvent être communiqués au public en vertu et dans les conditions de la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs .

J'ai donc pris un peu de temps pour vérifier. Et il apparaît que l'adjoint au maire se trompe.

Certes, l'article 6 de la loi que je viens d'évoquer a restreint cette obligation de communication en excluant notamment les documents, ou parties de document, « portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ». Mais la jurisprudence administrative en a précisé le périmètre.

Ainsi depuis une décision du Conseil d'Etat du 10 mars 2010 (Commune de Sète), on sait ainsi que les bulletins de paie sont communicables mais pas les décisions d'attribution de primes, qui comportent intrinsèquement une « appréciation ou un jugement de valeur » sur l'agent. C'est pourquoi par exemple, la Commission d'accès aux documents administratifs, dans ses propres avis concernant les actes individuels fixant la rémunération des agents territoriaux (avis Maire de Mantes la Jolie du 25 mars 2010), a recommandé l'occultation des mentions de la partie variable des rémunérations des agents avant communication des feuilles de paie.

Pour autant, cette jurisprudence n'est pas nécessairement stabilisée. Ainsi dans une décision du 26 mai 2014 (Communauté d'agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz), le Conseil d'Etat semble avoir décidé de redéfinir en partie ce régime, mais la portée exacte de cette décision n'est pas encore certaine. Dans ce cas d'espèce, il a jugé que si la rémunération de l'agent résulte d'une négociation libre avec son employeur et non pas de l'application d'une grille ou d'un barème connu, alors toute la rémunération constitue en tant que telle une « appréciation ou un jugement de valeur » et le bulletin de paie ne peut être communiqué.

Compte tenu des incertitudes entourant la portée de cette décision, il est légitime de considérer que si la rémunération globale du directeur général des services de Quimper n'est pas globalement communicable, la part qui découle de son grade et de son statut l'est pleinement.

Le maire de Quimper peut donc ne pas publier le montant de la prime, qui représente sans doute une fraction substantielle de la rémunération mais il ne peut pas taire l'ensemble. Sauf à prendre le risque d'une saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs.

Se retrancher derrière la loi pour masquer l'ensemble est donc dans ce cas précis parfaitement inopportun.

Jean-Jacques Urvoas