Charles MICHEL Président du Conseil de l'UE : "Si nous voulons la paix, il faut nous préparer à la guerre"

Conseil de l'Union Européenne - 21/03/2024 14:10:00



Il était 3 h 30 du matin le 24 février 2022 lorsque j'ai été réveillé par la sonnerie de mon téléphone. D'innombrables notes des services de renseignement mettant en garde contre une invasion de l'Ukraine par la Russie ne sauraient jamais vous préparer à un tel moment. En entendant le président Zelensky déclarer d'une voix grave au téléphone "Les bombes pleuvent, c'est une invasion totale", j'ai su que l'ensemble du dispositif de sécurité qui a suivi la Seconde Guerre mondiale avait changé à jamais. L'UE devait changer aussi, et rapidement.

En quelques heures, les dirigeants de l'UE se sont réunis à Bruxelles pour un sommet extraordinaire afin de mettre en place la réaction de l'UE face à l'invasion. Nul besoin de mots entre nous; ce qu'il fallait, c'était agir. C'est un moment de l'histoire dont chacun des dirigeants de l'UE se souviendra pour toujours. Les décisions prises lors de cette réunion du Conseil européen ont marqué la naissance de l'UE géopolitique.

Le calcul erroné qu'avait fait le Kremlin sur une guerre facile de trois jours contre l'Ukraine, sous-estimant l'unité collective de l'UE et la détermination de l'Ukraine à défendre son territoire, montre l'illusion qui est au coeur-même de ses dirigeants. Le Kremlin ne se préoccupe pas du bien-être de sa population, de la prospérité de son pays ou de la paix dans la région. L'Ukraine et sa population, pour leur part, ont résisté, repris le territoire saisi, éloigné la marine russe de la mer Noire et infligé de lourdes pertes aux forces russes.

Deux ans après le début de la guerre, il est désormais clair que la Russie ne s'arrêtera pas en Ukraine, tout comme elle ne s'est pas arrêtée il y a dix ans en Crimée. La Russie poursuit sa tactique de déstabilisation - en Moldavie, en Géorgie, dans le Caucase du Sud, dans les Balkans occidentaux et plus loin encore, sur le continent africain.

La Russie constitue une grave menace militaire pour notre continent européen et pour la sécurité mondiale. Si nous ne réagissons pas de manière appropriée au niveau de l'UE et si nous n'apportons pas suffisamment d'aide à l'Ukraine pour arrêter la Russie, nous serons les suivants.

Nous devons donc être bien préparés en matière de défense et passer en mode "économie de guerre". Il est temps d'assumer la responsabilité de notre propre sécurité. Nous ne pouvons plus compter sur d'autres ou être à la merci des cycles électoraux aux États-Unis ou ailleurs.

Il nous faut renforcer notre capacité, tant pour l'Ukraine que pour l'Europe, afin de défendre le monde démocratique. Une Europe plus forte contribuera aussi à renforcer l'alliance de l'OTAN et améliorera notre défense collective.

Si nous pouvons être fiers de ce que nous avons déjà accompli, nous pouvons et devons encore faire beaucoup plus.

Deux jours après le début de la guerre, le président Zelensky avait plaidé par téléphone pour que l'UE envoie des armes. Avec le haut représentant Borrell, nous avons travaillé avec les dirigeants de l'UE pour livrer des armes létales à l'Ukraine. C'était une première dans l'histoire de notre Union. Ce week-end-là déjà, les premières armes arrivaient en Ukraine.

L'engagement témoigné par l'Europe à l'Ukraine et à sa population a depuis lors été inébranlable, Conseil européen après Conseil européen.

Nous avons également intensifié notre action sur le front militaire. L'industrie européenne de la défense a augmenté ses capacités de production de 50 % depuis le début de la guerre, et nous doublerons la production européenne de munitions pour atteindre plus de 2 millions d'obus par an d'ici la fin de l'année prochaine.

Dans le même temps, de part et d'autre de notre continent, la propagande du Kremlin en Europe tente de convaincre nos citoyens que la guerre en Ukraine ne nous concerne pas, qu'elle grève nos budgets et nous divise. Il s'agit de mensonges patents. Nous devons redoubler d'efforts pour aider l'Ukraine et pour renforcer notre défense européenne. Nous devons être capables de parler non seulement le langage de la diplomatie, mais aussi celui de la puissance.

La Russie consacrerait 6 % de son PIB à la défense cette année, tandis que l'UE dépense encore en moyenne moins que l'objectif fixé par l'OTAN, soit 2 % du PIB.

Depuis des décennies, l'Europe n'investit pas suffisamment dans notre sécurité et notre défense. Aujourd'hui, nous sommes confrontés au plus grand défi en matière de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale, de sorte qu'il nous faut renforcer notre préparation en matière de défense. Cela nous demandera d'opérer un changement radical et irréversible dans notre réflexion, vers un état d'esprit stratégique en matière de sécurité.

Nous devons donner la priorité à l'Ukraine et également dépenser davantage, de manière plus intelligente et moins fragmentée.

Soutien à l'Ukraine plus que jamais

Tout en renforçant nos capacités de défense, nous devons veiller à ce que l'Ukraine obtienne ce dont elle a besoin sur le champ de bataille. Les soldats ukrainiens ont besoin d'urgence de balles, de missiles et de systèmes de défense aérienne pour contrôler le ciel.

Nous devons utiliser le budget européen pour acheter des équipements militaires pour l'Ukraine - utilisons les bénéfices exceptionnels provenant d'avoirs russes immobilisés pour acheter des armes pour l'Ukraine.

Acheter plus ensemble

D'ici à 2030, nous devrions nous efforcer de doubler nos achats à l'industrie européenne. Cela offrira une prévisibilité accrue à nos entreprises. Les contrats pluriannuels les inciteront en outre à augmenter leurs capacités de production. Cela permettra de renforcer notre industrie de la défense, d'améliorer la préparation en matière de défense et de créer des emplois et de la croissance dans l'ensemble de l'UE.

Faciliter l'accès au financement

Les investissements dans la défense sont certes coûteux mais, sans eux, nous ne pouvons pas accroître notre production dans ce secteur. Nous devons faciliter l'accès de l'industrie aux financements tant publics que privés. L'émission d'obligations européennes dans le domaine de la défense afin de lever des fonds pour acheter du matériel ou investir dans notre industrie pourrait également constituer un puissant moyen de renforcer notre base technologique, industrielle et d'innovation.

En outre, nous devons envisager d'élargir le mandat de la Banque européenne d'investissement et adapter la politique de prêt afin de nous permettre d'en faire davantage pour soutenir notre industrie européenne de la défense, c'est-à-dire en modifiant la définition des biens à double usage.

Les dirigeants de l'UE se réunissent à nouveau à Bruxelles deux ans après cette réunion du Conseil européen qui a marqué un tournant. En ce moment crucial de l'histoire mondiale, l'Europe doit être prête dans le domaine de la défense et être à la hauteur de l'urgence de la menace. Ce combat nécessite un leadership fort pour rallier nos citoyens, nos entreprises et nos gouvernements à cet esprit nouveau en matière de sécurité et de défense sur notre continent européen.

Si nous voulons la paix, il faut nous préparer à la guerre.