Oeuvres commentées : Le Nez : une brève histoire des deux versions de l'oeuvre d'Alberto Giacometti
La première version du Nez est envoyée par Alberto Giacometti à son galeriste Pierre Matisse à New York en décembre 1947 et présentée dans sa première exposition personnelle à la galerie.
Fortement influencée par la sculpture tribale, la tête, au modelé irrégulier, présente une langue rouge vif comme une extension du cou alors que le nez lui-même, orné d'une spirale peinte, suit une ligne horizontale parallèle. Suspendue à mi-hauteur par un fil, la tête décapitée pend au-dessus d'un socle plat en plâtre blanc qui délimite fortement l'espace de la cage, transpercé par la pointe du nez. L'aspect primitif de l'oeuvre est renforcé par la manière dont la tête est suspendue - un bout de corde trop longue nouée à une barre simplement posée en équilibre sur le haut de la cage.
La deuxième version du Nez, est très différente, elle a connu plusieurs incarnations documentées jusqu'à sa fonte en bronze en 1964.
L'origine de cette nouvelle version n'est pas connue avec précision. Elle résulte probablement du désir combiné de Giacometti de retravailler la pièce et son souhait (comme il l'exprime à Pierre Matisse) de faire tirer d'autres plâtres des pièces envoyées à New York avant de les fondre en bronze. Une photographie de Richard Winther, prise en mai 1948, montre une cage cubique en métal, de laquelle pend une tête à la bouche fermée et aux yeux et oreilles peintes, plus réaliste, plus compacte. Un dessin de 1949 montre une tête avec des yeux et des oreilles et une bouche qui tire la longue.
On peut voir la version finale de la tête sur des photos anonymes prises dans l'atelier de l'artiste en 1950. La bouche est grande ouverte sans langue. Les oreilles et les yeux ont disparu. La cage est encore ce même cadre de métal sans pieds ni socle qu'en 1948.
Une autre version du Nez a été photographiée par Paul Facchetti dans l'atelier en 1956. A cette époque, Giacometti avait une fois encore changé la cage, lui donnant une forme rectangulaire et une base plate en plâtre. Pourtant c'est encore une autre cage, plus étroite avec de longs pieds qui fut exposée à la Fondation Maeght en 1964. Quand Giacometti fait fondre la pièce en 1964 pour la Fondation Maeght, il a raccourci les jambes de la cage et ajouté de petits pieds ronds, l'ancrant encore plus dans le sol. Ces changements successifs sont emblématiques de la recherche sans fin de Giacometti de la hauteur juste et du rapport de l'oeuvre au visiteur, mais aussi de la relation entre l'espace défini par la cage et ce qu'elle contient.
de Véronique Wiesinger,
directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris