La transparence une nécessité pour le diagnostic et l'action

Conseil Départemental de l'Orne - 22/10/2013 17:37:32

Rediffusion : Interview du 26 novembre 2012

Alain Lambert, vous plaidez pour une transparence des finances publiques. Est-ce à dire que nous ne connaissons pas réellement l'état des dépenses de la France ?

Ma conviction, c'est que notre situation financière est encore bien trop imprécise. A titre d'exemple, la dette publique officielle avoisinera sans doute 2000 Mdeuros fin 2013 mais il est encore trop rare d'y ajouter les engagements de l'Etat, estimés à près de 1000 Mdeuros et constituant une dette supplémentaire pour l'avenir. Hormis cela, nous connaissons les grandes masses financières de nos administrations publiques. Je ne prétends pas que le système soit absolument opaque. Toutefois, ces volumes sont imprécis et n'apparaissent trop souvent qu'a posteriori. Ce dont nul ne dispose véritablement actuellement, c'est d'un tableau exhaustif et suivi des flux financiers et des mécanismes de dépense. C'est une chose d'afficher et de prévoir des soldes, c'en est une autre de les décomposer en prévisions détaillées de dépenses et de recettes. Connaître les montants du déficit et de la dette permet effectivement de mesurer l'ampleur générale du problème - un désastre en puissance - mais n'offre pas de caractère opérationnel. C'est un enjeu essentiel de gouvernance budgétaire et c'est également un problème de lisibilité citoyenne et parlementaire.

Par ailleurs, la lisibilité des comptes publics varie fortement selon les administrations. Permettez-moi de rappeler ou de préciser qu'administration publique et Etat ne sont pas des notions synonymes. Malgré la focalisation médiatique et politique sur le seul budget de l'Etat, celui-ci ne constitue qu'un des sous-secteurs de l'action publique, à côté des administrations de sécurité sociale, des collectivités territoriales et de divers organismes d'administration centrale. Non content de ne pas être le sous-secteur le plus important, l'Etat n'est pas non plus le plus dynamique en la matière. Ainsi en 2011, la dépense publique se répartit de la façon suivante : 315 Mdseuros pour l'Etat, 516 Mdseuros pour la sécurité sociale, 218 Mdseuros pour les collectivités territoriales et 70 Mdseuros pour les divers organismes d'administration centrale. Malgré ces grandeurs, l'Etat fait l'objet d'une attention quasiment exclusive et d'un encadrement budgétaire conséquent. S'il est satisfaisant que sa situation financière soit désormais précisée et normée, l'inverse l'est subséquemment beaucoup moins pour les autres sous-secteurs. Et ce d'autant plus que l'Etat représente moins de 30% de la dépense publique.

Le cadre juridique des finances publiques est aujourd'hui trop lâche et donne lieu à bien trop d'incertitudes. La prévision est imprécise et l'exécution budgétaire manque de suivi. Aujourd'hui, nous constatons annuellement les situations budgétaires successives mais nous manquons de suivi sur l'exécution budgétaire en cours et sur le respect de la trajectoire de nos engagements européens. Nous nous contentons d'arrêter ou de constater certaines grandeurs sans aller plus en détails. Comment pourrions-nous prétendre sérieusement à un quelconque redressement des comptes publics si les responsables du pilotage ne disposent pas des instruments de visibilité nécessaires ? Or le respect des programmations pluriannuelles est essentiel pour aboutir à une gestion publique responsable et inscrite dans le long terme. Afin d'infléchir sensiblement les trajectoires de nos finances publiques, il nous faut évidemment partir d'une analyse claire et exhaustive de la situation. Cela est indispensable afin de mener des politiques publiques éclairées et ambitieuses.

Pourquoi est-ce aujourd'hui si important ? Que préconisez-vous ?

Il est essentiel de progresser vers davantage de transparence pour plusieurs raisons. La première, c'est l'envolée de la dette publique qui atteint des sommets et continue sa progression. Afin de comprendre le fonctionnement des dépenses, leurs finalités et les leviers d'action, il est indispensable de clarifier l'ensemble des relations financières. La seconde, c'est la nécessité de disposer d'un tableau de bord clair et exhaustif si nous souhaitons prétendre à un véritable pilotage de nos finances publiques. Les finances publiques de la France sont indivisibles et doivent être regroupées dans un document simple et unique afin d'être compréhensible par tous. Sans davantage de lumière sur nos comptes publics, nous sommes réduits à l'inaction ou à une navigation à l'aveugle. Comment pourrions-nous légitimer des politiques publiques qui affectent nos concitoyens si elles sont définies dans le doute ? La contingence en matière économique est une réalité, mais elle ne saurait être synonyme de la plus grande incertitude. Par ailleurs, une telle transparence est indispensable à la durabilité des engagements que nous avons avec nos partenaires européens. L'impossibilité actuelle pour l'Etat français de rendre compte de l'ensemble des sous-secteurs devant les institutions européennes témoigne d'un manque de maîtrise financière dans notre pays. Enfin, une démocratie contemporaine ne peut plus faire l'économie de la transparence publique sauf à se désagréger progressivement. Il est inacceptable que l'ensemble des comptes publics ne soient pas soumis aux vigilances parlementaire et démocratique. La complexité de nos finances ne saurait justifier plus avant que certains arbitrages ou décisions de grande ampleur soient pris dans des enceintes réduites et souvent technocratiques.

Les moyens d'action pour privilégier ce mouvement sont multiples. Il me semble toutefois qu'un renforcement du cadre législatif est un élément essentiel, en ce qu'il garantit un contrôle parlementaire et une visibilité citoyenne accrus. Ce problème se pose avec une acuité toute particulière pour deux sous-secteurs de l'administration publique : les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales. A ce titre, il serait judicieux de renforcer le cadre des lois de financement de la sécurité sociale dont les dépenses, rappelons-le, sont bien supérieures à celles du seul Etat. Il me semble également indispensable de préciser les relations financières des collectivités territoriales avec les autres administrations publiques. Contrairement à l'Etat et à la Sécurité sociale, les collectivités n'ont pas à ce jour de document annuel approuvé par le Parlement et permettant de prévoir et décrire avec exhaustivité leurs finances publiques. Si l'heure n'est peut-être pas encore à une Loi de financement des collectivités territoriales, il est indispensable d'améliorer la qualité des annexes budgétaires les concernant lors de l'examen du projet de loi de finances. La convergence puis l'agrégation des comptes publics est un autre objectif essentiel. S'il n'est pas atteignable dans l'immédiat, eu égard aux différences de référentiels comptables pour nos administrations publiques, il est nécessaire de progresser en termes de passage et de traduction entre ces comptabilités. Il nous faut également renforcer les mécanismes de suivi de l'exécution budgétaire à l'aune de la programmation et des trajectoires prévues. Il est regrettable que la loi organique actuellement examinée au Parlement soit si peu ambitieuse à ce sujet.

C'est un sujet qui dépasse les clivages la classe politique en aura-t-elle le courage ?

En effet ce sujet transcende les différences et les oppositions politiques traditionnelles. Il ne s'agit nullement d'un quelconque enjeu idéologique ou d'une guerre de position mais de saines pratiques démocratiques. Il n'y a pas d'arguments substantiels à l'appui de finances publiques discrétionnaires ou indéterminées. On ne peut se prétendre défenseur de la démocratie et s'opposer à une meilleure transparence de nos comptes publics. Or, sauf erreur de ma part, la classe politique française se déclare démocrate. Il me paraît donc irrecevable que certains s'opposent encore aujourd'hui à une telle évolution. Bien sûr, les argumentaires et les objectifs de ceux qui freinent une telle évolution sont plus subtils. Toutefois, c'est bien parce que cet objectif est moins clivant qu'il est d'autant plus insupportable que nous ne progressions pas dans ce domaine. La reprise en mains de nos administrations qui se sont progressivement autonomisées est un des plus urgents devoirs des responsables politiques.

Ce dont il faut faire preuve aujourd'hui, c'est surtout de détermination face aux prés carrés de chacun, qu'il faut reconsidérer à l'aune des impératifs démocratiques. La politique c'est l'opposition quotidienne d'intérêts et de positions différentes, qui brandissent leurs arguments respectifs afin de légitimer leurs prétentions et les faire progresser. Mais le rôle du politique c'est bien, après écoute des parties prenantes, d'arbitrer et de trancher ces questions. Les finances publiques n'échappent pas à ces règles. S'il faut préserver certaines prérogatives tout à fait légitimes, il n'en faut pas moins s'acheminer vers une transparence et un pilotage plus affirmés. Comme je l'écrivais récemment dans une tribune, cette évolution servirait l'action publique dans sa totalité. Il s'agit de penser le service public que nous souhaitons demain. L'époque actuelle est marquée par une obsession de questions sociétales et polémiques dont les enjeux sont réels mais souvent amplifiés par le débat public au point d'atteindre une certaine démesure. A l'inverse, il me semble que les finances publiques sont trop souvent méconnues ou négligés alors qu'à l'instar du droit, elles innervent la totalité de l'action publique.


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