Travailleurs étrangers au Liban : du droit à la réalité

IFPO - Institut français du Proche-Orient - 27/01/2015 15:05:00


20 novembre 2013 - Une population insaisissable, difficile à évaluer - Selon les chiffres publiés par la Sûreté Générale, le nombre de permis de travail délivrés par ses services (renouvellement et nouveaux permis) serait passé d'un peu plus de 121 000 en 2007 à près de 185 000 en 2011, soit une augmentation de plus 50 % en moins de cinq ans. Sur cet effectif, la part des employées domestiques a augmenté de 72,2 % à 74,5 % (après avoir atteint un pic de 77,4 % en 2010). Rappelons que les travailleurs syriens (sauf quelques dizaines), dispensés de permis de travail, ne sont pas pris en compte.

Pour prendre la mesure de l'ampleur du phénomène, il faudrait pouvoir confronter ces chiffres à ceux de la population active. Toutefois, en l'absence de recensement et d'enquête sur l'emploi, il est extrêmement difficile d'avoir des données fiables. L'Administration centrale des statistiques ne procède qu'à des « enquêtes ménages » : la dernière, réalisée en 2007, était fondée sur un échantillon de 13 573 foyers représentant 55 230 personnes (1,3 à 1,5 % de la population estimée du Liban), et évaluait le taux d'activité à près de la moitié de la population de plus de 15 ans (38 % du total), tout en recensant 354 employées de maison (2,5 % des ménages), ce qui paraît très largement sous estimé. De toute façon, ces enquêtes ne fournissent aucune donnée sur les étrangers, difficiles à repérer par l'entrée des ménages. Selon la Banque mondiale (World Bank, 2011, source des chiffres non indiquée), la population active représentait 1 500 000 personnes en 2011 - soit un peu plus du tiers d'une population totale évaluée à 4 200 000 - dont plus de la moitié (760 000) serait composée d'étrangers ; même si l'on peut penser que les Syriens représentent une grosse moitié de ces travailleurs étrangers, les 185 000 permis de travail délivrés en 2011 (dont 75 % d'employées domestiques) sont loin du compte. A minima, une moitié des travailleurs étrangers, hors Syriens, ne seraient pas déclarés.

Quelle que soit la pertinence de ces chiffres, le poids des travailleurs étrangers est aujourd'hui attesté dans tous les secteurs de l'économie. Les employées domestiques sont aujourd'hui devenues visibles dans l'espace public, avec leurs lieux de rassemblements religieux ou festifs, tandis que les commerces tenus par des hommes et des femmes originaires du sous-continent indien, et plus largement d'Asie du Sud et de l'Est, autant que d'Afrique, sont de plus en plus nombreux, et visent une clientèle de même origine. Les emplois de services (commerce, restauration, hôtellerie, et surtout nettoyage) sont massivement occupés par des travailleurs, hommes et femmes, originaires des pays arabes voisins, d'Asie ou d'Afrique. En revanche, l'immense majorité des ouvriers du bâtiment sont syriens, ainsi que les travailleurs agricoles (parmi lesquels de nombreuses femmes). En revanche, on sait moins que l'industrie recourt de plus en plus souvent, non seulement à des ouvriers syriens, mais aussi à des Soudanais, Indiens, Bangladais. Comment viennent-ils, combien de temps restent-ils, quel est leur statut, quelles sont leurs conditions de vie réelles ? Seules des enquêtes de terrain fines et de longue haleine permettraient de le savoir. C'est le sens du programme de recherche que nous avons initié en 2012.

Par Rim Hachem

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