Interview exclusive de François Badie Chef du Service Central de Prévention contre la Corruption

SCPC - Service Central de Prévention de la Corruption - 21/07/2014 17:15:00


1) Comment sont portées à votre connaissance les pratiques corruptrices et comment êtes-vous alerté de l'évolution de ces pratiques ?

Tout d'abord, le SCPC entretient au sein du Ministère de la Justice, d'étroites relations de travail avec la Direction des affaires criminelles et grâces, ainsi qu'avec les juridictions françaises, qui sont d'ailleurs légalement habilitées à le saisir pour avis technique. Ensuite, il est en relation avec les acteurs extrajudiciaires de la lutte anti-corruption (organisations non-gouvernementales, universités, etc). Il reçoit également un certain nombre de signalements émanant de particuliers.
En outre, depuis 2012, afin d'être au plus près des réalités du terrain, nous adressons chaque année aux administrations et opérateurs de l'Etat un questionnaire détaillé portant sur le nombre et la nature des manquements constatés en leur sein, ainsi que sur la nature des mesures de prévention éventuellement mises en place pour mieux y faire face.
Un questionnaire analogue est adressé aux entreprises du CAC 40, parmi les plus sensibilisées à la problématique de la corruption dans les transactions commerciales internationales..
Le SCPC a par ailleurs noué un partenariat technique avec la Société mutuelle d'assurances des collectivités locales (SMACL), qui a mis en place un Observatoire qui recense, pour des raisons liées à la mise en jeu des polices d'assurance, la plupart des mises en cause d'élus locaux, et qui constitue une précieuse source d'information.

2) Une demande de plus en plus pressante existe pour que les pratiques corruptrices soient supprimées de la vie politique et administrative. Dans quel type d'administration ces pratiques se retrouvent-elles le plus souvent, l'administration d'Etat, hospitalière ou territoriale et dans quels domaines d'activité ?
Je partage avec vous la perception d'une attente forte du public. La crise économique et l'alourdissement des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les citoyens-contribuables suscitent une exigence croissante d'égalité devant la loi et une moindre tolérance vis-à-vis des abus de pouvoir et de la corruption des responsables publics, tant niveau national qu'au niveau local.

Quant à la répartition sectorielle des atteintes à la probité, il est à l'heure actuelle encore difficile de répondre à cette question avec exactitude.

D'une part, la corruption est un délit occulte, ce qui permet de penser que dans la majorité des cas, elle n'est pas appréhendée par le système judiciaire. D'autre part, dans les cas portés à la connaissance de la justice, les systèmes de collecte de données du ministère de la Justice ne permettent pas encore, à l'heure actuelle, de dresser un panorama sectoriel exhaustif des atteintes à la probité.

Ce qu'il faut souligner, c'est que le risque de corruption et d'atteintes à la probité est susceptible de se réaliser chaque fois qu'une personne investie de prérogatives de puissance publique (élu, fonctionnaire) peut, par sa décision ou par son influence, provoquer, dans le secret, une modification irrégulière de la structure des droits de propriété (au sens large) ou des droits d'usage d'un service. Et que par conséquent, toutes les fonctions où un pouvoir de décision est susceptible d'être monnayé doivent faire l'objet d'une vigilance soutenue et d'une réelle sensibilisation préventive, que ce soit dans la fonction publique de l'Etat, dans la fonction publique territoriale ou dans la fonction publique hospitalière.

3) Votre rapport insiste sur la clarification et la mise en place de règles applicables aux marchés publics, qu'ils émanent d'administrations nationales ou territoriales. Pensez-vous que le domaine de la commande publique est le plus propice à des pratiques corruptrices et pour quelles raisons ?

Le risque de corruption et d'atteintes à la probité se concentre plus particulière dans deux domaines d'action : la commande publique, et, il ne faut pas l'oublier, l'urbanisme. Ces secteurs ont déjà donné lieu à de nombreuses analyses. Mais le risque est également présent dans bien d'autres domaines, par exemple, la gestion du patrimoine des collectivités (occupation du domaine public et opérations relatives au domaine privé), les aides aux opérateurs économiques et aux associations, les programmes d'aides européens, les offres bancaires, le parrainage et le mécénat, l'action internationale des collectivités (ex-coopération décentralisée)...

S'agissant plus particulièrement de la commande publique, les facteurs de risques sont moins conjoncturels que structurels. En effet, la décentralisation a multiplié les centres de décisions et les situations de face à face entre les décideurs et les opérateurs économiques, les entreprises pouvant chercher à garantir la sécurité de leurs ententes occultes par la corruption des acheteurs publics.

Dans son premier rapport sur la corruption dans l'Union européenne, adopté le 3 février 2014, la Commission européenne a d'ailleurs mis en exergue la problématique des marchés publics tant en France que dans la plupart des pays de l'Union. Selon un sondage Eurobaromètre réalisé en 2013 auprès de différentes entreprises et cité par ce rapport, 55% des entreprises françaises interrogées mentionnent l'existence de soumissions concertées et 53% d'entre elles évoquent les conflits d'intérêts au stade de l'évaluation des offres. Les critères de sélection ou d'évaluation des offres restent imprécis pour 50% des entreprises sondées et 49% estiment que les pouvoirs adjudicateurs ont recours aux procédures négociées de manière abusive.

Pour répondre aux risques de corruption et de favoritisme, une réglementation a été mise en place, sous la forme d'un Code des marchés publics déclinant les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Le respect de ces principes permet d'assurer l'efficacité économique des actes d'achat et le bon emploi des fonds publics.

Toutefois, la formulation générale de la norme et son formalisme excessif font du code des marchés publics une arme d'une efficacité toute relative, le respect formel de la norme, facile à obtenir, étant loin de constituer une garantie contre toute transgression, comme le démontre la fréquence du favoritisme.

Initialement très rigoureux, le cadre réglementaire des marchés publics a été assoupli au fil des décennies, sous l'influence des milieux économiques, et l'a été encore, très substantiellement par les multiples réformes intervenues depuis le début des années 2000, notamment par suite de la transposition des directives communautaires relatives à la passation des marchés publics.

Des améliorations sont possibles. Nous vous renvoyons à ce sujet aux propositions que nous avons formulées dans notre rapport annuel, en particulier la création d'un fichier central des marchés publics, l'amélioration de la traçabilité des négociations, le développement du contrôle de l'exécution des contrats de la commande publique, l'obligation de rendre compte des dérives du coût de réalisation des opérations d'équipement

Première partie de l'entretien

A propos du SCPC
Le Service central de prévention de la corruption (S.C.P.C.) est un service à composition interministérielle placé auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice ; il a été créé par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.François Badie, magistrat dirige le Service Central de Prévention contre la Corruption